Ahab

Entretien avec Corny (batterie) - le 23 octobre 2012

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Winter

Une interview de




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« La mer... qu'on voit danser... le long des golfes clairs... » Voici bien le seul point commun entre Charles Trénet et les doomeux de Ahab. Et encore, la vision placide des étendues d'eau selon notre Charles national n'a pas grand-chose à voir avec les descriptions autrement angoissantes que nous livrent Ahab à chacune de leurs sorties. Dernière oeuvre en date, The Giant (chronique ici) se démarque pourtant de l'extrême noirceur des deux premiers albums du groupe et ouvre la porte à des sensations un tantinet moins oppressantes. Cornellius, alias Corny, a eu la gentillesse de répondre à quelques questions sur le groupe, la littérature et la musique en général. 

Winter : Salut Corny, quelques mots de présentation pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Corny : Nous sommes Ahab, un doomband d’Allemagne du Sud. C’est la mer qui nous fournit l’inspiration pour écrire notre musique. Vous pouvez trouver différents styles de doom dans notre musique, du funeral doom au rock psychédélique en passant par du postcore. En ce qui concerne les paroles, nous nous sommes basés sur Moby Dick d’Herman Melville pour nous deux premiers albums. Pour le troisième album, nous nous inspirons de The Narrative of Arthur Gordon Pym Of Nantucket d’Edgar A. Poe.

Winter : Comment définirais-tu l’évolution entre The Divinity of Oceans et The Giant ?

Corny : Nous avons juste continué sur notre lancée… Les chansons sur The Giant ont un feeling plus rock que celles de The Divinity… qui avaient été composées selon notre ancienne manière de travailler. Le schéma suivi : trois ou quatre gars qui inventent des riffs lors de jamming sessions, du travail de composition chez soi, d’autres jamming sessions, etc. The Giant est plus varié que The Divinity… ou, et je préfère le dire ainsi, « plus doom, moins metal ».

Winter : Sur The Giant, on a l’impression que les nuages noirs du funeral doom sont souvent remplacés par les nuages gris de la mélancolie. Est-ce le reflet d’un état d’esprit personnel ? Vous sentez-vous moins « black » et plus mélancoliques maintenant que par le passé ?

Corny : Tout d’abord, nous ne nous sentons absolument pas black ni mélancoliques. Bien sûr, notre vie n’est pas toujours simple, mais en général nous sommes un groupe de gars qui aiment bien se marrer. La musique sur The Giant sort juste de nous, comme ça. Mais c’est bien sûr le style que nous avons ressenti et que nous avons transmis quand nous nous sommes mis à jouer ensemble tous les quatre sous l’influence du contexte littéraire choisi. La prochaine fois cela sera peut-être complètement différent. Ou pas…

Winter : La voix spéciale d’Herbrand Larsen contribue à l’atmosphère tout aussi spéciale de votre dernier album. Comment avez-vous réussi à travailler avec eux ? Appréciez-vous ce que fait Enslaved ?

Corny : Oui, bien sûr, nous apprécions le travail d’Enslaved. Spécialement les deux derniers albums qui démontrent la grande progression musicals qu’ils connaissent. Quand nous avons joué dans un festival à Madrid, Daniel a eu une conversation sympa avec certains des gars d’Enslaved. Et durant cette conversation il a eu l’idée de demander à Herbrand de nous prêter sa remarquable voix. Et sa musicalité. Car les lignes vocales qu’il a chantées proviennent totalement de son génie si particulier.

Winter : Avec cet album, vous explorez le seul roman d’Edgard Allan Poe, un livre assez atypique si l’on considère l’ensemble de l’œuvre de Poe. Pourquoi avez-vous choisi cet auteur et ce livre ?

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Corny
: Ce fut assez dur de trouver un digne successeur pour Moby Dick, comme tu peux t’en douter. Evidemment, il fallait que ce soit une œuvre exaltante. Et après quelques recherches nous sommes tombés sur celle-ci. Je suppose qu’il n’y a rien de plus à dire sur Poe, pas vrai ? C’est LE parrain de la littérature de terreur et son seul roman est nautique… Quelle coïncidence…

Winter : Allez-vous continuer à creuser dans la littérature du XIXème siècle ? En tant que Français, j’aimerais savoir si vous allez prendre l’œuvre de Jules Verne comme source d’inspiration un de ces jours…

Corny : En fait, nous avons évoqué Vingt mille lieues sous les mers quand nous avons cherché une histoire pour ce nouvel album. Mais au final, nous n’aurions pas trouvé moyen de placer des riffs brutaux et des growls si nous avions choisi ce roman pour notre musique. L’histoire et la musique doivent être intimement connectées dans l’œuvre d’Ahab. De la même manière que tu ne peux pas chanter le cannibalisme avec une voix angélique, tu ne peux pas chanter un beau récif de corail chatoyant en grognant comme Neptune en colère.

