Winter : Salut, apparemment vous n’avez pas perdu votre temps depuis notre première interview en juin 2012 ! La naissance de Oi Magoi a-t-elle été chaotique ou s’est-il agi d’un « processus contrôlé » ?
Theo : Haha, le temps c’est la base, non ? Il ne faut pas le gâcher. Mais bon l’album aurait pu sortir à un autre moment, peut-être même encore plus tôt. Tout tourne autour de l’inspiration et de savoir prendre le taureau par les cornes. Il s’agit de savoir se mettre au boulot, canaliser le tout ça et arriver à sortir quelque chose de passionné et de sincère. Mais un processus contrôlé ? Pas vraiment ! C’est toujours un chaos total. Rien n’est prédéterminé et tout se fait à la suite de discussions et d’expérimentations. Nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous allons faire. Mais bon, ça contribue à l’état d’excitation nécessaire à la création de nouvelles folies.
Winter : Oi Magoi est un peu moins dingue que Pneuma. Il y a plus de parties instrumentales, beaucoup plus d’interventions (excellentes) des guitares. As-tu voulu être la superstar de l’album ? ;)
Theo : Hey, ne fais pas ton Lucius Detritus ! Blague à part, je ne pense pas qu’il est moins dingue. Au contraire, on pourrait dire qu’il est plus schizophrénique et qu’il donne plus un sentiment de claustrophobie que Pneuma. Il peut sembler moins dingue parce que les chansons sont plus cohérentes en comparaison avec le premier album mais nous continuons à insuffler de la folie, d’un autre type, mais c’est aussi fou. Personne ne cherche à tirer la couverture à soi, les chansons sont composées comme elles le sont parce que nous voulons y refléter le contenu de notre âme. Les guitares sont peut-être un peu plus impliquées mais tout est fait pour provoquer un sentiment d’effroi chez l’auditeur, rien d’autre. Tous les instruments sont absolument essentiels pour obtenir ce résultat final. Durant les premières écoutes on peut penser que l’album est un peu plus soutenu par les guitares que son prédécesseur mais il y a des titres où ce sont les claviers qui sont l’acteur principal et d’autres où sans les lignes de basse de Dim tout aurait foutu le camp. Nous sommes un groupe et ce que tu entends est le fruit de la lutte de chacun d’entre nous.
Winter : Je suis sûr que tu détestes une expression telle que « l’album de la maturité » mais… considères-tu que Oi Magoi est plus mûr que Pneuma ? Devenez-vous vieux ? ;)
Theo : Je la hais mais pas parce que nous nous faisons vieux. Je la méprise totalement parce que quand des artistes l’utilisent, cela veut en général dire qu’ils se ramollissent, non seulement au niveau du son, mais encore au niveau de l’attitude. Ils arrêtent de prendre des risques, ils ont trouvé leur zone de confort et n’évoluent plus. Certains artistes sont capables de faire ça, ils travaillent mécaniquement et produisent quand même un résultat extraordinaire mais la plupart paraissent lâcher l’affaire quand cela se produit. C’est pour ça que je la hais tant, elle enlève tout la passion. Sans les flammes de la passion tu ne peux rien créer de valable. Comme je t’ai dit, l’album peut paraître plus orchestré, mais c’est vraiment le fruit de nos entrailles. Là où Pneuma était un peu plus frénétique et changeait de direction toutes les trois secondes, celui-ci est plus evil. Il s’avance dans ton dos et une fois qu’il a atteint ton cerveau, tu ne peux plus l’arrêter. Tu le fredonneras pendant des jours et des jours (ndWinter : gagné). De plus, le temps est une illusion et un vrai Diable si jamais il en existe. Il adoucit ton existence avec la promesse d’un futur juste pour te railler en te montrant ton propre passé, tes faiblesses, le potentiel que tu n’as pas su exploiter et ta tristesse.
Winter : Il n’y a pas de plans batcave cette fois-ci. As-tu censuré Harris ? ;)
Theo : Absolument pas. Je sais que cet élément est peu présent sur l’album mais ce n’était pas prémédité. L’album est plus sombre que le précédent et, même s’il est aussi espiègle et joueur que Pneuma, il est dépourvu de toute légèreté. Ca n’a pas été une décision consciente et le côté batcave pourrait bien réapparaître sur les prochaines œuvres.
Winter : Quelle est ta principale source d’inspiration pour ces excellents leads de guitare ?
Theo : Chaque chanson dicte les leads qui doivent y figurer, vraiment. Ils ne sont pas là pour épater la galerie mais bien pour ajouter de la couleur et de la texture aux morceaux. Cette manière de jouer de la guitare donne une touche un peu moderne au son. Les gars de l’époque ne jouaient pas vraiment comme ça.
Pour en revenir à la question, Robert Fripp se situe dans le haut du ranking de mes influences, tout comme Steven Rothery, le guitariste de Marillion. Je sais qu’il n’y a pas de shred sur l’album mais Becker et Loomis ont une influence importante sur ma manière d’approcher la structure du lead. Ils semblent utiliser leur guitare comme un instrument pour créer à la fois de la mélodie et du rythme, même en lead. Dim est à l’origine de beaucoup de mélodies. C’est également un guitariste talentueux. J’ai déjà dit qu’on travaillait comme un groupe, pas vrai ?
