William Spok

Entretien avec William Spok - le 23 avril 2021

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Winter

Une interview de




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Le nom de l'interviewé ne vous dit rien ? Les mots-clés suivant vous parleront peut-être plus : Morgan Von Feuster - Scholomance webzine - Bliss-Illusion. Toujours pas ? Dans ce cas, sachez que William a plusieurs cordes à son arc. Doctorant en anthropologie, passionné de Chine, de black-metal,  la conversation que nous avons maintenue s'est avérée très intéressante...

Winter: Salut ! Peux-tu te présenter ?

William : Je suis doctorant en anthropologie sociale et cognitive au Lapcos, à l’Université de Nice. J’étudie comment se construit l’identité chinoise à travers le metal et quels sont les enjeux qui se construisent autour, qu’ils soient politiques, religieux, sociaux ou musicaux.

Winter : Ressens-tu une véritable spécificité de la scène metal chinoise en comparaison avec les autres scènes, européennes ou asiatiques ?

William : Je ne connais pas toutes les scènes metal asiatiques. Je connais la chinoise, évidemment, la japonaise, celles de Hong-Kong et de Taïwan. La scène chinoise est différente oui, car elle s’est construite sur le tard, à la fin des années 80, début des années 90, plus tard qu’en Europe, donc. De plus, le pays était relativement fermé aux informations venant de l’extérieur. Ces dernières arrivaient soit erronées soit de manière partielle. Ça a beaucoup joué. La scène musicale s’est construite au niveau économique et social, indépendamment du reste du monde. Les groupes peuvent vivre en Chine, sans sortir du pays, dans des conditions musicales qui feraient rêver pas mal de groupes de par ici.

Winter : Ah oui, carrément…

William : Oui, oui. Quand ils arrivent à vraiment se professionnaliser comme Nine Treasures, ils font quelques concerts par an, sans même sortir d’albums, et arrivent à en vivre.

Winter : Quels sont les gros noms ?

William : Nine Treasures, donc, le groupe folk-metal mongol du moment, à la renommée mondiale. Avant cela, il y avait Tengger Cavalry, jusqu’à la mort de Nature. Il s’agissait du premier groupe mongol à arriver à s’exporter, notamment aux États-Unis. C'est la Mongolie intérieure, chinoise. Sinon, il y a Voodoo Kung-Fu, le pionnier du metal extrême, expatrié aux États-Unis, Tang Dynasty, les pionniers du heavy metal chinois, Hei Bao, pionniers du hard-rock/heavy, Zuriaake, le groupe de black metal, qui commence à être très connu, depuis qu’ils ont signé avec Season of Mist. Ce sont les gros noms, qui s’exportent bien.

Winter : Ta fascination pour la scène metal chinoise vient-elle de ta fascination pour le pays ou trouves-tu dans le metal chinois des choses que tu ne trouverais pas autre part, indépendamment de ton amour pour le pays ?

William : Les deux. Je suis un passionné de metal depuis que je suis gosse et je me suis rapidement intéressé aux pays d’Asie, en particulier à la Chine, car il y avait moins d’information disponible et donc il fallait vraiment aller la chercher et essayer de lier des contacts. Ça m’a demandé un engagement important et au final, je me retrouve à faire ma thèse dessus. Mais je pense que c’est à travers le metal que je suis arrivé à me fasciner pour la Chine en général. Après, tu ne peux pas séparer le metal chinois de l’histoire et de la culture chinoises. Le metal fait partie intégrante de la Chine moderne.

Winter : Y-a-t-il une position officielle du gouvernement chinois sur la « question metal » ?

William : Non, ils s’en foutent. Ils tolèrent tous les styles de musiques. Ça se complique quand les groupes revendiquent des identités locales fortes. Voodoo Kung-Fu, par exemple, a fait une chanson sur le Tibet. Leur leader, Li Nan, est engagé politiquement, c’est pour ça qu’il s’est expatrié aux USA.

Winter : On retrouve différentes positions politiques dans la scène. Des pro-gouvernements aux contestataires…

William : Oui, ça va de Holyarrow, qui revendique une culture Hokkien, avec sa propre langue, formation régionaliste, à Black Kirin, très pro-gouvernementaux. Eux, c’est « les Chinois c’est les gentils, les Japonais c’est les méchants ».

Winter : Ça crée des tensions entre les groupes ?

William : Ces groupes ne se côtoient pas. Black Kirin est à Pékin, Holyarrow à Xiamen, par exemple. De plus, pour ces deux exemples, si Black Kirin est relativement connu, Holyarrow est plus confidentiel.

Winter : Parlons metal extrême, je repose la question : la scène black metal chinoise est-elle différente des autres scènes black metal ?

William : Oui. C’est pareil. Toute la scène s’est construite pour elle-même et en elle-même, c’est transversal à toutes les strates du metal, surtout dans le black metal. où tout est poussé à l’extrême.





