Silverbard : C'est la deuxième fois pour Orphaned Land au Motocultor. Est-ce un festival que vous appréciez ? Qu'avez-vous pensé de son évolution sachant que le site a changé entre temps et que sa fréquentation ne cesse d'augmenter chaque année.
Yossi : Oui, c'est notre deuxième fois au Motocultor mais sur un site différent. J'ai trouvé également que le public était plus nombreux et c'était vraiment génial pour nous de constater cette évolution. «
Et j'espère pouvoir revenir l'année prochaine ! »
(rires)
Silverbard : Avec mon camarade Droom, on parlait justement du concert et plus particulièrement du public dont l'attitude était très réactive vis-à-vis de vos appels. J'imagine que vous avez dû vraiment apprécier…
Yossi : J'apprécie ce que je fais. Si ce n'était pas le cas, je ne le ferais pas.
(sourire) Le jour où je n'y prendrai plus de plaisir, j'arrêterai la musique. Mais depuis plus de 20 ans, depuis 22 ans précisément, je prends du plaisir dans la musique que je fais en tant que compositeur et membre fondateur d'Orphaned Land. Donc bien sûr que je suis très heureux. Je pense que la raison pour laquelle les gens apprécient nos concerts et bougent dans la fosse, c'est que je compose les chansons avec des instruments acoustiques, pas électriques. Vous avez pu voir ma double guitare spéciale, moitié bouzouki (mandoline méditerranéenne, acoustique) et moitié guitare électrique. C'est la fusion entre l'Orient et l'Occident dans un seul corps et c'est ma pure invention, il n'en existe qu'un modèle au monde. Mais quand je compose, c'est entièrement en acoustique, soit sur des guitares avec cordes en nylon ou bien des bouzoukis, des saz, des ouds, des guitares de Turquie, d'Egypte ou de Grèce. C'est seulement ensuite que j'arrange sur guitare électrique pour le metal. C'est pourquoi les chansons sonnent festives et folk, elles ont la vie de l'acoustique où je compose avec mon cœur. C'est à mon avis le secret qui fait que les gens sont si répondants.
Droom : Est-ce que tu connais bien les groupes qui jouent au festival cette année ?
Yossi : Oui j'en connais bien quelques-uns. Pour la plupart, ce sont des groupes avec lesquels nous avons joué par le passé comme Therion ou Annihilator. Moonspell sont de bons amis, nous les connaissons depuis de nombreuses années. J'en connais d'autres également… The Exploited qui ont tourné en Israël il y a 20 ans, c'est marrant ! Mais c'est super d'avoir un tel line-up ici ! «
Et j'espère venir avec mon groupe solo instrumental l'an prochain au Motocultor ! ».
Silverbard : Je sais que le groupe ne vivait pas de sa musique il y a quelques années. Est-ce toujours le cas aujourd'hui car la renommé du groupe a beaucoup grandie ?
Yossi : Oui Orphaned Land a pris de l'ampleur. Nous avons beaucoup grossi depuis la fin des années 90 et du temps de Holy Records. Certes nous sommes un groupe plus important aujourd'hui et nous gagnons mieux notre vie, mais ça ne serait jamais arrivé sans des sacrifices. Avant 2009-2010, peu de gens connaissaient Orphaned Land, c'était un groupe assez underground. A cette époque, j'ai décidé de quitter mon travail et de vivre dans la rue si besoin alors que je suis père de deux enfants de 12 ans et 8 ans et que j'en attends un troisième. Et je suis le seul à subvenir aux besoins de ma famille alors que tous les autres membres du groupe sont célibataires. C'était une très dure décision, mais au fond de mon cœur j'avais le sentiment que tant que je garderais mon travail, Orphaned Land ne pourrait jamais être la priorité… D'où ma décision et tout de suite le changement a été très perceptible puisque nous avons fait presque 100 concerts en 2010, plus que tous ceux faits par le passé en 18 ans ! On a pu faire deux tournées américaines et européennes avec Katatonia et Amorphis ainsi que sortir un DVD avec l'aide de Steven Wilson. On a même joué avec Metallica ! Et tous ces exploits ne seraient jamais arrivés si je n'avais pas quitté mon emploi. J'avais pourtant un bon travail de manager informatique. L'informatique me plaît mais j'adore la musique et je me considère avant tout comme un musicien. J'ai donc tout abandonné pour la musique et ça a été un changement radical pour Orphaned Land. On vit mieux aujourd'hui mais comme je l'ai dit tout à l'heure, je fais ça tant que je prends du plaisir à le faire. Mais même s'il m'arrive de ne plus m'amuser avec Orphaned Land, je continuerai dans la musique. Déjà en tant que producteur car ça me plaît aussi. Je produis d'autres artistes à travers le monde : en Europe ou en Israël. Et ensuite, à travers mon projet solo avec lequel j'ai sorti l'album
Melting Clocks, en compagnie de Marty Friedman et d'autres invités. C'est un projet vraiment cool, distribué par Verycords et il a été choisi par les lecteurs de Rock Hard comme meilleur premier essai de 2012. C'est très valorisant d'être ainsi plébiscité pour cet album car je n'aurai jamais cru que le rock oriental, ce mélange que j'ai créé, puisse toucher tant de gens.
