La chimère, qui s'est réellement faite un nom avec la tuerie qu'était The Impossibility Of Reason, est de retour avec un nouvel album, sobrement appelé Chimaira. Et quel retour pour ce groupe américain évoluant dans un registre metalcore assez prononcé: la musique de Chimaira n'a jamais été aussi brutale et alambiquée! Mark Hunter et sa bande se sont rudement compliqué la tâche, vu l'ampleur que prend ce nouvel effort.
Évacuons d'entrée la question de la production et du son: une nouvelle fois mixé par un des maîtres en la matière, Colin Richardson, cet album est un régal pour les oreilles. Mais la surprise n'est pas là. Elle tiendrait plutôt dans la surenchère de plans de guitare, de double pédale (Talley est carrément monstrueux sur certains morceaux), de breaks, de riffs thrashisants énormes (l'influence de Pantera est prégnante sur "Bloodlust"). Les Américains tiennent une forme olympique et cela s'entend. Cumulant les morceaux in your face où la guitare, au son incroyable, évolue en roue libre ("Nothing Remains", "Inside The Horror"), soutenue par une section rythmique affolante, variant les tempi, les harmoniques de guitares et autres joyeusetés de ce genre, Chimaira ne rend pas la bête facile à maîtriser. En ce sens, plusieurs écoutes attentives seront nécessaires pour commencer à distinguer les subtilités de cet album (et il y en a un paquet, je vous le certifie), qui, disons-le honnêtement, ne laisse tout de même pas un grand espace de liberté à la mélodie, mais place plutôt son fondement sur des riffs modernes et carrément surprenants pour du Chimaira ("Left For Dead", "Everything You Love").
Attention, cependant: les samples de Chris Spicuzza, trame de fond des albums précédents, se fondent maintenant presque totalement sous des rythmiques virulentes, voire presque bruitistes par moments ("Comatose"), tout comme le chant clair - ici uniquement utilisé en choeurs ("Salvation") - superposé au chant résolument « core » de Hunter. Mark Hunter, qui abat ici un travail très propre, mais virant parfois à la démonstration pure et dure. Une autre surprise se trouve en la présence de deux morceaux épiques et avouons-le, carrément progressifs: "Salvation" (doté d'un riff d'une beauté ahurissante) et "Lazarus", deux des meilleurs morceaux du groupe, où la recherche musicale sur les ambiances témoigne d'un travail d'écriture léché. Les riffs à l'influence orientale, au rendu sombre et inquiétant, font un malheur. Les samples et les chœurs doublés forment une enveloppe sonore ici tout à fait adaptée. "Lazarus", en bon morceau final, donne envie d'en reprendre une louche, après quelques écoutes difficiles qui ne laissent tout de même pas indifférent, mais qui laissent plus perplexe que séduit.
Le principal problème de cet album (et en même temps, sa plus grande qualité, à mon avis) est, en effet, qu'il est d'une rare complexité. Loin des carcans néo-metal du médiocre Pass Out Of Existence, Chimaira évolue en bonne et due forme, ce qui risque d'en laisser plus d'un sur le carreau. J'avoue commencer à aimer franchement cet album, alors qu'hier encore, il me paraisssait assez monotone et imbu de sa personne. Privilégiant la recherche rythmique et les cassures de ton à la mélodie formatée et pré-mâchée, Chimaira a très certainement voulu réaliser un album qui tient sur la durée et là, c'est réussi. Compact mais foisonnant (peu de compositions au-delà des cinq minutes, ce qui ne l'empêche pas d'aligner sept ou huit plans différents au sein du même morceau!), plus rythmique que mélodique, Chimaira s'oppose, en bon cadet qu'il est, au superbe et plus accessible The Impossibility Of Reason, qui restera le sommet incontestable de la discographie du groupe américain, du moins pour le moment. Un pari étonnamment prometteur pour Chimaira: la note témoigne, en ce sens, de la prise de risque majeure du groupe sur ce disque vénéneux. Impressionnant, mais attention au revers de la médaille...