« No light without Darkness », ça m'évoque ce livre que je n'ai pas encore terminé, Against Hapiness, mais dont les pages m'ont paru criantes de vérité, celui qui place la mélancolie et de manière générale l'expérimentation par l'être humain de ses propres douleurs au centre de tout, comme le plus puissant révélateur de la beauté, nous éloignant d'un monde de bisounours. N'avons-nous pas expérimenté il y a si peu encore, de nouvelles douleurs ? Pertes brutales, peur, stupeur, torpeur, impuissance, incompréhension, acceptation ou révolte, voire simplement chagrin ? Mais ces émotions jalonnent toujours nos vies. Nous en retirons quelque chose. Elles ont leur place. Elles font de nous ce que nous sommes.
« No Light Without Darkness »... Le concept album que nous offre aujourd'hui la formation suédoise The Great Discord démarre en douceur, sur des notes de piano et un grondement d'orage qui sourd en arrière-plan. Puis c'est le chant des cordes, ensuite une voix, éloignée, et enfin cette accélération et cette chair de poule qui monte sans que l'on puisse la maîtriser … Un silence … Et c'est la jetée. "The Angin Man". Magnifique piste, catchy à souhait, où la voix de Fia se révèle en un instant, déjà, dans toute sa splendeur. Rauque ou haute, puissante, passionnée surtout, simplement stupéfiante. Le titre produit instantanément une envie de se jeter en avant, une contraction du ventre, guidée par une rythmique imparable et des accords de gratte lourds de sens. J'ai usé la piste dite « facile d'accès » à l'excès tant elle m'a fascinée. Et tout restait encore à découvrir, avec oh bien des délices. La musique de The Great Discord est en effet, a priori, très facile d'accès. Le groupe pratique un doom death teinté de pop qui marque d'emblée les esprits. Rapidement, les mélodies s'inscrivent. Passé "Angin Man", sans aucun doute "L'Homme Mauvais" viendra titiller votre cortex par son rythme emprunt de sursauts, ses attaques sèches de guitare, le phrasé sensuel et les chuchotements de Fia, les touches de delay, son piano délicat et ses élans atmosphériques. Peut-être encore "Selfæta", le titre, plus « attendu », ses accents grandiloquents (ne serait-ce que son introduction qui donne envie de s'armer d'une pelle pour creuser !), son phrasé impérieux, mêlant voix claire et voix death, ne lésinant pas sur la notion de pesanteur ? D'autres au contraire vous sembleront plus dispensables. Ainsi "Angra Mainyu" qui n'apporte pas grand chose et où l'ennui tend à poindre, ou encore "Illuminate", bien nommé, presque trop léger, trop « radio friendly » par rapport aux titres introductifs ?
Passées plusieurs écoutes cependant, on commence à s'intéresser au fond des choses. L'album est, comme je l'ai évoqué plus haut, centré sur la douleur et procède de façon théâtrale. Ainsi, "The Aging Man", illustre un être vieillissant qui attend son heure, mais dont le sentiment de rébellion face à cette fatalité est flagrant dans cette montée très immédiate en puissance. "Selfæta" raconte quant à elle la vie et la mort d'un ermite cannibale. Sur ce titre, l'atmosphère est particulièrement plombée et le dialogue chant masculin/chant féminin illustre le paradoxe évident du propos. "A Discordant Call", narre l'histoire et les épreuves d'un psychopathe souffrant de problèmes d'identité. "L'Homme Mauvais", n'est autre qu'un nécrophile narcissique. Des illustrations bien exagérées me direz-vous. The Great Discord joue sur le théâtralisme, je l'ai dit. L'image est la musique. L’émotion, aussi ahurissante qu'elle puisse paraître, est portée en sons. Et pas uniquement. Je vous invite en ce sens à visionner l'éloquent clip qui a été fait de la touchante "Woes". Rien d'innovant en soi dans ce titre. Une simple chanson triste et douce qui nous bercerait presque, où le ton de la résignation se ressent pleinement, jusqu'à ce que la voix s'élève pour fendre l'air, comme un cri. Le chagrin pur. Illustré dans cette vidéo par un masque blanc, celui de Fia, maquillée à la manière des pantomimes, s'exprimant en langage des sourds. Le chagrin pur : la pensée exaltée par le chant, mais son expression réelle bloquée dans le silence. Parlons encore de "Eingengrau" et de son approche de l'addiction à la drogue. Un chaos musical initial qui représente la lutte intestine de l'esprit entre le besoin et la conscience de la mort, puis, cette acceptation de la destruction de soi, illustrée par une musique presque apaisée, structurée. Oui. Des images. Pour porter des idées. La musique, hein ? Comme si souvent !
Nous en sommes là. Cet album tourne autour de cette acceptation des éléments qui nous entourent, de ce contre quoi nous avons peine à lutter, de ce contre quoi nous ne pouvons même pas penser à lutter : impulsions, émotions, événements, cycles …. Et dans l'accueil que nous faisons de ces éléments qui nous impactent sans cesse. L'artwork, d'ailleurs, n'est-il pas lui même tout à fait éloquent ? Musique riche de sens. Le seule reproche que nous pourrions adresser à The Great Discord sur ce premier essai, est de ne pas encore avoir atteint une maturité suffisante pour parfaitement amener son propos avec une identité propre et percutante sur l'ensemble de l'enregistrement. En effet, les références du groupe se font ressentir, au point que l'on peut s'interroger sur la capacité de ce dernier à s'en détacher. En ce qui me concerne, et parmi les Meshuggah, King Crimson, Genesis et consorts avancés par les membres du groupe, c'est la patte d'un The Mars Volta qui m'apparaît comme la plus criante. Probablement cela tient-il au timbre de voix si particulier de Fia qui, pourtant très féminin sur certaines pistes, en devient presque androgyne sur d'autres et se prête merveilleusement au répertoire de Cédric Bixler, révélant ainsi son talent à naviguer d'une émotion à l'autre ? Mais pas que. Sans présenter des morceaux à tiroir aussi chiadés, des surprises très comparables se révèlent au fil de l'écoute et surtout les atmosphères dépeintes s'en rapprochent fortement. The Great Discord ne cache pas cette affiliation, comme en témoigne l'EP dont nous parlerons prochainement et la reprise d'"Inertiatic ESP" qui en est faite avec brio. Mais en comparaison, les titres plus personnels avancés par la formation semblent moins colorés, plus fouillis, en quête de justesse. Espérons simplement que ce ne soit qu'une recherche initiale d'orientation et que le groupe saura affirmer son identité pleinement, car la manne est belle et bien là. Indéniablement.
Duende s'achève sur la sublime "Ephemeral". Et seul l’éphémère dure, dit-on. Une dernière note ô combien prenante, presque cinglante dans son émotion. Je n'ai jamais aimé les conclusions, j'aime mieux l'idée de laisser glisser cette sensation inspirante que m'a laissé cet album, le beau mêlé au douloureux, et laisser filer les derniers sons, jusqu'à cette pluie d'orage qui nous a accueillis tout au début ; me plaire à croire que bien des choses nous seront offertes encore à l'avenir, portée par la musique. N'est-elle pas l'art qui porte le sens des choses à sa plus belle expression ?
À Bixl3r et Isa