Droom : J'ai cru entendre qu'Orphaned Land avait été nominé pour le Prix Nobel de la Paix…
Yossi : Non en fait des gens ont fait circuler une pétition pour qu'Orphaned Land soit nominé pour le Prix Nobel de la Paix l'année prochaine. C'est flattant je trouve pour notre dur travail. Nous avons déjà envoyé par le passé des messages de paix et de fraternité à d'autres pays. Peut-être que c'est naturel, peut-être que c'est normal mais je pense avant tout à la musique, je me fiche du reste.
Droom : Ce n'est pas si important pour vous, mais ça vous fait quand même plaisir.
Yossi : Exactement.
Silverbard : La question suivante est au sujet du dernier album, All Is One. Dès ma première écoute, j'ai eu l'impression de voir la finalité de votre démarche artistique, ce vers quoi vous sembliez tendre depuis vos premiers albums. Partages-tu ce point de vue ?
Yossi : Je pense qu'Orphaned Land… non, je sais qu'Orphaned Land évolue. Je suis dans le groupe depuis le début et je compose la plupart des morceaux mais je suis très intransigeant en tant que leader du groupe. En 1991, nous jouions du death metal avec des éléments orientaux, puis avec Holy Records, nous avons sortis
Sahara et
El Norra Alila qui sont des albums très expérimentaux avec un gros travail sur les guitares. Avec
Mabool, nous avons exploré une facette plus progressive, qui a pris une plus grande dimension encore avec
Orwarrior où tout a été passé à un niveau supérieur dans la sophistication. Il ne nous manquait plus qu'une étape : faire une production très claire avec des chœurs et des cordes et faire sonner tout cela grand. Et dans un sens, tu as raison : c'est à présent un grand défi pour Orphaned Land car nous avons atteint le sommet. Notre chanteur a dit – je n'aime pas cette phrase, mais… - que c'est notre meilleur album. Personnellement, je ne dirai jamais cela car je pense que notre meilleur album est toujours dans le futur. Cela dit,
All Is One est un album difficile car il place la barre très haut pour le prochain. C'est un album qui va nous remettre en question sur ce que sera la suite. Mais c'est une évolution naturelle.
Droom : Tu es donc encore fier de tous les albums précédents ?
Yossi : Oui bien sûr. J'aime énormément nos premiers albums. Mais je suis fier de
All Is One et de la fluidité avec laquelle les morceaux s'enchaînent, des mélodies et du très bon son… Tous ces albums sont mes enfants !
Silverbard : Un élément remarquable est l'absence de growls dans les vocaux. Etait-ce un choix prémédité ou est-ce venu naturellement ?
Yossi : Il y a un peu des deux. Kobi voulait apaiser sa voix et ne pas growler. Il n'est plus tout jeune et c'est difficile pour lui de maintenir des growls puissants en concert. Mais ce choix vient aussi de la musique. J'ai composé Melting Clocks l'an dernier, qui est tout sauf un album de metal, donc naturellement mon processus de composition pour All Is One s'est porté vers quelque chose de plus doux. C'était donc difficile de poser un chant agressif sur une musique calme et très mélodique. Par exemple, il est impossible de mettre des growls sur "Brother" !
(rires) Il y a donc des deux, c'était à la fois naturel et à la fois une volonté de Kobi qui souhaite abandonner le growl dans le futur. Mais attention, nous adorons le metal ! C'est de cet univers dont nous venons, j'ai commencé à jouer de la musique grâce au metal donc c'est toujours dans mon sang.
Droom : Merci pour cette interview. Souhaites-tu ajouter quelque chose ?
Yossi : Juste «
merci beaucoup à vous pour cette interview » !
(rires) «
Et j'espère revenir très bientôt soit avec Orphaned Land, soit avec mon groupe solo ». L'an prochain, je sors un nouvel album solo et j'espère pouvoir faire quelques dates en France. Et en novembre, j'aimerais faire quelques dates de masterclass de guitare en France à Lille, Nantes, Paris… Nous verrons !
Crédits photos : Alexandra