Decline of the I

Entretien avec A.K. - le 13 juin 2021

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Winter

Une interview de




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Johannes ou L'herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin. Pour le début de sa nouvelle trilogie, basée cette fois sur l’œuvre de Kierkegaard, A.K. a laissé un peu de sa colère au placard et l'a remplacée par... par quoi exactement ? Une sorte d'apaisement désabusé ? Réponse ci-dessous.

Winter: Salut, comment vas-tu ? La situation actuelle a-t-elle affecté ta créativité ?

A.K. : Salut. Pour le premier confinement, je me suis dit que c’était une excellente occasion pour créer un maximum et en fait, ce n’est pas du tout venu comme j’imaginais, notamment à cause de la pression que je m’étais moi-même mise. « Tu es chez toi, c’est une occasion en or, etc.etc. » Malheureusement, l’inspiration ne vient pas sur commande, ce n’est pas un truc de robot, d’autant plus que nous étions juste avant l’enregistrement du dernier album en date. Donc ça n’a pas été très prolifique. C’était en tout cas intéressant de constater que les moments où je peux être créatif sont également des moments où je suis très occupé et qu’à l’inverse, certains moments de liberté ne sont pas propices. Ça dépend des personnes : j’ai des amis qui ont profité du confinement pour faire trois albums et d’autres qui n’ont rien fait du tout. Dans mon cas, ceci dit, j’ai la chance de ne pas avoir à gagner spécialement de l’argent avec ma musique, je n’ai donc pas de pression de productivité, et là, ça tombait bien, vu que mes muses n’ont pas spécialement été présentes à ce moment-là.

Winter : Dans ton cas, l’inspiration se nourrit peut-être de mouvement…

A.K. : Oui, c’est vrai. Par le passé, je m’étais déjà isolé à la campagne pour créer. Ça avait été prolifique, mais je pense que c’était parce que je n’étais pas enfermé dans une maison. Je faisais de grosses balades dans la forêt ou dans les champs, il y avait du mouvement. Et puis aussi, pour ce premier confinement, il y avait une ambiance étrange. Tout le monde était un peu sidéré. Il y avait une certaine angoisse, même si on s’est rendu rapidement compte que ce n’était quand même pas la peste noire. Ça a dû jouer.

Winter : Es-tu satisfait de Johannes ?

A.K. : Je suis ravi, ce qui est rare. J’ai dû sortir environ vingt-cinq albums, je suis un peu blasé, même si c’est toujours un petit miracle de se dire qu’un projet vaguement embryonnaire va être écouté par du monde un peu aux quatre coins de la planète. Mais disons qu’il y a toujours un écart entre l’idéal « platonicien » de l’album tel que tu le conçois quand il commence à naître et le rendu final, figé pour l’éternité, et c’est bien rare de ne pas avoir quelques petites déceptions. Pour Johannes, non. On a fait vraiment énormément de mix, de mastering. J’avais une super équipe autour de moi, qui m’a aidé à m’accrocher, à ne pas lâcher et aller jusqu’au bout du processus. Je valide chaque seconde de l’album, tant au niveau de la composition qu’au niveau du son ou de l’exécution.

Winter : Vu de l’extérieur, j’ai beaucoup aimé l’album. Je l’ai trouvé plus compact, plus homogène et mélancolique que les autres… Il y a une atmosphère un peu plus posée, entre apaisement et résignation.

A.K. : Ce n’est pas quelque chose qui était clair pour moi dans le processus. Mais tu n’es pas le premier à me faire cette réflexion, et globalement, je suis d’accord. Après, l’album évoque le stade esthétique chez Kierkegaard. Il y a donc la figure du dandy, l’amour de la beauté, qui implique une certaine mélancolie, avec ce désir d’éphémère du présent qui nous échappe. A partir du moment où j’ai choisi cette figure, ça a dû jouer inconsciemment. J’avais également choisi dès le départ de ne pas utiliser de boucles électroniques, boucles qui auraient pu donner quelque chose de plus froid, torturé, violent. Ne pas les avoir a sûrement « adouci » l’album. J’ai remplacé ces arrangements électro par une approche plus metal classique.

