Ptilouis : Merci d’avoir accepté cette interview. Tout d’abord, le groupe existe depuis déjà 10 ans et a composé trois albums, pouvez-vous présenter Destrage et son histoire ?
Paolo : Tout le plaisir est pour moi mec ! En réalité cela fait moins de 10 ans. Le line up actuel existe depuis 2007 et après sa première démo
Self Id Generator, Destrage a signé un contrat avec Howling Bull Records Japan, et a sorti son premier album
Urban Being qui est sorti mondialement via Coroner Records en 2009. Le deuxième album
The King Is Fat’n’Old est paru en 2010 via Coroner Records et Howling Bull et a bénéficié d’une tournée européenne et japonaise ainsi que de festivals internationaux comme le Heineken Jammin' Festival, Euroblast, Mair1 Festival... L’éclectisme des festivals a permis à Destrage de partager la scène avec les Red Hot Chili Peppers, Parkway Drive, Hatebreed,…. En 2012, nous avons écrits et enregistrés notre troisième album. Le résultat, c’est qu’
Are You Kidding Me? No. est notre effort le plus concentré et dynamique à ce jour et nous a permis d'obtenir un contrat mondial avec Metal Blade Records.
Ptilouis : Cette signature vous a permis une grande promotion. Comment le contrat a été fait ? Que représente cette signature pour vous ?
Paolo : Nous avons fait une recherche de label, envoyant des tonnes d’emails à travers le monde ! Le contrat avec Coroner arrivait à son terme, nous avons donc décidé en accord avec le label, de ne pas renouer un contrat et d’essayer d’avoir quelque chose de différent qui pourrait faire grandir le groupe. Sans aucun doute, nous l’avons trouvé ! (sourire)
Etre signé par un si grand label est un rêve qui devient réalité pour nous tous. Nous avons écouté leurs sorties depuis que nous sommes enfants, et maintenant en faire parti c’est juste incroyable. C’est aussi une véritable reconnaissance pour le travail difficile que nous avons assemblé durant ces dernières années, et ça nous encourage à ne jamais abandonner la poursuite de nos rêves et de continuer à grandir et faire le mieux que nous pouvons.
Ptilouis : Lorsque l’on parle de metalcore, on pense tout d’abord à la scène ultra-technique anglo-saxonne qui mixe de nombreuses influences (Between The Buried and Me, Protest The Hero…) et à laquelle vous appartenez. Comment est venu l’idée de faire ce type de musique ?
Paolo : C’est une bonne question (rire) ! Peut-être à cause de nos backgrounds totalement différents. Les influences de Destrage vont de la fusion au mathcore en passant par la musique électronique, je pense qu’il serait vraiment impossible de toutes les lister et c’est aussi pourquoi il est difficile de décrire où le style de Destrage ira. Mais Destrage a une attitude, on est ouvert et on n’aime pas avoir n’importe quelle sorte de limites. Ce sont les choses les plus importantes qui lient chaque membres de ce groupe.
Ptilouis : En France, nous ne connaissons pas bien la scène metal italienne, mis à part Rhapsody of Fire ou la scène émergente du brutal death. Cependant, il semble qu’il y ai un public pour les groupes de metalcore ?
Paolo : La scène metal italienne est en ce moment en train de grandir : Ready Set Fall, Tasters, Fleshgod Apocalypse, Upon This Dawning, Hour Of Penance, Nero Di Marte, Modern Age Slavery, tous sont de grands groupes italiens signés par des grands labels internationaux. C’est définitivement un grand moment pour notre scène metal. C’est peut-être en quelque sorte une révolution pour nous et le plus important est que nous continuions d’avancer.
Ptilouis : Maintenant nous allons parler du nouvel album. Comment le titre Are You Kidding Me ? No. vous est venu ?
