Winter : Salut, pouvez-vous nous présenter rapidement anasazi, nous décrire ses origines et son évolution ?
Mathieu : L’histoire d’anasazi remonte à l’envie de deux personnes, un ami (Fred) et moi, de jouer un peu de musique. Deux mois après notre rencontre initiale, comme nous nous entendions musicalement bien, nous avons décidé d’écrire deux morceaux, pas encore sous le nom d’anasazi d’ailleurs. Et puis, nous nous somme pris au jeu et nous avons décidé de faire un mini album avec un unique morceau conceptuel de 20-25 minutes, et, en deux mois, nous avons réalisé un morceau de 35 minutes, divisé en 8 chapitres. Nous l’avons sorti, mais le mini-album était censé rester dans une sphère privée d’une dizaine de personnes. Nous avions fait une pochette et gravé dix disques que nous avions offerts aux amis de Fred, le soir de son anniversaire. Devant les réactions enthousiastes, je l’ai mis en téléchargement libre sur une vieille page Free, comme ça se faisait à l’époque, sans même avoir de site internet. Cela a commencé à tourner, les gens appréciaient les qualités et les défauts du produit, il s’agissait bien sûr d’une petite production, réalisée avec un 16 pistes numérique, un petit séquenceur, un piano et du matériel assez basique. Sur ce, une connaissance nous a proposé de créer notre site internet, et c’est comme ça que nous avons commencé à mettre nos albums en téléchargement. Fred ne pouvait pas continuer à cause de son travail, je me suis donc chargé seul du deuxième album, et cela a commencé à devenir anasazi et à prendre l’ampleur que le projet a maintenant sur internet : nous avons quelques fans, des gens qui nous suivent sur Facebook et sur notre forum. A chaque fois que nous sortons quelque chose, nous essayons que ce soit un produit « classe », avec une jolie pochette. Le premier album a été édité en dur uniquement pour 10-15 personnes, nous en avons édité une centaine pour le deuxième, la troisième sortie était un EP que nous avons fait presser par une entreprise et petit à petit nous distribuons des volumes plus importants.
Winter : anasazi est donc né avec les nouvelles technologies qui font partie de la carte d’identité du groupe…
Mathieu : A la base, tout est né avec l’envie de s’amuser un peu, mais, oui, une fois la décision prise de distribuer les albums, plutôt que de chercher un petit label comme Brennus ou Musea et d’avoir son disque à la Fnac, nous avons préféré mettre notre album sur internet et de le diffuser gratuitement.
Winter : D’accord, nous reviendrons sur ces sujets un peu plus tard. En ce qui concerne la structure du groupe, on peut dire, Mathieu, que tu es la tête pensante de l’ensemble…
Benjamin : Il ne l’avouera jamais, mais oui, c’est lui le boss, la tête pensante du groupe, le compositeur principal (rires) !
Mathieu : Disons qu’à la base, il y a eu beaucoup de musiciens sur le projet. Au départ, ce fut Fred et moi, puis Christophe, le bassiste est arrivé pour le deuxième album. Fred est ensuite parti. Avant Benjamin, Romain est venu s’occuper des claviers, il y a eu un certain nombre de changements et du coup, oui, c’est moi qui gère la partie artistique, même si les autres composent aussi. Jusqu’il y a peu, il s’agissait uniquement d’un projet studio, donc on se voyait pour les répétitions certains soirs, et si j’entendais un riff de base qui me plaisait, je le prenais pour en faire un morceau que je présentais la semaine d’après. J'aimerais juste souligner que si je suis en charge de la partie artistique, c'est Christophe qui se charge de mixer tout ce bordel et qui permet à notre musique d'atteindre un tel niveau de production avec des moyens qui ne sont pas professionnels puisque tout est enregistrés dans mon studio. Tout ceci est amené à évoluer car maintenant nous sommes un vrai groupe avec cinq musiciens. Je garde cependant le contrôle de la « feuille de route anasazienne », à savoir que le groupe mélange pleins d’influences différents : j’apprécie autant le metal de Slayer ou Pantera que le prog' de Gentle Giant, Yes, Dream Theater, Spock’s Beard, Queensrÿche, Porcupine Tree, etc... L’idée est d’avoir un projet qui nous fasse plaisir et dans lequel nous essayons d’être en perpétuelle évolution. Notre album origin(s) était plus marqué metal progressif technique à la Dream Theater, tandis que sur playing ordinary people, nous avons essayé de faire quelque chose de plus organique, plus « chansons », d’où un certain nombre de titres composés essentiellement autour d’une guitare acoustique. Bref, je sais où je veux et où je ne veux pas aller, même si l’arrivée de Ben, qui vient d’un univers heavy metal classique devrait permettre au prochain album d’avoir une musicalité différente. Je vais d’ailleurs essayer de le pousser un peu dans ses derniers retranchements pour qu’il puisse donner sa pleine mesure sur un terrain qu’il ne connaît pas encore complètement.