Winter : Ont-ils été tout de même nourris au sein des patriarches Bathory, Mayhem, Burzum… ?

William : Pas plus que ça. Ils vont plus te citer des personnes comme Li Chao que Mayhem, Burzum ou Marduk. Li Chao est le créateur d’Enmity, groupe de dark-ambient/depressive black metal qui a eu une très grosse influence en Chine, et d’Evilthorn, pionniers du black metal chinois.

Winter : Tu es toi-même manager d’un groupe de post-black, Bliss Illusion. Tu arrives à avoir  un contact étroit avec le groupe, malgré la distance ?

William : Oui, on communique via WeChat, le Facebook, Whatsapp, PayPal chinois. Tu fais tout avec.

Winter : Y-a-t-il un intérêt pour Bliss Illusion en Europe ?

William : Petit à petit, oui. Je suis très agréablement surpris. Le premier album, sorti via Anesthetize Productions, a eu un gros écho. On ne s’attendait pas à grand-chose, le label a dû presser plusieurs fois l’album, vu que les ventes ont dépassé nos attentes.

Winter : Leur musique reste assez près des images sonores que l’on a en tête ici vis-à-vis de la musique chinoise.

William : Oui. Ceci dit, la majorité des groupes sonne moins « chinois ». Mais en Occident, il y a un intérêt pour les groupes qui sonnent chinois. C’est un peu dommage, il y a d’autres groupes qui ne sonnent pas chinois mais qui sont de très bonne facture, comme Hellfire, un groupe un peu à la Sabbat/Abigail ou Explosicum, un excellent groupe de thrash. Ils ont beaucoup de mal à percer à cause de ça. Les gens recherchent de l’exotisme avant tout, c’est un peu dommage.

Winter : Les scènes metal chinoises et japonaises sont vraiment différentes ?

William : Oui. On en revient toujours au même point : les Japonnais ont été présents du départ, avec Loudness, Sigh,… Le Japon n’a jamais été coupé de la mondialisation du metal, alors que la Chine s’est pris Tien An Men et une fermeture au monde importante pendant plusieurs années, avec une censure d’internet et une mondialisation très relative. C’est une grosse différence avec les autres scènes.

Winter : Le black metal atmosphérique inclut-il très essentiellement des sonorités chinoises dans son atmosphère ?

William : Ça dépend des groupes. Pour Zuriaake ou Bliss-Illusion, c’est le cas. Après, « chinois » ça veut tout dire et rien dire. Zuriaake joue sur des atmosphères liées au taoïsme, au confucianisme, un peu au bouddhisme également. Tu es dans une ambiance très philosophique et poétique. Une partie de public de Zuriaake va voir le groupe pour l’aspect poétique et les paroles, alors qu’elle n’aime pas le black metal. Bliss-Illusion est ancré dans des atmosphères liées au bouddhisme, exclusivement. Dryad, le leader de Bliss-Illusion, veut créer une atmosphère propice au yoga pendant les concerts.

Winter : C’est une démarche d’adhésion ? Le black metal occidental se base au départ sur un rejet de la religion. Y-a-t-il des groupes qui brûlent le Tao Te King pendant leurs concerts ?

William : Non. Par contre, Li Nan a fracassé une statue de Bouddha sur scène. Après, il y a beaucoup de groupes qui jouent sur l’aspect satanique du black metal et du death metal, qui aiment l’aspect « floklorique » anti-chrétien de cette musique, sans être satanistes eux-mêmes. Le christianisme, ils s’en moquent.

Winter : Y-a-t-il un concept similaire à celui de Satan dans leur culture ?

William : Non. Tu retrouves les enfers tibétain, bouddhiste, taoïste, beaucoup plus violents et glauques que notre enfer à nous, mais il n’y a pas une figure comparable à Satan. Ils ont une ribambelle de divinités infernales, mais pas une figure comme ça.

Winter : Il n’y a pas le Mal, au singulier.

William : Il y a le dieu des enfers, Yamāntaka. Cette figure existe donc, mais ce n’est pas le mal. L’enfer taoïste est plus complexe. Ce dieu n’est pas le mal, il punit mais n’est pas une entité démoniaque.

Winter : Pour les choses que j’ai pu lire sur le Tibet, les démons ont l’air plus intégrés dans leur cosmogonie, moins mis au ban.

William : Oui. Il y a même un temple en Chine où tu peux aller faire tes offrandes aux entités responsables du paradis et de l’enfer. Les divinités infernales y côtoient les créatures célestes. La religion taoïste a également un côté très bureaucratique. Il y a plusieurs « secrétaires célestes », qui gèrent les différents péchés.

Winter : Parlons atmosphère. Ta maîtrise avait pour sujet l’atmosphère dans le black metal. D’entrée, tu distingues atmosphère et ambiance. L’une est inhérente au groupe, l’autre est plus volatile.