Paolo : Are You Kidding Me? No. (AYKM?N.) est la clef pour comprendre notre attitude, notre musique et nos paroles. Le chœur de "Purania" dit «
J’aime les Spice Girls, et alors ? » Probablement que la première réaction à une telle déclaration serait «
Mais ils se foutent vraiment de ma gueule ? » et notre réponse serait non.
Cette idée est venue pendant un après-midi monotone. J’étais en train de penser à l’attitude et la communication de Destrage. «
Etes vous sérieux avec vos paroles ? » ou «
Est-ce que les gars vous vous moquez de nous ? » étaient des questions plutôt récurrentes pour l’album
The King Is Fat’n’Old et la raison principale, c’est parce que nous développions des concepts sérieux derrière des blagues, donc la pilule passait. C’était alors le choix de l’auditeur de rester à la surface ou de creuser un peu tout ça. Enfin, de toute façon nous essayons de rendre les deux expériences appréciables. Il n’y a pas d’idée maître qui unifie tout ça. Nos textes sont structurés en différentes couches et états d’esprit. Tu peux très facilement trouver des parties drôles, ironiques, provocantes aussi bien que des contenus sérieux. Puisque nous prenons notre inspiration de tout ce qui nous entoure, c’est presque impossible, à mon avis, de toujours délivrer le même état d’esprit.
Ptilouis : En parlant de votre musique, c’est un peu comme une musique sans frontière. Comment créez-vous vos morceaux ? Ensemble ou chacun de vous avec ses idées ou des morceaux presque finis ?
Paolo : Au commencement du processus de composition, chaque membre écrit et collecte ses idées personnelles. Ensuite nous travaillons sur notre matériel ensemble et chaque membre débarque avec son idée. Si chaque personne l’aime, parfait : ça va direct dans le morceau. Mais parfois, tu dois abandonner une idée que tu pensais incroyable car les quatre autres membres, qui veulent la même chose que toi, disent que ça ne fonctionne pas. Et tu gardes ça pour toi-même, pas de soucis, tu leur fais confiance. Nous adorons aussi utiliser des post-it pour garder toujours à l’esprit la structure de chaque chanson et être capable d’avoir aussi bien une vue d’ensemble de la structure de l’album. Puis, nous travaillons sur cela ensemble. Nous essayons juste de faire une musique qui nous rende heureux et qui est fun pour les autres. Si cela signifie que des personnes très différentes viendront à nos concerts, ainsi soit-il ! Nous ne pouvons demander plus.
Ptilouis : Je pense qu’Are You Kidding Me? No. est un pas en avant dans votre musique. Comment expliquez-vous le fait d’y intégrer des éléments non metal comme de la Drum’n’Bass ou de la trompette ?
Paolo : Merci ! Comme je te le disais, rien n’est prévu au départ. Je pense que le son de Destrage est spontanément varié et bizarre. C’est comme si nous savions parler le langage « metal » étant enfants, et qu’ensuite en grandissant nous ouvrions nos oreilles au monde et apprenions bien davantage, et ainsi le processus continue. Tout ce qui nous inspire, des films aux arts plastiques en passant par la haute couture, l’amour et le sexe, peut être facilement transcrit en une musique plus hard vu que c’est notre langue natale. Nous sommes ouverts et nous n’aimons pas avoir de limites. Si quelque chose que nous créons sonne bien pour nous, alors cela va directement dans un morceau. Il n’y a rien à expliquer. Nous détruisons, créons, transformons, sublimons
(ndr: En référence au morceau "Destroy, Create, Transform, Sublimate" du dernier album). Nous adorons l’enthousiasme et vénérons l''impulsion que cela donne. C’est tout (sourire).
Ptilouis : Lequel d’entre vous écrit les textes ?
Paolo : Mat et moi écrivons les textes et aucun concept maître ne les unifie tous.
Ptilouis : Pouvez-vous nous parler de l'inverstissement du Jack Stupid Collective dans Destrage ?
