Essayons, pendant quelques instants, d’imaginer un monde meilleur. Un monde sans cynisme, sans préjugés et sans hype. Bon, dit comme ça, ça a l’air un peu ennuyant. Pourtant, dans ce monde (pas si) idéal, la musique de Coldplay serait probablement appréciée pour ce qu’elle est : une musique certes naïve et qui se prend parfois un peu trop au sérieux, mais surtout mélodique comme rarement et souvent inspirée. Leur troisième album, X&Y, y serait estimé à sa juste valeur, c’est-à-dire celle d’un petit bijou de pop merveilleusement interprété et arrangé.
Malheureusement (ou pas), nous ne vivons pas dans ce monde. Nous vivons dans un monde où, pour les gens dans le coup, Coldplay est un groupe sans âme, qui a commis avec X&Y un album surfait, surproduit, surmédiatisé et, au bout du compte, totalement méprisable (ou insignifiant, c’est selon). Tout avait pourtant bien commencé pour eux. Dès leur premier album, Parachutes, le succès était au rendez-vous, avec raison. Chose surprenante, leur deuxième album, le très moyen A Rush Of Blood To The Head, semblait même avoir réconcilié le public et la critique. Mais les retards accumulés, l’attente presque démesurée et les circonstances controversées entourant la sortie de X&Y (un album conçu sur mesure pour se vendre par camions entiers et ainsi faire plaisir aux actionnaires d’EMI, faut-il le rappeler), sans parler de son succès mondial, auront presque suffit à faire oublier toutes les qualités de l’album et du groupe. La cause est maintenant entendue : Coldplay est dépassé.
Et le fond dans tout ça? Le fond? Mais voyons, tout le monde s’en fout! Que X&Y regorge de mélodies imparables, de refrains parfois faciles, oui, mais fédérateurs surtout, et soit porté par un son d’une beauté presque surnaturelle, personne n’a l’air d’en faire grand cas au final. Sauf le grand public, bien entendu, mais ce sont des veaux de toute façon. Alors affirmer qu’X&Y est le meilleur album de Coldplay à ce jour, vous n’y pensez pas! Quoique... Il s’agit bel et bien, au moment d’écrire ces lignes, de leur album le plus abouti, le plus cohérent et le plus constant en termes de qualité. Soyons clair, cette affirmation ne veut pas dire grand-chose en soi. Après tout, le meilleur album de Coldplay sera toujours pire que le pire album de Radiohead (pour prendre un exemple d’actualité), non? Mais si l’on s’en tient à la pop de qualité, il est clair que Coldplay occupe le haut du pavé.
Le fait que de nombreuses critiques s’attaquent au groupe (et en particulier à Chris Martin) autant qu’à sa musique est assez symptomatique. On accuse le groupe de proposer une musique facile et boursouflée, remplie de bons sentiments, et d’avoir l’ambition de devenir les prochains U2. Si l’on s’attardait un peu plus sur leurs chansons, peut-être pourrait-on admettre qu’ils ont les moyens de leurs ambitions. Pour apprécier pleinement ces chansons, il faut juste les prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire de la pop de haut calibre. Essayer de descendre un album de pop parce qu’il est accrocheur jusqu’à en être parfois un peu niais (les paroles n’ayant ici pas grand intérêt, il faut bien le dire), c’est comme reprocher à un album de metal de manquer de finesse. Ça n’a pas de sens.
Vous voyez? Ce n’est pas pour rien qu’il faut attendre le cinquième paragraphe pour en parler, de ces foutues chansons. Pourtant, Dieu sait qu’elles sont difficiles à manquer. Dès les premières mesures de l’épatant "Square One", les choses sont claires : « You’re in control, is there’s anywhere you wanna go? » Le son est énorme, les claviers, rutilants, et Chris Martin, impérial. Sur "What If", le groupe enfonce le clou grâce à refrain hors du commun et des arrangements de cordes confondants de majesté. Le troisième morceau finit par nous achever définitivement : "White Shadows" plane très, très haut, faisant durer la plaisir pendant deux longues minutes avant de nous envoyer à la gueule un autre refrain libérateur et totalement démentiel, et de finir sur des nappes d’orgue célestes qui rappellent fortement les plus beaux passages d’Afraid Of Sunlight de Marillion. Rien que ça. Trois morceaux, trois baffes. Et ce n’est qu’un début.
De ce fait, on pourrait quasiment tous les citer. Le final extatique de "Fix You", les lignes vocales de "Talk", l’intro à couper le souffle du morceau-titre, le pont de "Speed Of Sound" (chanson bien meilleure que "Clocks", au passage) ou la mélodie irrésistible de "The Hardest Part", n’en jetez plus, la coupe est pleine. Le groupe peine un peu à maintenir un tel niveau jusqu’à la fin de l’album, la faute à des morceaux un poil moins inspirés comme "A Message" ou "Swallowed In The Sea", mais parvient à redresser la barre grâce à un "Twisted Logic" au final encore une fois grandiose et à un "Til Kingdom Come" acoustique et bienvenu. Le rendu sonore est, faut-il le préciser, à la hauteur des compositions qu’il sert. L’omniprésence des claviers est sans doute pour beaucoup dans la déception de certains (elles sont loin, les délicates guitares de Parachutes) et on est parfois proche du trop-plein, mais, malgré tout, l’ensemble tient impeccablement la route.
Vous l’avez compris, X&Y est une belle réussite venant d’un groupe qui n’a, espérons-le, pas fini de nous surprendre. Il ne vous reste qu’à choisir votre camp. Êtes-vous prêts à faire rire de vous? Êtes-vous prêts à subir les pires quolibets? Car aimer Coldplay, ce n’est pas facile. C’est un combat impitoyable contre un ennemi vil et sournois, qui vous pourchassera sans répit pour vous faire comprendre à quel point vous devriez avoir honte. Oui, nous en sommes arrivés là.