Winter : Naervaer a écrit une chanson intitulée "Bob Dylan is the f*****g king". Allez-vous composer un titre s’appelant "Manos Hadjidakis is the boss" ? Plus sérieusement, Manos est-il toujours votre guide ?
Theo : Il va effectivement y avoir une chanson intitulée "Manos Hadkidakis Ist Krieg". Comment diable l’as-tu su ? Je pense que c’est une question pour Harris mais Reflections est toujours une de ses principales sources d’inspiration. Cet album est simplement incroyable et tellement en avance sur son temps. Harris peut pleurer comme un bébé quand il l’écoute…
Winter : les claviers du titre "Oi Magoi" me rappellent les bandes originales des vieux films français des années 70. Je suppose que c’est une heureuse coïncidence et rien d’autre…
Theo : Les chansons possèdent une touche « cinématographique », tu n’es pas tant à côté de la plaque. Ils ont une espèce d’atmosphère oppressante de film tordu avec un côté sous-jacent de démon aux aguets. Ce sentiment d’effroi est présent en permanence dans ces chansons, même dans les moments les plus divertissants. Si j’avais à choisir un film pour illustrer l’album je me décanterais pour Begotten, un énorme casse-tête. Le premier quart d’heure est une des choses les plus terrifiantes que j’aie vues. En ce qui concerne les B.O., je choisirais très certainement Rosemary’s Baby et Suspiria de Dario Argento.
Winter : Il y a une chanson d’Alison Goldfrapp dont l’ambiance est similaire à celle du titre "Oi Magoi". Elle s’appelle "Lovely Head". La connais-tu ? Puis-je raisonneblement espérer une reprise de ce titre ? ;)
Theo : C’est une super chanson, je suis content que tu en parles. Je crois que le groupe s’appelle simplement Goldfrapp, et leur album Felt Mountain est excellent (ndWinter : tu m’étonnes !). Leurs oeuvres plus récentes ne sont pas aussi mystérieuses et cinématographiques, hélas. "Lovely head” a cette ambiance de cinema français que tu commentais avant, Harris aime cette espéce d’atmosphère étrange, jazzy, nocturne et nous adorons l’intégrer à notre musique.
Winter : D’une façon plus générale, avez-vous des envies de reprises ?
Theo : Nous avons joué avec cette idée, mais nous n’avons pas trouvé de chansons auxquelles nous puissions injecter notre son propre. Je veux dire par là : quel est l’intérêt de faire une reprise si c’est juste pour calquer l’original ? Toutes les reprises que j’aime ont une chose en commun, le fait que la chanson originale a été prise, écrasée en mille morceaux et réassemblée d’une manière propre au groupe qui joue la reprise. La version de "Hurt" qu’a fait Cash, le "Love Bites" de Nevermore, ce sont des trucs excellents parce que l’original a été réinventé. Ce n’est pas quelque chose que nous ne ferons jamas mais à l’heure actuelle nous n’avons rien qui nous vienne à l’esprit.
Winter : Pendant ce temps, Transcending Bizarre?... (complétez la phrase, SVP)
Theo : Pour l’instant nous n’y pensons pas. Aussi simple que ça. TB? n’est pas mort nais nous sommes concentrés sur HSN pour l’instant, c’est l’endroit où nos cœurs se trouvent. Je ne peux pas promettre de quatrième album à court terme mais nous sommes sûrs qu’il y en aura bien un quatrième à un moment donné. HSN est un autre exutoire, pour l’instant il nous satisfait plus et nous y consacrons toute l’énergie possibe.
Winter : Quelques mots sur l’expérience vécue par Harris avec Aenaon et la sortie de son nouvel album ?
Theo : Je crois qu’il a beaucoup apprécié l’ensemble du processus. Si tu ne l’as pas encore écouté, fais-le. C’est un excellent album de prog black metal, bien au-dessus du lot (ndWinter : exact).
Winter : Etes-vous content de Code666 ? Je trouve que la qualité des groupes qu’il signent est incroyable…
Theo : Code666 peut se targuer d’avoir une liste de groupes très éclectique et d’une qualité indiscutable. Des groupes comme Fen, Ne Obliviscaris, Negura Bunget dans le temps, et beaucoup, beaucoup d’autres, tirent l’ensemble vers le haut en permanence et c’est vraiment rassurant de savoir que peu importe que notre cheminement devienne de plus en plus barré, le label nous soutiendra.
Winter : Toujours pas de performances live à l’horizon ?
Theo: Au contraire, mon ami (ndWinter : en français dans le texte). Nous sommes enfin arrivé au moment où nous allons être capables de donner à notre musique le show qui va permettre d’habiller correctement notre musique sur scène.
Winter: Le mot de la fin ?
Theo : Merci pour cette interview une nouvelle fois intéressante. Nous sommes reconnaissants du soutien apporté !