Winter : Salut à vous. Thomas, tu viens de me dire que tu as vécu en France quand tu étais petit, donc question cruciale: connais-tu le groupe français Gold ? Désolé de poser la question, mais je devais le faire…
Thomas: Je sais… Il y a toujours un Français ou deux pour faire une blague sur "Capitaine Abandonné", "Plus Près des Étoiles"…
(rires, même si à sa place j’aurais pleuré, ça doit être relouuuu…) Ça va même plus loin. Il y a quelques années, dans un fest, nous avons été interviewés par des gars qui ont commencé à nous parler en français… Ils n'étaient vraiment pas préparés parce que les autres Gold n’auraient jamais joué dans un festival comme ça…
(rires)
Winter : Comment se passe la tournée ?
Milena: Bien. J’ai été un peu malade, mais les shows se sont bien passés.
Thomas: Notamment en France. Comme nous avons joué au Hellfest, ça a eu un impact sur notre notoriété. Beaucoup de gens nous ont vu jouer au Hellfest et sont revenus nous voir.
Winter : Vous n’êtes pourtant pas le groupe dont la musique se prête le plus aux conditions du Hellfest… Vous n’avez pas eu de doutes quant au côté bénéfique d’une participation au festival ?
Thomas: Je pense que la programmation du Hellfest est suffisamment variée pour que nous puissions nous intégrer.
Milena : C’est aussi très agréable d’être considéré comme le « groupe bizarre », d’apporter un peu d’air frais.
Thomas: Et de toute façon, si tu nous mets sur une affiche d’un festival indie, on va être trop metal, trop lourds, trop sombres…
Winter : Vous êtes un peu entre deux mondes. Vous écoutez beaucoup de metal ?
Milena: Je n’en écoute pas beaucoup, non.
Thomas : Dans le temps, j’écoutais énormément de black metal, death, doom… Mais maintenant j’écoute trop de genre de musiques différents pour me considérer un pur metalhead. J’écoute encore beaucoup de metal, mais pas parce que c’est du metal, juste parce que c’est bon.
Winter : Pour moi, votre musique sonne vraiment indie. Vous me faites vraiment penser aux groupes indies des années 80/90. À cette époque, les gens qui écoutaient ça détestaient le metal, en général. Vous considérez-vous comme un pont entre ces deux genres ou les mentalités ont-elles juste évolué ?
Thomas: Sûrement un peu des deux. Après, nous nous considérons, plus que comme un pont, comme des destructeurs de cloisons. Un pont veut dire qu’il y a toujours des séparations, tandis qu’une fois qu’il n’y a plus de cloisons, l’espace est ouvert. Nous n’aimons vraiment pas les clichés, notamment le fait de se dire «
je suis un metalhead donc je dois me comporter de cette façon là et je dois avoir ce look ci… » ou «
je suis indie donc je ne vais pas écouter de metal ». Il y a plein de bonne musique, point. Quant à notre son, nous ne sonnons pas comme ça dans un but précis.
Winter : Pensez-vous que les cloisons ont été abattues ?
Thomas: Je dois dire qu’actuellement, nous trouvons plus d’écho du côté des metalheads que du côté de la scène indie. En ce moment, il semblerait que la scène metal soit plus ouverte d’esprit.
Milena: L’indie en ce moment est très liée à l’electro.
Winter : Tu n’aimes pas l’electro ?
Milena: Si, mais c’est quelque chose de très différent.
Thomas: C’est plutôt l’electro qui ne nous aime pas !
Milena: Ils doivent nous trouver trop old-school avec nos guitares, notre batterie, notre ambiance dark et heavy, qui contraste avec la plupart des choses qui se font en electro.
Winter : Pourriez-vous parler de votre évolution depuis vos débuts ? (NdW: Why Aren’t You Laughing? est le quatrième album du groupe)
Milena: Notre premier album, il est presque d'un autre groupe. Pas uniquement parce qu’il y a eu des changements de line up. Quand je l'écoute, j’entends toutes les erreurs typiques du débutant. Nous surjouions, autant Thomas que moi. On cherchait à prouver au monde que Thomas était un super guitariste virtuose et que j’étais une super chanteuse. Et du coup, nous ne l’étions pas…
Avec le deuxième album, nous évoluons. Il s’appelle
No Image. Nous voulions nous différencier des clichés metal: cheveux longs, femmes aux tenues moulantes, photos du groupe dans un cimetière... C’est là que nous avons trouvé notre positionnement actuel, tout en maintenant un son très rock et une composition des titres basées sur la qualité de la chanson plus que sur la recherche de sons.
Thomas: Tous nos titres sont composés au départ avec une simple guitare acoustique.
Milena: Même une chanson comme "Taken by Storm", qui sonne assez black metal, est au départ créée avec une guitare acoustique, ce qui est amusant. On a un peu de mal à imaginer Thomas en train de jouer autant de notes sur une guitare acoustique…
Winter : Qui écrit les chansons? Vous deux ?
Thomas et Milena: oui.
Winter : Vous êtes les leaders du groupes.
