Ne les traitez pas de groupe de math-rock ! Ils n’en veulent pas. Car passé leur look de premier de terminale scientifique option maths, des titres de leurs chansons sur leurs premiers EP, et de la présence de Ian Williams (Don Caballero) à la guitare et aux claviers, le groupe « ne s’enferme pas dans une pièce avec des calculettes pour composer » pour reprendre ce que dit Dave Konopka. Ouais bon, en y regardant de loin, et même de près, le rapprochement avec la mouvance math rock est quand même assez légitime.
Mais Battles insiste sur un point essentiel : ce qu’ils jouent ne vient pas d’équations ou de nombres irrationnels. Promis, juré. Alors pourquoi ne pas laisser une chance à Mirrored, premier album d’un super groupe qui n’a rien d’un suiveur dans le monde effervescent du rock et de l’électro. Tout d’abord un gros plan sur ces messieurs qui jouent dans une boîte en verre (cf. le clip d’"Atlas" pour les plus curieux, grandement conseillé) : au chant (si tant est qu’on puisse appeler ça comme ça), à la programmation et aux claviers, Tyondai Braxton, le fils du jazzman avant-gardiste Anthony Braxton. A la batterie, John Stanier, membre du puissant combo Helmet. A la guitare et aux claviers… On l’a déjà dit. A la basse, Dave Konopka, tout droit venu de chez Lynx. Bon ok, niveau références, ça fait mieux que tenir la route, mais c’est pas comme si seules des références suffisaient à faire un bon album et un bon groupe.
Mais Battles a d’autres atouts pour se faire connaître, le premier est que cette joyeuse bande est signée sur le célèbre (pour sa qualité) label Warp. Evidemment, là encore ça ne fait pas pour autant de Mirrored un album intéressant, mais la qualité de « filtre » de Warp ne peut que jouer en la faveur de Battles, c’est certain. Ensuite, les prestations du groupe en live ont suffi à le faire grimper dans les hautes sphères de la scène rock, et même dans la hype. Une hype de tout bord qui plus est : les jazzeux curieux de voir ce que le rejeton Braxton fait de son héritage, les métalleux intrigués par le background du groupe et la présence de Stanier, les rockeux enthousiastes à l’idée de voir un groupe à fort potentiel laisser libre cours à son talent, mais aussi les fans assidus d’électro, qui lorgnent toujours d’un œil intéressé les sorties Warp. Un public éclectique et conquis.
Merde, mais la musique quoi ! C’est pas le public qui fait acheter un album (encore que…). La musique n’est pas facilement définissable. Imaginez un son organique mais cérébral, imaginez des séquences aussi strictes qu'hypnotiques, des parties vocales trafiquées aussi improbables que prenantes. Parce que prenant, Mirrored l’est, la première écoute donne juste envie de le réécouter, tant et si bien que des morceaux comme "Tonto" ou "Atlas" finissent par rester dans la tête et ne plus vouloir en sortir ! Le même effet qu’un Mika, le côté cérébral en plus, le côté chiant au long-terme en moins, vous voyez le genre. Dans un groupe aussi paradoxal, les influences ne le sont qu’autant : citons Bark Psychosis, les Talking Heads, Mr Bungle, Aphex Twin, Gong ou encore Steve Reich. Ca vient de tous les bords, et ça fait du bien.
On n’a rien entendu de tel depuis des lustres, et le peu de groupes qui semblent sonner de la même façon (Liars, Animal Collective) en sont bien loin malgré tout. Car le côté orgasmique d’une chanson comme "Atlas" dépasse de loin l’entendement : la caisse claire destructrice, l’aspect afro-beat majeur, les effets vocaux étonnants et détonants, les nappes de claviers hypnotiques… On tient là un des titres de l’année, sinon le titre de l’année. L’efficacité des premiers morceaux est juste effarante, le sauvage "Race :In", "Atlas", ou le vertigineux "Tonto". C’est finalement à cause de cette première partie tout bonnement hallucinante qu’on finit par trouver le principal défaut de Mirrored : son hétérogénéité.
Soyons honnêtes jusqu’au bout, la deuxième partie n’est pas mauvaise à proprement parler, loin de là, elle possède même un soubresaut final excellent avec "Tij" et dans une moindre mesure "Race :Out", mais un manque de rythmes accrocheurs, de nappes enivrantes, et de tension si caractéristique de la musique du groupe font retomber le soufflé. Mettons ça sur le compte de la jeunesse relative du combo, car nous avons là affaire à un groupe à suivre, soyons-en convaincu, la preuve par cet album qui à défaut de dépasser les espoirs qu’on pouvait avoir en lui est tout sauf un pétard mouillé.
Trop carré, trop prétentieux, pas assez rock, pas assez spontané… Le collectif Battles vient de balayer tous ces avis à l’emporte-pièce du revers de la main et de la plus belle façon. Justement auréolé dans pratiquement tous les classements de fin d’année 2007 par la critique, le premier rejeton de ces joyeux lurons à tout d’un album dont on parlera encore dans plusieurs années. En attendant : vivement le prochain.