William : L’atmosphère se construit. Le groupe la crée, il la met en place via le corpsepaint, la musique, les mouvements scéniques, le visuel. L’atmosphère se ressent et est facilement saisissable si tu t’y attardes, tandis que tu as moins prise sur l’ambiance.

Winter : L’ambiance est quelque chose de plus contextuel…

William : Oui, l’ambiance peut venir de plusieurs atmosphères, celle du groupe, celle de la salle, du public, etc.

Winter : Pour toi, l’atmosphère  est quelque chose de fondamental dans un groupe ? Existe-t-il des groupes qui ne dégagent pas d’atmosphère ?

William : Non, c’est impossible. Il y a toujours quelque chose, même si c’est désagréable.

Winter : Machine Head dégage une atmosphère ?

William : Oui, oui. C’est obligatoire. Une atmosphère c’est quelque chose qui se construit à travers des dispositifs qui sont récurrents dans tous les groupes.  Tous les groupes sont sur scènes, ont un visuel, bougent.

Winter : Dégager une atmosphère n’est pas synonyme d’authenticité ?

William : Ça n’a rien à voir. Tout lieu dégage une atmosphère. « Authentique » ou non.

Winter : Tu es toi-même en quête d’authenticité ?

William : Le terme « authentique » est trop subjectif, trop sujet à interprétation. Il y a des personnes qui vont trouver Behemoth authentique  (NdW : naaaan), et d’autres pas du tout. Personne ne va avoir la même grille de critères pour dire si quelque chose est authentique ou pas. Disons que je ne suis pas dans une quête du truc le plus élitiste, le plus chinois, etc.

Winter : On associe souvent échec commercial et authenticité.

William : C’est un peu con. Iron Maiden me paraît très authentique. Pourtant en termes de vente, ils vont pas mal.





Winter : Que recherches-tu dans les groupes qui t’inspirent ? Qu’est-ce qui t’a fait flasher dans Bliss Illusion ?

William : J’ai vraiment eu un très très gros coup de cœur pour le groupe quand j’ai écouté leur premier album, même si j’aimais déjà bien ce que j’avais pu entendre du groupe auparavant. J’ai discuté avec le manager et me suis rendu compte que leur concept pourrait faire un excellent sujet de thèse, l’identité chinoise, le bouddhisme, etc. J’ai donc décidé de les rencontrer et de fil en aiguille, Dryad, le guitariste Wang Xiao et moi avons énormément accroché et beaucoup discuté de différents sujets. J’ai commencé à avoir envie qu’ils soient connus en France. J’ai contacté mon éditeur qui est également label et il m’a fait confiance. Le groupe a eu du succès, je suis devenu un peu leur manager de facto, puis de manière officielle. C’est l’humain qui a primé.

Winter : Tu envisages d’être manager d’autres groupes chinois ?

William : Non. Je fais ça sur mon temps libre. C’est chronophage, entre le démarchage des labels, la communication sur les réseaux sociaux, etc. Je le fais parce que ce sont devenus des amis très proches.

Winter : Parmi les autres groupes qui incorporent moins d’éléments chinois, y-a-t-il des groupes que tu aimerais voir percer ?

William : J’aimerais surtout que l’on s’intéresse au metal chinois en général et pas uniquement à ceux qui incorporent des éléments folk chinois, parce que ça a un effet très néfaste sur la scène chinoise.   Beaucoup de groupes commencent à se folkloriser de façon très stéréotypée dans l’espoir de percer en dehors de la Chine, et ça n’apporte rien à leur musique. J’aimerais que les gens laissent de côté ce qu’ils pensent savoir de la Chine. La scène metal chinoise est très peu liée aux décisions gouvernementales. Notre vision de la culture chinoise est très biaisée. Les gens voient souvent la Chine comme elle était avant la révolution, c’est-à-dire en 1910, avec les costumes etc. C’est faux. Ils ont une pop culture très développée, par exemple.

Winter : Quelles sont les prochains évènements du côté de Bliss Illusion ?

William : Il y a quelques semaines, nous avons sorti le premier extrait du nouvel album, qui s’appelle "Mutki". Il a eu un bon écho, il a fini dans le top écoutes sur Bandcamp. Il est prévu pour la fin de l’année. Dryad a également sorti le premier album de son projet solo, Tassi.

Winter : On peut espérer les voir en concert un jour ?

William : Oui. Avant la pandémie, on avait commencé à bosser sur leur venue. Comme c’est un groupe qui a une forte identité bouddhiste, il y a des structures culturelles qui peuvent être intéressées pour les faire jouer. En Chine, ils ont déjà joué dans un musée… Dans le même style, Nine Treasures ont pas mal travaillé avec l’institut Confucius et des musicologues chinois. Des étudiants venaient voir leur utilisation des instruments folkloriques mongols et écouter le chant diphonique mongol.




   





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