Benjamin : Je suis un peu son rat de laboratoire, d’une certaine manière (rires) !
Winter : Tu parlais de guitare acoustique, cela m’amène « naturellement » à parler de Porcupine Tree. Playing ordinary people a un côté Porcupine Tree prononcé. Le confirmez-vous ?
Mathieu : Oui. Je connais le groupe depuis 1997, donc j’ai des heures et des heures d’écoute à mon tableau de bord. Ce qui est génial chez Porcupine Tree, c’est qu’ils composent souvent des chansons, dans le sens où tu peux prendre une guitare et jouer leurs morceaux, tout simplement. Ce groupe a effectivement été un fil conducteur de l’album, notamment pour la manière de jouer du clavier, peu démonstrative, en privilégiant l’effet sur la mise en avant. |
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Winter : On sent d’ailleurs présente les deux personnalités de Porcupine Tree, celle claire, directe, « sympathique » et celle plus sombre…
Mathieu : C’est ça, c’est le schéma tactique de l’album.
Winter : Sur la fin de l’album, on entend des chœurs féminins un peu « soul », chose très rare dans le metal, prog' ou non. J’en déduis que vous écoutez autre chose que du metal et du rock…
Mathieu : Ma discothèque contient 1 700 CD. Ca va de Miles Davis à Pantera, Slayer, Transatlantic, Yes, Gentle Giant, Metallica, Dream Theater… Donc, oui. J’en profite pour dire que notre invitée Delphine est une excellente chanteuse soul.
Winter : Et Neal Morse ?
Mathieu : Bien sûr, Spock’s Beard, ce sont des dieux !
Winter : En revanche sur l’album, il n’y a pas trop d’influence des vieux groupes de prog (King Crimson,…). Etes vous quand même fans du prog' des 70's ?
Mathieu : Oh oui, j’ai d’ailleurs un certain nombre des albums majeurs de King Crimson. J’aimerais d’ailleurs bien que l’on reprenne sur scène un des morceaux de Into the Court of The Crimson King par exemple, même si tous les membres du groupes n’adorent pas le vieux prog'. Maynard James Keenan a repris "21st Century Schizoid Man" morceau avec The Human Experiment, en l’industrialisant un peu, et c’est une furie !
Winter : Votre musique respire la modestie, l’humilité, il n’y a rien de théâtral. Aimeriez-vous évoluer un jour vers des choses plus… symphoniques , « pompeuses » ?
Benjamin : C’est vrai que pour l’instant le groupe n’a pas exploré ce genre de terrain, et il y a une envie au sein de groupe de s’orienter vers ce genre de choses, un peu comme peut le faire Neal Morse, c’est-à-dire des concepts albums, des titres plus fournis instrumentalement parlant.
Mathieu : J’aime tellement de styles, que même faire un album de hard US ou de metal extrême, ça me plairait. L’idée de base d’anasazi c’est vraiment d’évoluer, même si l’on garde quelques éléments propres, par exemple, les refrains assez pop et des enchainements couplets-refrain, avec des petites variantes parfois. Christophe et moi sommes d’énormes fans de Tool, et nous voudrions aller un jour plus loin que ce que nous avons fait jusqu’à présent dans le côté sombre et organique que peut avoir Tool. Néanmoins, le prochain album devrait comporter des titres « classiques », et une face B où nous composerions quelque chose de plus symphonique, alambiqué, typique du prog, quoi… Cela resterait une face B afin de ne pas désaxer le reste de l’œuvre.
Winter : Avez-vous une date pour la sortie du nouvel album ?
Mathieu : Nous allons sortir un EP pour Noël, avec des chansons dans la veine de "shine a light". Le nouvel album sera pour fin 2013.
Winter : Je suis intrigué par l’absence de majuscule au nom du groupe. A-t-elle quelque chose à voir avec votre attitude humble, la distribution gratuite, etc. ?
Mathieu : Je crois que ça a un rapport, oui. A la base, la distribution gratuite via internet, c’était, sans fausse modestie, parce que je pensais que notre musique ne pourrait jamais se vendre.
Benjamin : Qu’elle n’avait pas de potentiel commercial.
Mathieu : Oui, enfin le potentiel commercial du prog', français de surcroît, est assez limité de toute façon ! (rires) J’ai envie que notre musique ne soit pas un produit commercial, ce qui nous coûte un peu d’argent, mais je le sens mieux comme ça.
Winter : Avez-vous tout de même des acheteurs ?
