Non, non ne partez pas tout de suite ! Ok, je sais, la pochette est vilaine, et ce que vous lisez à gauche dans la case « genre » vous pousse déjà à cliquer sur « précédente » ou même à fermer la fenêtre avec un soupir. Vous feriez une grave erreur. Pas seulement parce que si vous faites ça, je serai chez vous dans six minutes avec un instrument contondant et lourd (ça vous apprendra à zapper mes chroniques, non mais), mais surtout parce vous passeriez à côté d’un objet fort intéressant auquel vous ne vous attendez sans doute pas.
Parce que – je le sais - vous vous attendez encore à un de ces projets pompeux à la Malmsteen (rappelez-vous, son album avec un orchestre plein de petits japonais shredders qui accompagnaient notre bedonnant suédois), avec déboulées de gammes mineures et une tétrachiée de moments de bravoure. Eh bien pas du tout. Enfin, si, un peu, d’accord : mais pas uniquement. Parce que le Orchestrate de Harris n’a pas grand-chose à voir avec ce que le commun des mortels (donc vous) peut s’imaginer, la tête pleine d’images perverties à coups de ventripotents guitaristes aux cheveux sales déboulant leurs gammes sur leurs manches, avec leurs gros doigts boudinés mais sans génie (n’insistez pas, je ne donnerai pas de nom).
Non, Michael Harris rajoute ici une composante singulièrement essentielle : l’élégance. Indéniablement, Harris fait du shred instrumental (et même, disons-le, orchestral) mais ça serait une erreur de résumer cet album à cette définition limite insultante dans la bouche de certains. Harris fait plus que ça, ou plutôt : il fait mieux que ça. Pour ceux qui ne connaissent pas le bonhomme (et on ne peut pas leur en vouloir), il sort ici son 6e album solo, et a joué dans des groupes mondialement connus (rires) comme Arch Rival ou Surgeon. Plus récemment, il a été débauché par Kuprij pour jouer avec lui sur ses derniers albums en date, Revenge et Glacial Inferno. Quoique dans l’ombre, Harris a donc un passé riche et varié, puisque ses albums solos passés n’hésitaient pas à regarder du côté du prog expérimental teinté de heavy (et déja de sonorité néo-classiques, bien sûr, comme le prouve le clin d'oeil "Octavian II", référence à son titre "Octavian..." paru...en 1991 !).
Orchestrate se veut donc plus classique dans la forme, moins barré que ses productions passées, mais plus pertinent puisque plus séducteur. L’orchestre en question, quoique virtuel, est utilisé avec parcimonie et intelligence. Virtuel certes, mais la qualité sonore est loin d’être cheap, les instruments simulés se mariant avec puissance aux guitares saturées de Harris. Souvent accompagné d’une section rythmique, le gros de l’album présente donc une facette majoritairement heavy metal. Rassurons donc les lecteurs qui craignaient de voir ici une seconde version de l’Opus Concerto Truc de Malmsteen : on se rapproche plus ici de Symphony X (instrumentalement) ou de Kuprij, c'est-à-dire un mix réussi entre orchestrations, envolées guitaristiques et rythmiques metal.
Au menu, dix titres variés et expressifs. Mais surtout, là où la facilité pousse à se tourner vers des plans éculés néo-classiques puisés dans les harmonies baroques, Harris se tourne vers des orchestrations plus contemporaines, ancrés dans la période romantique avec de forts relents harmoniques venant de l’Est, plus Rimski-Korsakov, Tchaïkovski ou Rachmaninov que Bach, Rameau ou Vivaldi. Il n’y a qu’à écouter les premières notes glaçantes de "Notes From The Kursk" où en deux accords, Harris nous met en image les marins russes enfermés dans leur cercueil sous la mer. Ou le furieux "Battle At The Storm’s Edge" et son thème répétitif qui gagne en intensité, épaulé par une audacieuse montée chromatique. Ou encore le déluré "The Mad Composer’s Rage" qui porte très bien son nom, puissant, technique et alternant moments de respiration et cavalcades furieuses.
Harris oublie par moment complètement son orchestre et nous livre des pièces plus classiquement heavy dans la forme, mais toujours avec ce je-ne-sais-quoi de classieux dans le phrasé des guitares ("Schizo Forte" et son thème lead bien tordu ou le plus calme "Mysterioso" et sa thématique partagée entre la douceur et le mystère). Vous l’aurez compris en lisant ces dernières lignes, pour une fois le titre des chansons est totalement mis en image par les compositions de Michael Harris, ce qui est assez rare pour être souligné. Encore une autre preuve : le titre "The Anti Shred", thème lent et très expressif (ou comment une guitare saturée peut exprimer la douceur…), à des années-lumière de la notion de shred…Harris joue donc de son image de virtuose et prouve qu’il est capable de prendre du recul voire…de la hauteur.
Michael Harris, shredder de l’ombre, sort ici une œuvre qui vaut le détour, et que tout amateur de musique instrumentale se doit d’au moins écouter, ne serait-ce que pour se forger une opinion. Loin des considérations de virtuosité pure (même s’il prouve à de nombreuses reprises sur Orchestrate qu’il connaît son affaire), Harris tente une approche de l’exercice radicalement différente de celle de (au hasard) Malmsteen : moins jusqu’au-boutiste, plus consensuelle, mais bien plus intéressante. Vous avez tout lu ? Oui ? Vrai ? Bien. Je peux donc ranger mon AK 47, dormez tranquille. Jusqu’à ma prochaine chronique de shred…(rire satanique qui s’éloigne dans le lointain).