Winter : Oui, il y a une touche doom, une touche triste – « les bras m’en tombent » - et du coup je ne visualise pas du tout les mêmes choses en écoutant Johannes qu’en écoutant la trilogie précédente.

A.K. : Johannes est moins triste, c’est sûr, plus désespéré. Il y a même quelques mots tirés du Traité du désespoir, de Kierkegaard, à la fin de l’album. J’aime bien me renvoyer à mes propres cheminements. Et là, je reviens un peu à mes premières amours « Love-Lies-Bleedinguesques », avec vingt ans de plus et donc quelque chose en plus. J’assume mon passé, j’aime bien le black sympho, le black mélancolique. Je n’ai pas non plus fait un album à la Empyrium, mais je suis content de retrouver ces sonorités mélancoliques, romantiques, qui font un peu plisser les yeux.

Winter : Tu as pondu une trilogie dédiée à Laborit, où tu jouais ta vie, quelque part. Tu la finis et, hop, tout de suite, tu repars sur quelque chose de gros. Ça n’a pas été dur ? Tu n’as pas eu l’impression d’avoir déjà dit ce que tu avais à dire ?

A.K. : Si, si, je me suis posé la question de savoir si j’avais encore des choses à dire, un peu comme quand, à l’époque, j’avais arrêté Love Lies Bleeding. A ce sujet, j’ai une anecdote : deux années de suite, je m’étais ménagé des moments de composition dans une maison dans le Charolais, et la première année où j’y étais allé, je n’avais aucun plan préconçu. Je ne savais pas pour lequel de mes groupes j’allais composer. C’était à la période où je bouclais Escape. Dès le dimanche soir, j’ai commencé à composer des trucs et je me suis rendu compte le lendemain que c’était du Decline of the I. Et donc c’était reparti. Ça s’est imposé à moi, je n’ai pas eu à tergiverser.

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Winter : Kierkegaard te tient autant à cœur que Laborit ?

A.K. : Pour Laborit, il y avait quelque chose de gris qui me servait quasiment dans mon quotidien. Avec Kierkegaard, l’approche est plus littéraire. Je l’avais lu pas mal pendant dans mes études de philo et j’avais été séduit par l’image du dandy. L’idée de la trilogie m’est venue lors des randonnées que je fais tous les ans sur les chemins de Compostelle. Il y a eu un moment « eurêka ». Je me suis mis à le relire et je me suis dit que c’était bon, que l’univers de Kierkegaard allait sous-tendre la musique que j’allais composer. J’ai pu ainsi définir la petite règle du jeu pour le nouvel album : faire que mes compos se colorent de l’image du dandy. Du coup, je suis beaucoup moins allé sur les passages dissonants. Ces images constituaient une sorte de nudge, une incitation douce m’accompagnant, m’aidant à vaincre le syndrome de la page blanche.  Une présence discrète, je n’avais pas pour but de faire une mise en musique de Kierkegaard, mais disons que l’influence était là.

Winter : Johannes, c’est toi ?

