D'avoir vu s'éteindre les icônes musicales que furent un Lemmy et un Bowie, de même que d'être témoins plus amplement du climat sinistre qui plane au dessus de nos modestes fronts (et nous avons à notre actif bien de funestes augures en tête) aura très fortement marqué les esprits et les musiciens de Sahg n'ont pas fait exception. Ces données pesantes, écrasantes, ont inspiré le sens de leur nouvel opus, le sans détours Memento Mori. Le mot y est simple, tout comme l'est son artwork. Évident même. Juste quelques symboles, comme un rappel de la vacuité du monde. Éphémères nous sommes, notre destin est fatal, et c'est sur cette réflexion sans concession que vous entamerez cette écoute : « Remember you must die » !
Une chanson pour se remémorer le temps où rien n'existe. "Black Unicorns" ouvre le bal obscur. Dire que le ton y est désenchanté n'est bien entendu qu'un pauvre euphémisme. Point ici de riffs heavy agressifs pour débuter en propre fulgurance et vous déboiter les cervicales. Non. Un ton amer et traînant, assez proche du doom, pour porter un propos d'un abattement total. La messe ici sera peu amène, sans espoir aucun. La saturation et le chant acre d'un "Devilspeed", ne viendront pas vous éclairer d'un iota, quand bien même le titre sera plus vif et acéré. Ainsi vous comprendrez d'emblée que cet album ne recèle aucune lumière. Pas la moindre. Au cœur d'un "Take It To the Grave", vous prendrez ensuite pleinement conscience du savoir faire de Sahg, pour distiller un son riche et dense, propre à vous happer dans une mélodie sombre et envoûtante, et tenter de creuser au cœur de votre émoi. Et il y parviendra sans grande peine. Les phrases musicales auront vite fait de vous tourner les sens et de vous plonger dans une pleine et acide mélancolie, la voix quant à elle vous prendra par la main pour vous conduire dans ce monde que nous chérissons étrangement : celui d'une solitude sombre et torturée.
Si Memento Mori est marqué également par un changement de line-up. Ole Walaunet prenant le quart à la guitare et Mads Lilletvedt remplaçant Thomas Lønnheim derrière les fûts, l'identité de Sahg demeure. Nous restons en effets pétris par les atmosphères savamment posées de ce heavy à tendance progressive, voire psychédélique, que le combo a toujours su distiller avec soin, retrouvant également la patte spatiale qui avait démarqué Delusion of Grandeur. Le ton est cependant plus lourd encore et plus froid (s'il s'en fallait), l'intention plus dure, l'implication sans doute plus marquée que dans les quatre précédents opus, mais Sahg demeure bel et bien Sahg, et son cadet ne trahit pas le sang. Reconnaissable dès les premières notes. Les voix sont plus appuyées, plus présentes, et les deux nouveaux arrivants alourdissent bel et bien le propos, mais sans en dévier la perception d'origine cependant. Nous plongeons tête baissée dans l'ambiance familière qui plombait déjà si bien nos sentiments à peine la galette insérée dans la fente lors de nos premières expériences avec le groupe. Ainsi, un "Sanctimony", qui sera sans doute le fer de lance de l'album, résonnera un peu comme le concentré d'une discographie homogène, densifié de toutes les émotions que nous avons d'ores et déjà nourries en son sein, d'un noir réconfort à nos oreilles.
Memento Mori révèlera au fur et à mesure ses pépites. Et parmi elles, il est "(Praise the) Electric Sun". Le classicisme impose comme un de ses codex une « ballade » au cœur de tout album qui puise ses inspirations loin derrière, aux origines du genre. La « ballade » donc, s'offre à mi parcours et se fait poignante comme attendue et exigée. Celle-ci ne s'arrêtera cependant pas à cette condition d'un romantisme de pacotille étayé d'acoustique. "(Praise the) Electric Sun" n'est posée ici manifestement que pour nous fendre en deux. Et elle y réussit. Dans le propos fatal que nous subissons depuis le début de l'écoute de Memento Mori, il fallait bien un instant où laisser jaillir un temps soit peu notre fragilité ! Star forever gone... T'es-tu éteins à jamais ? As-tu réellement quitté mon univers ? Ne puis-je que me réfugier à l'avenir dans quelque chose d'artificiellement figé ? Suis-je condamnée à me mortifier désormais, en vain? Juste un bref instant de nostalgie, d'apitoiement sur soi, de regrets, un flot trop longtemps contenu qui se déverse dans quelque notes, avant de recouvrer son sang froid.
Mais au-delà des titres glaçants ou de cette envolée de peine, il convient de souligner tout particulièrement "Blood of Oceans" qui clôture l'album et qui aura nécessairement un impact particulier sur l'écoute. Déjà par le dialogue des voix : Tony Vetass et son chant raclé, fait résonner les couplets en constats agressifs et radicaux, quand Ole Iversen lui répond sous forme de prière passionnée (et finalement interpelle directement l'auditeur) pour l'exhorter à se laisser happer par un océan sans fond, comme une ultime fatalité, incontournable, un paroxysme rouge sang. Mais encore, ces deux voix qui se rejoignent dans un final en norvégien, parachevant le périple sur une dimension épique inattendue, l'instrumentation portant l'ensemble vers une dimension quasi rituelle. Le titre est sans aucun doute le plus percutant, le plus original également, que Sahg ait mené à ce jour.
Acide intimité que l'on entretien avec Sahg ! Le groupe mûrit et évolue avec le temps, tient la barre de l'homogénéité dans son identité malgré les modifications internes, ne subit pas de rupture de ton, ni ne cède au copié-collé d'une formule qui risquerait de nous faire sombrer dans l'ennui de la redite. Sahg est un groupe relativement discret dont guetter les nouveaux efforts est récompensé. Jusqu'à ce jour, il n'a pas trahit la soif que nous avions de lui.