Milena: Oui. Nous commençons toujours à écrire chez nous. Nous sommes et vivons ensemble. Ça facilite vraiment les choses. Quand nous avons un moment libre, nous nous y mettons. Si nous étions six personnes à devoir composer, ça serait bien plus compliqué. En plus, il y a un climat de confiance. Quand j’écris, je me sens ouverte et tranquille, parce que je sais que je peux me tromper et ça ne sera pas un problème. Du coup nous écrivons beaucoup. Nous créons le noyau dur du morceau: les parties de guitares, voire celles de la basse. Puis les autres musiciens interviennent. Parfois nous y arrivons en une soirée, parfois nous avons besoin de plusieurs semaines pour trouver la bonne version du titre.
Winter : Vous n’aimez pas les clichés, mais tant pis. Le dernier album est-il celui de la maturité ? Vous avez l’être d’avoir beaucoup muri votre approche créative..
Milena: Je pense que oui, clairement.
Thomas: La maturité, ça signifie savoir qui tu es, ce que tu dois faire et comment te gérer. Je crois que c’est quelque chose que nous avons mis en place sur cet album. Le danger, c’est bien sûr de tomber dans le confort. Il faut arriver à évoluer, même si c’est plus l’apanage des enfants que des personnes mûres. Nous devons continuer à être intéressants.
Winter : Vous ne voulez pas devenir Iron Maiden ?
Milena: Non. Même si nous n’avons aucun problème avec Iron Maiden (NdW: pourtant, ça fait trente ans qu’ils ne font plus rien…)
Thomas: nous préférerions être comme David Bowie, qui n’a pas arrêté d’évoluer, de se réinventer. Ou Scott Walker.
Milena: Arriver à ce point où tu peux faire tout ce que tu proposes de faire, toucher aux styles que tu as envie de toucher. C’est un peu ce que nous faisons: nous choisissons les styles que nous aimons et les combinons. Nous ne cherchons pas à être dans un style ou dans un concept précis. Notre seul concept: c’est de faire la musique que nous devons faire, une musique éclectique et porteuse d’émotion.
Thomas: Nous sommes plus dans l’émotionnel, avec une personnalité affirmée, que dans un genre. C’est ça qui nous définit.
Parlons de l’album, Why Aren't You Laughing?. Est-ce une question que vous posez à l’auditeur ou une question qu’on vous pose à vous ?
Milena: Les deux. Bon, c’est surtout une question qu’on nous pose, ou qu’on me pose, dans ce cas précis. On peut voir ça depuis plusieurs perspectives. Il y a une perspective clairement féministe: c’est une question que beaucoup d’hommes posent aux femmes et que je ne comprends vraiment pas. Je n’ai pas besoin de sourire comme ça, sans raison. C’est une réflexion que les femmes se prennent souvent, car elles sont censées être jolies, bien disposées etc. Ce thème féministe mis à part, on peut également dire que la question est posée et que l’album y répond: tous les autres titres expliquent pourquoi je ne suis pas en train de rire en ce moment. C’est un album sombre, complètement ancré dans le réel.
Winter : Sans nains ni collines plongées dans la brume donc. Vous avez un message à faire passer ?
Milena: Nous essayons de nous débarrasser des clichés qui collent au metal, au rock etc. Nous essayons de ne pas parler de sujets qui n’existent pas, mais de vrais trucs. Il y a suffisamment de choses dont on peut parler dans notre monde.
Winter : Vous aimez la politique ?
Milena: Oui.
Thomas: Pas sûr qu’il y ait vraiment un message explicite, mais nous essayons de transmettre un message de fragilité et d’acceptation. Les gens devraient s’accepter comme ils sont et vivre leur vie comme ils l’entendent.
Milena: Oui, mais il y a également des chansons où je demande expressément aux gens de changer, d’écouter les autres, de s’ouvrir. Ce n’est pas seulement une histoire de fragilité, même si j’essaye d’être moi-même fragile, de prêcher par l’exemple. Histoire de faire comprendre aux gens les conséquences de leurs actes et que si nous prenons tous conscience des répercussions de ce que nous faisons, nous arriverons peut-être à résoudre les énormes problèmes du monde.
Winter : Vous évoquez la fragilité comme une qualité. Ça n’est pas commun, surtout dans la scène metal.
Milena: Oui, ce cliché «
macho »... Tu dois être fort. On nous impose la norme de devoir être toujours costaud, en toute circonstance. Et les filles doivent être jolies… Mais oui, pour moi, la fragilité c’est clairement une qualité. Il y a d’ailleurs souvent un paradoxe: quand tu parles avec un metalhead, tu le sens gentil et fragile, alors qu’il a un look et un comportement de gars dur. Quelque part, c’est quand même un paradoxe que j’apprécie. C’est comme les gothiques, ils assument à fond leur look outrancier et hors norme. Pour illustrer ce paradoxe: l’autre jour, nous avons joué "I Do My Own Stunts", l’un des morceaux où je parle le plus de la fragilité, et il y avait deux metalheads au look 100% metal qui chantaient les paroles. C’était touchant. J’ai eu la sensation que mon message passait. Assumer sa fragilité, son imperfection, c’est la chose la plus forte que tu puisses faire..
Winter : C’est une approche gothique des choses… Même si je ne vous classerais pas dans le gothique, car votre musique n’est pas romantique.
Milena : Ça serait une musique gothique très ancrée dans le réel, oui ! (rires)