Paolo : Destrage travaille toujours avec le Jack Stupid Collective, car Mat (notre guitariste) en est l’un des co-propriétaire et le directeur de tous nos clips ! (sourire). Nous sommes comme une grande famille qui aime travailler ensemble et n’arrête jamais de créer. Et on est bien sûr de très bons potes. Le groupe et le collectif crée leur identité ensemble à travers les années se poussant dans la même direction comme une force.
Ptilouis : Je trouve l’artwork psychédélique très bon. Qui l’a dessiné ? Quel été l’idée derrière ?
Paolo : Cette fois, nous voulions changer le processus créatif concernant les visuels. Alors au lieu de partir d’un concept précis avec une simple idée et la retranscrire en image, nous avons d’abord commencé par un premier visuel clef rafraîchissant et inspirant, qui sera plus tard adapté au concept. Nous abordions cela probablement de façon trop cérébrale. Mat (aka The Jack Stupid Collective) faisait toujours très attention à l’identité visuelle de Destrage, mais sur
AYKM ?N. nous avons tous été d’accord que cela pourrait être bien de se fier à un point de vue extérieur, tout du moins au début pour briser la glace, et comme ça pendant le processus nous pourrions le modeler ensemble et le rapprocher de notre vision. Tout ce que nous avons dit à Marco
(ndlr: le type extérieur) était : «
Tu connais le groupe, tu connais les gens, voici l’album, écoute-le et revient avec ce que tu ressens. » Et comme Marco commençait à dessiner quelques propositions, nous ressentions juste que le truc était vachement frais et toujours proche de nous d’une certaine façon, parce que nous pensions que ce style monstrueux correspondait incroyablement et étrangement bien à notre musique. Nous avons pris le risque.Puis Marco est allé voir le Jack Stupid Collective avec les dessins et dans les studios le processus prit vie.
L’artwork est formé de façon géométrique, mais cette géométrie est cachée par un apparent chaos. Si tu enlèves le sens de désorientation et lis à travers ce chaos tu trouveras un sens. C’est exactement ce qui se passe avec notre musique. A propos des effets seventies… Ce n’est pas voulu. C’est juste venu au cours de la création. Nous pensons que notre musique a un fort aspect psychédélique qui peut baiser ton cerveau avec des couleurs pulsantes et des idées stimulantes. Bien sûr ce n’est pas lent et rêveur, mais plutôt délirant et saturé. Nous aimons appeler ça un psychédélisme lucide (rire). Nous avons discuté de l’artwork, mais le poster à l’intérieur en 36x36cm, dont l’artwork du CD n’est que le centre, te réjouira la rétine, ainsi que l’arrière du cd entièrement écrit à la main.
Ptilouis: Dans Are You Kidding Me ? No. Bumblefoot joue un solo de guitar. Comment cette collaboration s’est faîte ?
Paolo : Nous sommes tous de grands fans de Ron. Lorsque nous avions terminé la piste "Are You Kidding Me ? No.", nous sentions que quelque chose manquait à la fin. En fait, un solo de Bumblefoot manquait. Comme nous n’avions aucuns contacts avec lui, Mat a envoyé un mail à Mattias Ia Eklund, qui joue sur "Jade’s Place" (dans notre précédent album
The King Is Fat’n’Old) et est devenu notre pote (c’est vraiment un type cool !). Il lui a demandé une adresse, un numéro ou un quelconque contact pour joindre Ron. Mattias comme d’habitude a répondu très poliment, mais n’a pas donné à Mat ce qu’il voulait (c’est une personne très respectueuse). Alors Mat n’avait plus d’autres choix que d’aller sur le site web de Bumblefoot et d’écrire via l’adresse mail générale. Et surprise, Ron a répondu immédiatement nous disant que le morceau était super bien et qu’il souhaitait faire la collaboration. Il a prévenu Mat qu’il était en tournée avec les G'n'R en ce moment, et que donc nous devions attendre un mois environ. Nous avons pensé que c’était sa manière de refuser. Au lieu de cela, il nous a vraiment répondu lorsque la tournée était terminée, nous demandant ce qu’on voulait exactement, et nous lui avons répondu «
Nous voulons que tu fasses ce que tu veux pendant 32 mesures. » Quelques messages privés funs ont suivi et nous avons reçu notre solo parfait en trois jours. Cool. Le morceau semble être fait pour lui, comme il l’a dit aussi plus tard dans une interview. Donc, ce fut une bonne expérience, et lorsque nous rencontrerons le type en personne, nous l’aimerons encore plus. Ron déchire !
