Qu'est-ce qu'un « classique » ? Derrière ce mot bien trop souvent repris à tort et à travers, qui sonne comme un énième vilain terme marketing, se cache pourtant une réalité. On ne peut pas nier que chacun possède sa sensibilité sur une œuvre musicale, allant de paire avec les souvenirs personnels qu'on peut lui associer et son importance vis-à-vis dans son propre parcours musical initiatique. Mais un « classique » va au-delà du simple subjectif. Par ailleurs bien trop souvent associé aux « tops » et autres listes « indispensables » – qui ont leurs intérêts – on tend bien trop souvent à lisser le terme de « classique », en juxtaposant toutes ces références sur un pied d'égalité et en les mélangeant vulgairement entre elles.
« The sound of falling When the pictures are moving Between the memories »
Non, un « classique », ce n'est pas qu'un complot de journalistes et de labels, c'est avant tout un marqueur historique. Un album qui transpire une époque, qui explique des choses, à l'échelle d'un groupe, d'une scène ou d'un style entier. Brave Murder Day est un « classique ». Il explique Katatonia, il explique le death/doom, il explique comment les larmes sont arrivées dans le metal… Le death/doom donc, sous-genre comme son nom l'indique du doom dont il reprend la lenteur et la lourdeur en y incorporant le son neuf (à l'époque) du death. Touojurs plus pesant, toujours plus sombre, toujours plus triste, les leads de guitare en mode mineur finissent d'obscurcir complètement votre champ de vision. Si un groupe comme diSEMBOWELMENT a été un des premiers inventeurs de la formule, ce n'est qu'avec Paradise Lost et son Gothic que le genre sortira de la confidentialité. Pas de chance, les Anglais ont jugé bons d'abandonner aussitôt le genre pour leur création propre : le metal gothique. Au milieu des années 90s, trois groupes vont alors se faire la divine trinité du doom/death : les Anglais de My Dying Bride et d'Anathema, et les Suédois de Katatonia.
« The sound of falling When the pictures are moving Dead in time »
Brave Murder Day raconte tout cela, il synthétise tout ce qui a pu être fait à l'époque et en extrait le meilleur. Et ceci n'est pas le fruit du hasard, une bonne musique est souvent le fruit du travail de bons musiciens et de bons compositeurs. Si je vous parle de monsieur Mikael Åkerfeldt au micro, vous comprenez mieux ? On présente souvent Katatonia comme le bébé de Jonas Renkse, leader au trimbre ô combien reconnaissable et touchant… Mais cela ne viendra que plus tard. En 1996, Katatonia fait encore du metal extrême et Mikael Åkerfeldt, au sommet de la profondeur de son growl, livre une performance qui demeure aujourd'hui comme un – si ce n'est LA – plus marquante de sa carrière. Katatonia c'est aussi – et surtout ici – Blakkheim (qui reprendra son vrai nom Anders Nyström un peu plus tard). A l'instar de Gregor Mackintosh, un riff de Blakkheim, un lead de Blakkheim, un arpège de Blakkheim , est reconnaissable entre mille. Les émotions véhiculées sont indescriptibles et la force mélancolique vous transperce à chaque instant le cœur. La production, étrangement assurée par le camarade Dan Swanö, se passe évidemment quant à elle de tout reproche.
« Brave, try the meaning of loss I know your smile is deadly at this point Wherever you are I am not »
On commence par le meilleur, à chaque fois qu'on remet la galette dans le lecteur. Un titre: "Brave". Vous n'avez pas fini de l'écouter que vous comprenez déjà le statut culte de l'album. Le riff principal, le lead du refrain, le break en tapping, la montée vers ce final interminable qu'on voudrait ne jamais voir s'arrêter… Rien ne pourrait être mieux fait. Le chant déchiré et déchirant de Mike résonne comme un ultime cri de désespoir dans un tourbillon apocalyptique. L'enchaînement avec "Murder" se fait sans avoir le temps de souffler, excellent à son tour mais forcément fade suite au monument passé avant. Heureusement, une autre hymne à la tristesse vient pas loin derrière, intitulée fort à propos "Rainroom". Une nouvelle hypnose, toutes les qualités de "Brave" pourraient être copiées/collées ici, et quand ce genre de frissons vous parcourt deux fois sur le même album, on reconnaît être face à l'exceptionnel. Dommage que "12" soit juste bon avant de retrouver les sommets sur le final qu'est "Endtime", plus en nuances et faisant intervenir le chant clair de Jonas. A ce propos, la ballade "Day" entièrement acoustique a été volontairement mis à part du propos car faisant plus office de transition dans la logique de l'album quoique magnifique et annonçant en trompe l'œil l'orientation future du groupe.
Brave Murder Day est une référence pour tout fan de Katatonia, ce qui n'empêche pas d'apprécier voire même de préférer la suite de leur discographie. Dans une logique historique, faire l'impasse sur cette œuvre relève de l'hérésie tant elle symbolise le sommet du genre et permet d'appréhender sous un angle complètement nouveau tous les albums actuels de death/doom/gothique et affiliés. Encore jeunes et innocents, les potes de toujours Mikael, Jonas, Anders et Dan n'avaient peut-être pas prévu de se retrouver quelques années plus tard pour s'amuser à jouer ensemble du death old school. Toujours est-il que ce line-up de légende a une saveur particulière aujourd'hui et participe aussi à la magie de cet album résolument indémodable.