Winter : En ce qui concerne le processus créatif, trouvez-vous d’abord un livre qui vous fascine et essayez-vous de mettre de la musique dessus, ou est-ce le processus inverse ?

Corny : Avant que le processus d’écriture en tant que tel commence nous aimons jammer et tous les membres du groupe commencent à lire. Le résultat de nos jam sessions ont une influence sur le choix de l’histoire qui sera la background et les histoires que nous lisons influencent la manière dont nous jammons. C’est donc un processus « mutuel ».

Winter : Le lien entre Ahab et la mer est-il incassable ? Pouvons-nous imaginer un des travaux futurs d’Ahab ayant lieu dans le désert, par exemple ?

Corny : Jamais ! Le lien est effectivement incassable !

Winter : Quel type d’expériences avez-vos eu avec la mer ? Considérez-vous la mer comme votre « mère » ?

Corny : La mer est tout simplement le phénomène le plus fascinant que l’on puisse concevoir. C’est presque un monde à part, inexploré au sein de notre monde. Personne ne sait ce qui y vit tout au fond. Et, pour être sincère, nous quatre sommes effrayés par la mer, quelque part. Mais si on veut approfondir un peu le sujet, on peut certainement dire que la mer est la mère/ le père/ la raison de toute la vie sur Terre. Nous venons de là et si nous continuons à faire ce que nous faisons depuis les dernières décennies, nous allons y retourner plus vite que nous le croyons.

Winter : Pas mal de gens considèrent le doom comme un genre ennuyeux, spécialement live. Comment définiriez-vous vos performances live ? Aimez-vous la scène? Sentez-vous une communion avec le public ?

Corny : Nous aimons jouer en live. De ce que je peux voir derrière la batterie, nos shows ont l’air assez intense. Les gens sont pour la plupart comme paralysés, en transe, se balançant doucement en avant et en arrière. Je suis sûr que si quelqu’un s’ennuyait à mourir, il n’agirait pas de la sorte. Les gens qui considèrent le doom comme quelque chose d’ennuyeux ont certainement des goûts musicaux totalement différents (ce qui veut dire qu’ils ne peuvent pas ressentir le doom) ou ils ne sont simplement pas prêts. Pour la plupart des gens, cela prend du temps et demande un certain processus de maturation pour pouvoir comprendre le doom. Et je ne parle pas d’intelligence ici. C’est comme si tu devais compléter ton aptitude intérieure à ressentir la puissance et l’intensité de la lenteur.

Winter : Quand on parle de funeral doom, on est presque obligé d’évoquer Thergothon. Etait-ce une de vos influences majeures au début de votre carrière ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Corny : En réalité je ne peux pas te dire quelles sont nos influences majeures. Il y a tellement de groupes que nous adorons. Quand Ahab s’est formé, je suppose que Hector et Droste écoutaient des trucs comme Tyranny, My Dying Bride et Esoteric… De nos jours, des groupes comme Crippled Black Phoenix, Omega Massif, Graveyard, Kadavar, Yob, Sonne Adam, Beardfish, Victims, Intronaut et Gojira par exemple sont les trucs que nous manions dans nos répétitions… Tout ce que tu écoutes a une influence sur toi d’une manière ou d’une autre. Chaque son que tu entends. Même si c’est juste « je ne veux jamais faire quelque chose comme ça ». Dans ce cas, c’est une influence négative, mais une influence quand même.
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Winter : Et toi, quelles sont tes influences majeures ?

Corny : J’ai un large spectre d’influences. J’ai grandi avec la musique classique. A huit ans, j’ai été abimé par Guns’n’Roses. J’écoute des choses allant de Tchaikowsky à Chopin, de Fever Ray à Portishead, d’Electric Wizard à Kough, d’AC/DC à Gluecifer, de Skitsystem à Rotten Sound et bien dûr de Pink Floyd à King Crimson. Pour que j’écoute quelque chose, il faut que ce soit de la bonne musique, tout simplement ! Comme batteur, je pense que Gavin Harrisson de Porcupine Tree a eu une grosse influence sur moi, tout comme John Bonham ou Mikkey Dee.

Winter : Anathema a commencé sa carrière avec du gothic doom-death et joue maintenant du « post/atmospheric » rock. Y-a-t-il une possibilité qu’Ahab ôte les funeral growls de sa musique dans le futur ?

Corny : Non, je ne pense pas que ça puisse arriver. Nous aurons toujours ces parties sinistres de funeral doom dans notre musique. Elles sont un élément très important d’Ahab et nous les aimons !

Winter : Quelques mots pour conclure ?

Corny : Merci beaucoup pour cette interview ! La France est plein de groupes fantastiques, et j’espère que nous pourrons vous visiter, chers voisins, pour faire de super concerts et rencontrer des gens sympas. Peace !


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