Ptilouis: Le son de votre album est très rentre-dedans avec les guitares bien en avant. Pouvez-vous un peu en parler ?
Paolo : Ouais, nous pensons que c’est le bon son pour
AYKM?N. Nous recherchions quelqu’un qui pourrait mixer des albums provenant de différents états d’esprits, genres et backgrounds, qui pourrait saisir le son du groupe et l’emmener à son meilleur. Will Putney a travaillé avec de gros groupes provenant de différentes scènes, nous avons donc pensé qu’il pourrait être la bonne personne pour nous, et définitivement il le fut.
Ptilouis : Vous avez fait deux clips différents "Purania" et "My Green Neighbour" pour cet album. Pouvez-vous nous en parler ?
Paolo : Pour "Purania", je devrais commencer par les paroles. Parfois, j’aime réécouter les albums de mon enfance. Je veux dire parfois, à peu près une fois par mois, et ressentir les sensations du passé. Je ne sais pas pourquoi, mais j’adore vraiment cela (sourire). Un jour c’était au tour du premier album des Spice Girls (suggéré par un bon ami) et ma première pensée fut : «
Wow, si des gens savait que j’écoute cet album, que penseraient-ils ? », mais ce que j’ai finalement pensé à la fin était «
Bah, j’en ai rien à foutre ». La seule phrase dans ma tête restait : «
J’aime les Spice Girls. Et alors ? » En réalité, le sujet du morceau ne concerne pas mes goûts musicaux, mais comment les gens devraient s’identifier à ses propres goûts.
L’histoire se déroule dans une cité imaginaire, Purania, où les choix personnels ont été bannis et où les gens sont contrôlés par un cerveau central qui détache une armée nommée Select&Defend qui est elle-même divisée en petites escouades de Blamers et d’Erasers. Pendant ce temps, un mouvement secret underground, que le gouvernement appelle Les Incohérents, prépare une révolte.
|
Concernant "My Green Neighbour", l’idée initiale était de faire une video avec les paroles, comme nous aimons tous les mots de cette chanson. Les lyrics vidéos sont souvent sous-estimées, leur potentiel créatif est immense, et il y a beaucoup à faire par rapport à ce que l’on a l’habitude de voir (des images de fonds prises aux hasard sur Google Images). Mat voulait filmer une séquence pour avoir un arrière-plan en mouvement et y mettre dessus une typographie faîte à la main. Un nuit, il est allé voir une scène d’improvisation au théâtre où son ami Andrea (le zombi numéro 2 dans la vidéo) jouait. Après le spectacle, il alla boire un verre avec lui et un des potes d'Andrea (le zombi numéro 3). Ils parlèrent d’une course d’obstacle de sept kilomètres et comme nous aimons les défis, nous avons hurlé «
Ouais, on peut faire ça ! » et nous avons signé. Réaliser que nous pourrions utiliser cette course pour la lyric vidéo ne prit pas plus de deux minutes. Après quelques coups de téléphones, l’équipe était prête et le truc était si cool que mettre en place tout le concept et l’esthétisme bas de gamme, les tenues, le maquillage, les corrections de couleurs et le type de design allèrent tout seul. Deux mois de dur entraînement suivirent pour être en forme. Le jour de la course fut une surprise pour tous. Nous n’avons pas gagné le marathon, mais à coup sûr nous avons gagné une place dans la mémoire des gens !