CHRONIQUE PAR ...
Fly
Cette chronique a été importée depuis metal-immortel
Sa note :
17.5/20
LINE UP
-Mark Hollis
(chant+guitare+claviers)
-Tim Friese-Greene
(claviers)
-Lee Harris
(batterie)
+ divers
TRACKLIST
1)Myrrhman
2)Ascension Day
3)After the Flood
4)Taphead
5)New Grass
6)Runeii
DISCOGRAPHIE
Si The Colour Of Spring était l’album de la transition et Spirit Of Eden, celui de la rupture, alors Laughing Stock, le cinquième album de Talk Talk, est l’album de la continuité. Mark Hollis, maintenant totalement maître de son destin musical, peut finalement mettre de côté la frustration et la colère qui ont marqué la réalisation du précédent album du groupe. La séparation d’avec EMI est consommée et elle laisse place à un profond sentiment de sérénité.
Sérénité, voilà le maître-mot qui caractérise la musique présentée sur Laughing Stock. S’il n’atteint pas encore le sommet d’austérité que sera l’album éponyme de Mark Hollis (sorti en 1998), il reste néanmoins beaucoup plus dépouillé que Spirit Of Eden. Encore plus que sur ce dernier, le rythme contemplatif des morceaux est accentué par l’instrumentation presque classique. Mais là où son prédécesseur frappait immédiatement par sa beauté surnaturelle et fulgurante, Laughing Stock met du temps à révéler toutes ses richesses.
L’élaboration de l’album y est encore une fois pour quelque chose. La pause qui a suivi la douloureuse gestation de Spirit Of Eden ne s’est pas faite sans heurts. Ainsi, le bassiste Paul Webb a définitivement quitté le groupe, qui se résume désormais au noyau Hollis/Friese-Greene/Harris. Le batteur va d’ailleurs prendre une importance toute particulière sur ce bouleversant chant du cygne. Son jeu est maintenant clairement inspiré du jazz (l’utilisation prépondérante des cymbales et la caisse claire toute en apesanteur évoquent d’ailleurs parfois le bouillonnant Elvin Jones) et son influence sera majeure. Le grand DJ Shadow lui-même ne s’y trompera pas et samplera le rythme d’introduction de "New Grass" sur le morceau "Rabbit In Your Headlights" de UNKLE.
Le duo Hollis/Freese-Greene va quant à lui pousser à l’extrême l’expérience tentée trois ans plus tôt. Les longues sessions d’enregistrement réunissent plus d’une dizaine de musiciens différents (principalement des cordes et des cuivres) qui n’ont aucune idée précise de la direction que prendront leurs contributions. La sélection finale effectuée par Hollis et Friese-Greene est impitoyable, compte tenu en particulier du perfectionnisme de plus en plus maladif de Hollis. Ce dernier accorde une importance capitale à la moindre note et surtout au silence, qui occupe une place essentielle sur l’album. Ce n’est pas pour rien que la première note du disque ne résonne qu’après un long silence (ou plutôt un léger souffle à peine perceptible) de... quinze secondes! On ne pouvait rêver meilleure introduction que ce "Myrrhman".
Le résultat d’une telle méthode de travail aurait pu s’avérer catastrophique, mais c’est tout le contraire qui se produit. La cohésion et la profondeur de l’album impressionnent même encore davantage dans ces conditions. La sobriété de l’ensemble permet de souligner comme jamais la majesté des lignes de chant de Hollis, dont la voix atteint ici des sommets. C’est d’ailleurs le seul élément auquel l’auditeur peut se raccrocher pour saisir toutes les nuances de ce disque difficile. En effet, si malgré leur minimalisme, des morceaux comme "Myrrhman" ou "After The Flood" peuvent sans trop de difficultés accrocher l’auditeur grâce à leurs mélodies délicates, il en va tout autrement du quasi-bruitiste "Ascension Day" (qui aura sûrement inspiré beaucoup de post-rockeurs avec son ébouriffant crescendo final) ou de l’effrayant "Taphead" (sur lequel les interventions des cuivres frôlent plus que jamais la dissonnance). Il faudra y mettre du sien pour tenir le coup et s’envoler vers les cieux à l’écoute du sublime "New Grass". Les quelques notes de guitare clôturant "Runeii" sonneront alors comme des instants d’éternité.
Après avoir constamment changé de style à chaque album, les musiciens de Talk Talk semblent cette fois-ci être arrivés à la fin d’un cycle. Même si Spirit Of Eden et Laughing Stock sont assez différents, la similarité de leur structure et de leurs thèmes démontre bien que le groupe ne pourra pas aller plus loin. C’est donc tout naturellement que l’aventure prend fin peu après la sortie de l’album. Hollis s’enfoncera encore davantage dans le mutisme et la solitude, pour n’en ressortir que sept ans plus tard et quitter définitivement le monde du rock avec ce qui est probablement l’un des disques les plus calmes jamais sortis. Entre-temps, toute une génération de musiciens aura heureusement eu l’occasion de mesurer l’influence considérable de ses deux dernières œuvres.