Le débat sans fin des enfants de légende : réussissent-ils par talent ou par renommée ?
Peut-on exister après Papa lorsque celui ci, plus de vingt ans après sa mort, continue de faire « jazzer » ou rocker un grand nombre ayant vécu la période ou ne disposant que de l'héritage artistique? On remarque que dans bon nombre de domaines, pas seulement la musique, certains enfants se font le relais (ou le commerçant) artistique et temporel de l’œuvre du géniteur. D'autres passent le cap et trouvent leur voie, peut être facilitée sur certains aspects, mais tellement plus difficile sur d'autres. Le nom couplé au talent réel de la personne est d'ailleurs la variable de réussite ou d'échec. Comment exister, même avec du talent, lorsqu'on s'appelle Zappa? La chronique n'est d'ailleurs même pas débutée que l'introduction ne parle que de Frank. Et Dweezil dans tout ça ? Et bien celui ci propose Via Zammata', son dernier album en date.
Depuis les années de jeunesse totalement barrées faites de projets solo ou accompagnés de son frère Ahmett (dans le groupe, le plus facile à trouver sur le net : Z) l'histoire retient globalement un talent réel, non seulement pour la guitare où le terme utilisé à l'époque fut celui de guitar-hero, mais aussi un style propre de composition, d'un sens réel de la mélodie couplé à des textes simples, drôles mais loin de tomber dans la basique niaiserie. La première triplette Havin' a Bad Day (1986), My Guitar Wants to Kill Your Mama (1988) et surtout Confessions (1991), permet non seulement au guitariste d'élargir un réseau propre de connaissances dans le monde de la musique, mais aussi d'obtenir des galons légitimes de musicien professionnel (même si restait toujours une critique facile et polémique de quelques aigris, prompts à rabaisser la descendance en la confrontant à l’œuvre du paternel). Les suivants et fraternels Shampoohorns et Music for Pets donnaient l'impression effectivement que le groupe profitait de l'héritage culturel, génétique et monétaire pour jouer à la musique et (un peu quand même) jouer leur musique sans la contrainte de devoir plaire à quiconque. Automatic, dernier album solo de type démonstration de guitariste clôturait la jeunesse, car le projet Zappa Plays Zappa allait occuper les deux frères à l'initialisation, puis Dweezil seul sur plusieurs années.
Plus de dix ans que le fiston prodige (ayant notamment eu pour professeur Van Halen) rend hommage partout dans le monde à l’œuvre du paternel et de ses différentes créations. La première mouture avait tellement eu d'impact sur les anciennes générations et les nouvelles n'ayant jamais pu voir live le phénomène, que l'entreprise Zappa a pris le temps d'organiser plusieurs tournées mondiales faites de compositions de groupes variables, mais toujours en ayant pour valeur le respect total de la spiritualité musicale du daron moustache. L'expérience a forcément forgé le bagage de notre intéressé qui, de facto, a cessé de composer le temps de déchiffrer et de s'approprier les partitions des morceaux les plus connus et pas forcément les plus simple à maîtriser de la disco de Papa. Et lorsque les tournées fussent achevées (sur la fin de la dernière à dire vrai) l'envie d'écrire et de se pencher de nouveau sur les compositions en chantier depuis bien longtemps, est revenue. Afin de financer le projet, un appel de fond est organisé. Le succès est tel que l'objectif est rapidement atteint puis totalement « explosé ». Message simple et clair d'un public dans l'attente du Zappa fils autonome et guetté pour son œuvre personnelle.
Ainsi donc, douze nouveaux morceaux (plus ou moins) originaux pour une cinquantaine de minutes vont pouvoir servir de point à date. Où en est Dweezil en 2015? Et bien le garçon, avec son attitude cool et nonchalante, débute son nouveau LP comme une transition (ou une continuité) par un "Funky 15" totalement Zappa ! Un morceau qu'aurait parfaitement pu écrire Frank. De l'intro au solo, on se retrouve immédiatement sur le chouette terrain connu du rock progressif, généreux en idées, et on abandonne la réserve dont on faisait preuve les quelques seconde avant l'écoute. Le mélange des orchestrations hautes lovant la guitare et ses méandres mélodiques durant cinq minutes dessinant de facto un sourire aux oreilles impatientes et curieuses, mais de suite récompensées. On enchaîne alors sur un "Rat Race" plus rapide, « rock quasi Billy » et démarqué dans le style pour aussitôt tomber sur le très heavy "Dragon Master", pré-composé par Frank pour être terminé ici par le fils. Et le résultat est non seulement sublime de la composition et son texte à son fantastique coda (qui pour le moment reste encore en tête depuis sa découverte), mais tranche définitivement tous les à-priori et dorénavant vaines discussions de comptoirs.