Mathieu : On doit avoir vendu entre 100 et 150 ventes de playing ordinary people, ce qui n’est pas énorme, mais en même temps, la vente est quelque chose que nous ne mettons absolument pas en avant. Nous jouons en live depuis seulement trois mois et nous mettrons quand même en vente l’album, histoire de financer le prochain mastering et la prochaine édition. Ceci dit, ce n’est pas parce que nous le distribuons gratuitement que nous offrons quelque chose de pourri, avec juste le MP3. Tu as pu voir la pochette, elle est assez soignée, elle souffre en tout cas parfaitement la comparaison avec celles de nombreux disques que j’ai en magasin. Pour en revenir à l’absence de majuscule, je trouve qu’en mettre une déplace l’attention que l’on porte au mot vers la première lettre. Le A majuscule attirerait l’attention uniquement sur lui. Peut-être est-ce juste un T.O.C…
Benjamin : Oui, tu es peut-être bien fou, en définitive… (rires)
Mathieu : Mais attention, je suis tout de même fier de ce que nous avons réussi à faire, de notre progression. Nous avons des retours assez touchants d’ailleurs, et le fait que nous mettions les albums en téléchargement nous permet d’atteindre des personnes que nous n’aurions pu atteindre autrement. Des Polonais, des Canadiens, des Américains… Nous sommes dans une époque où acheter un disque, ça devient quelque chose de « has-been », même si le prog' ou le métal sont relativement épargnés en comparaison avec d’autres styles. Dans le métal, les gens sont encore très attachés à l’objet. Ceci dit, même dans ce style, si tu proposes le disque à 1 000 personnes, si tu en vends 2 ou 3 %, c’est déjà très bien. Ca n’est pas grave, vu que nous avons tous des métiers et que nous ne cherchons pas à vivre de notre musique.
Winter : Y-a-t-il un code de vie anasazi ?
Mathieu : Non. Nous avons tous des opinions politiques ou des positions assez divergentes dans le groupe.
Benjamin : D’ailleurs chaque répétition se finit en pugilat dès qu’on aborde un sujet politique…
Mathieu : Nous n’écrivons pas de textes politiques. Sur cet album, nous parlons par exemple de la Seconde guerre mondiale, de la bombe sur Hiroshima, plus concrètement du point de vue d’un garçon japonais, et de celui qui a fabriqué la bombe. Mais nous ne parlons pas vraiment politique, cela ne nous intéresse pas et nous laissons cela à d’autres groupes qui le font très bien.
Winter : En vous écoutant, j’ai quand même la sensation que vous avez un peu le complexe français « nous sommes Français, donc nous faisons moins bien ». Ne croyez-vous pas que le niveau de la scène nationale a quand même progressé ?
Mathieu : Clairement. Des groupes comme Gojira, Kalisia, Demians en prog', ou encore Nemo, qui chantent en français, ont été ou sont encore de bonnes locomotives. En ce qui concerne le complexe dont tu parles, il s’agit simplement du fait que quand tu as composé quelque chose dans ta chambre et pour tes amis, et que finalement tu le lâches sur le web, tu n’imagines pas qu’il puisse avoir du succès. Maintenant, nous n’avons peut-être pas les tripes pour tout plaquer et tenter la grande aventure, mais nous sommes plusieurs tranches d’âge, des situations professionnelles diverses, et nous ne sommes pas dans cette optique-là.
Winter : Une dernière question : vous sentez-vous entourés à Grenoble ? Y-a-t-il une scène prog' grenobloise ?
Benjamin : Non, on ne peut pas parler de scène prog', il n’y a pas assez de groupes. Cela dit, on ne se sent pas tout seul. A Grenoble, il y a une vraie scène metal, c’est peut-être une exception française. Toujours est-il qu’il y a des structures mises en place qui nous permettent de jouer dans des salles sympas, sur Grenoble même. Après pour commencer à jouer dans d’autres villes, c’est plus compliqué.
Mathieu : Et puis même si sur Grenoble on arrive à se débrouiller, il n’y a pas de quoi attirer un groupe « middle », comme Anathema. Ils ne viendront jamais jouer sur Grenoble. On eu Tool, mais ça reste une exception.
Benjamin : De toute façon, il n’est même pas certain qu’il y ait une scène metal prog' au niveau français, faute d’un nombre suffisant de locomotives.
Winter : Et la locomotive, ça ne pourrait pas être vous ?
Mathieu : Ah, disons que maintenant, il est vrai que nous sommes enfin un groupe avec un line-up complet et que nous pouvons commencer à jouer en concert. L’accueil en live a été très bon, les gens sont d’ailleurs surpris de notre niveau de cohésion pour notre peu d’expérience en live. C’est donc encourageant !