A.K. : Dès que j’ai eu l’idée pour le titre de l’album, j’ai ri intérieurement, car Johannes Climacus est à la fois un des pseudonymes de Kierkegaard et mon « nom » sur les réseaux sociaux. Après, ça reste de la private joke, puisque je ne suis pas ami de tant de gens que ça sur Facebook. Plein de personnes ne vont pas associer les deux. Ceci dit, il y a un peu de moi quand même. Ces trois stades, esthétique, moral et religieux coïncident avec des questions que je me pose, moi. J’ai l’impression d’avoir passé toute ma vie plutôt dans le stade esthétique, ne pas aimer les responsabilité, adorer la figure dionysiaque de l’éternel présent. Je n’ai pas fondé de famille, je ne me suis pas marié, je n’ai pas connu ce moment où les décisions sont censées ne pas reposer que sur les désirs individuels mais sur des valeurs « au-dessus » de soi. Mais voilà, j’ai quarante ans maintenant. Ai-je envie de continuer à être cet éternel post-adolescent ? C’est en phase avec la progression un peu dramatique décrite dans l’album, ce dandy qui a de plus en plus de gueules de bois. Il se dit « ok, je me suis bien amusé, mais est-ce que ce n’est pas un peu vain ? » Cette éternelle répétition de l’intensité, cette recherche perpétuelle de la jouissance, toujours plus difficile à atteindre… Cette recherche perpétuelle impossible à culminer, le côté insaisissable du vrai objet de la jouissance, cette nostalgie de l’intra-utérin, que Lacan a conceptualisé, le dandy a conscience du caractère vain de tout ça, mais ça ne l’empêche pas de repartir chaque fois dans un nouveau cycle de plaisirs. Quelque part, je m’identifie à ça et à l’amertume que tout cela amène. J’aurais pu prendre un autre nom que Johannes pour intituler l’album, mais ce choix permet de situer l’album dans cette zone grise entre roman et autobiographie.

Winter : Quel regard porte Kierkegaard sur la figure du dandy ? C’est une figure transitoire qui doit évoluer ?

A.K. : Alors, on a tendance à voir les trois figures correspondant aux trois stades comme quelque chose de hiérarchisé et presque chronologique, mais en fait, ces trois parts là coexistent en nous. Après, la figure du religieux, dans l’intimité de Dieu, la figure d’Abraham, reste le stade à atteindre. Kierkegaard lui-même, tout en étant très religieux, a néanmoins commis un acte très emblématique de la figure du dandy à savoir séduire une jeune femme avant de rompre les fiançailles au dernier moment. Passer aux fiançailles, c’est un acte du stade éthique, et Kierkegaard s’empêche à ce moment-là de l’atteindre.

Winter : Quel accueil est réservé à Johannes ?

A.K. : Il est très bon, oui. Les chroniques sont bonnes et les points de vue, intéressants. Même si j’ai composé l’album, je suis plus dans une logique de groupe désormais, et j’ai pu avoir plus de recul que d’habitude. Pendant l’enregistrement, en cas de doute, je consultais les autres pour savoir quelle version préféraient-ils de tel ou tel passage, chose que je ne faisais pas auparavant. J’ai eu donc plus de pistes sur la qualité de l’album avant sa sortie, mais ça reste un cercle fermé. Donc c’est toujours intéressant de voir la réaction des gens à la sortie. Et, comme toi, beaucoup de personnes ont ressenti cet aspect mélancolique et lumineux que je n’avais pas aperçu avant. Et même point de vue ventes, ça ne va pas mal, ce qui ne gâche rien.

Winter : Ça s’est bien passé avec Déhà ?

A.K. : C’était la première fois qu’il faisait notre mastering et ça a vraiment été super. Avec les mecs qui font le mastering, ça peut être rapidement l’usine. Tu écoutes une ou deux options, et si tu n’es pas content, tant pis pour toi. Avec lui on a dû faire sept ou huit mastering différents, on est même revenus un peu sur le mix. Entre Déhà, qui est plus « nouvelle école », qui a peu de hardwares, et Benoit, qui, pour le coup, ne travaille qu’avec des vraies machines, c’était vraiment comme si je comptais avec deux membres du groupe en plus. C’était vraiment super.

Winter : A l’époque de notre première interview, tu n’avais pas encore commencé les prestations scéniques. Depuis, Decline of the I joue live. Es-tu satisfait de vos shows ?

A.K. : Oui, ça a été une histoire assez phénoménale, même si on a joué à peine un an. C’est parti un peu sur un coup de tête. Ça a été une sorte de vraie rencontre entre les différents membres du groupe. On se connaissait déjà, mais de loin, et nous sommes devenus très proches. Une petite famille s’est formée autour du projet live.