Voilà un garçon qui est réussi à mûrir et s'épanouir malgré l'incroyable pression qui pouvait peser sur ses épaules pour tenter de jouer de la musique après son père. Bien évidemment le reste de l'album va convaincre, mais au sortir de ce troisième titre il n'est plus utile (voire totalement hors sujet ou « débile ») de comparer les deux musiciens. Dweezil Zappa est totalement inspiré par son histoire familiale sublimée par l'entreprise (et le mot est juste finalement) Zappa Plays Zappa lui ayant permis à la fois d'aller au plus prêt de l'inspiration de son père tout en se l'appropriant, puis l'intégrant à son approche musicale. Le devenu guitariste-virtuose peut dorénavant s'affranchir de tout devoir de prouver quoique ce soit à qui ce soit sur sa musique. "Malkovich" relaie d'ailleurs le constat où l'acteur-lecteur d'un texte classique est repris en refrain par un décalé « John Malkovich..What' s the fuck are you talking about », également entraînant et faisant mouche. Le premier tiers a levé tous les doutes et les critiques faciles, il ne reste qu'à se laisser aller sur la suite.
Et comme sur les précédents albums, le guitariste nous promène dans un rock aéré s'autorisant quelques sorties parfois blues, parfois pop ; et en très bonne compagnie au regard de la longue liste d'invités ayant participé. Malgré le nombre de convives, le son est remarquable et donne une existence et une présence juste à tous les instruments, toujours au service de la composition et de la mélodie. Et histoire de ne surtout pas oublier que le protagoniste est d'abord un guitariste naturel, les solos émaillant les titres sont toujours d'apparence simple, mais tous composés de mille variations et détails sublimant ces derniers. L’instrumental "Truth" est un pépite de taille lingot, un petit chef d’œuvre de guitare rendant hommage à tous les professeurs et guitaristes pouvant l'avoir un jour inspiré. L'album, avec le recul, renvoie finalement à Confessions : la maturité et l'expérience en plus, mais avec toujours la même sincérité et la (fausse) simplicité des compositions agrippant son auditeur pour lui procurer plaisir et contentement. Cinquante minutes plus tard, l'album aura convaincu l'amateur de la famille : du fils au père et le novice qui, si cela était possible, ne connaîtrait aucun des deux.
Dweezil , fils de Frank, se fait l'un des meilleurs témoins de la prodigieuse œuvre Zappa. Il est un guitariste virtuose doublé d'un compositeur sachant écrire de son coté des chansons ou morceaux très agréables, avec une identité propre et une approche personnelle nourrie notamment de son histoire et de facto de l’œuvre paternelle. Et c'est tout. Aucune autre comparaison n'est alors viable et nécessaire. A 46 ans et avec Via Zammata' , Dweezil peut continuer tranquillement à jouer, tourner et composer, il a dorénavant son public et réussit ainsi avec classe le difficile exercice artistique de vivre au delà d'un héritage dont la responsabilité empêche certains enfants dans la même situation de s'épanouir pleinement.
*(From Zappa website)
- Kurt Morgan / bass, vocals
- Ryan Brown / drums, percussion, vocals
- Scheila Gonzalez / saxophones, flute, vocals
- Chris Norton / keyboards, vocals
- Ben Thomas / vocals
- Shawn Albro / vocals
- John Malkovich / vocals
- Kendal Cuneo / trumpet
- Sioned Eleri / clarinet
- Jason Camelio / trombone
- Song Birds (Gabby Moreno, Danielle DeAndrea, Erica Canales) / vocals
- The Dweezettes (vocals) :
°Zola Zappa,
°Ceylon Zappa,
°Megan Zappa,
°Mia Marsicano,
°Mathilda Zappa Doucette
- Emily Elbert / vocals
- Kaitlin Wolfberg / violin
- Clair Courchene / viola
- Thomas Lea / cello
- Dannon Rampton / violin
- Joe Guzzo / percussion
- Scott Martinez / percussion