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Winter : J’ai pris une grosse baffe au Tyrant Fest 2019. Vous aviez été énormes, même si vous aviez un peu fait peur aux gens avec le son de basse… Et puis, en live, "Enslaved by Existence" est juste dingue. Penses-tu que c’est un de vos meilleurs titres live ?

A.K. : Oui. Lors de notre premier concert, à Nantes, au Ferrailleur, on l’a joué rapidement et on a eu la sensation que c’est avec ce titre que le groupe est né sur scène. Je pense qu’on le conservera. D’autant plus qu’on prend beaucoup de plaisir sur ce titre « Carmina Buranesque » qui se nourrit aussi de choses plus obscures. On y a réuni un peu tout ce que j’avais envie d’entendre dans un titre. Quelque part, on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Pareil pour le live, j’avais envie de concerts sans blancs, sans de « Bonsoir Paris ! », avec de la vidéo qui ne soit pas des images de la Seconde Guerre Mondiale (NdW : lol). J’avais envie de jouer avec la gueule de Maurice Ronet ou de Cioran derrière moi, donc on a l’a fait. On a fait également deux concerts avec des danseurs. C’est peut-être pompeux, mais on essaye de donner un peu dans « l’art total ».

Winter : Le jour où les concerts reprendront, l’ambiance va-t-elle changer avec les titres de Johannes ?

A.K. : On devrait garder les mêmes impératifs visuels, a priori. Nous allons d’ailleurs jouer en livestream prochainement. Ça va être une expérience bizarre.

Winter : En même temps, vous gardez une certaine distance avec le public, donc dans le fond, ça peut marcher.

A.K. : C’est sûr qu’on n’est pas un groupe de thrash, c’est donc moins frustrant. 

Winter : Tu as déjà du matériel pour le prochain album ? 

A.K. : J’ai quelques idées. J’ai aussi un morceau complet de neuf minutes, que je ne trouvais pas pertinent sur Johannes, je verrai si ça peut convenir pour le suivant, ou celui d’après. Le metal est un genre où on essaye encore de se prendre la tête à faire des albums et pas juste des successions de titres. Il y a donc besoin d’une cohésion. "Je pense donc je fuis" d’Escape a été composé dès Inhibition, mais il ne trouvait sa place ni sur celui-ci ni sur Rebellion, donc il s’est retrouvé sur Escape. J’ai toujours du matériel à droite, à gauche, parfois on ne le retrouve nulle part. Donc j’ai la matière mais je n’ai pas encore trouvé le fil conducteur. 

Winter : A l’époque de notre première interview, tu exprimais ton angoisse quant à la mort, quant à ta disparition. Tu en es où ? 

A.K. : Je pense que j’ai toujours ce bug mental qui fait que je n’imagine pas pouvoir disparaitre un jour, mais je pense que je suis serein et équilibré. Là, très classiquement, c’est plus la décrépitude que la fin elle-même qui m’angoisse. J’espère que les années m’apportent quand même un peu de sagesse. Après, on a la philosophie de son corps. Je me sens moins flamboyant qu’avant. Les gueules de bois durent deux jours… Par contre je n’ai pas encore l’envie de fonder une famille. J’ai encore en ligne de mire ce principe du plaisir, plus difficilement maintenant à obtenir qu’avant, parce que mon corps n’est plus ce qu’il était. Après, je retiens les leçons. Je ne suis pas complètement tête-brûlée, à serrer les dents et à foncer encore et encore. 

Winter : Tu n’es pas rock’n’roll jusqu’au bout… 

A.K. : Je n’ai surtout pas le corps pour l’être. En fait, pas grand monde l’a. Je me souviens de discussions avec des amis, quand nous avions vingt ans. Ils disaient « je m’en fous, j’arriverai jamais à quarante ans ! » Arrivés à trente-cinq ans, ils disent que finalement, c’est un peu tôt pour partir… 













   






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