Non, Shades Of Black n’a strictement aucun lien avec la parodie américaine à sortir de Fifty Shades Of Grey. D’ailleurs ici on ne sait même pas combien de nuances comporte le noir, mais le fait qu’il puisse potentiellement y en avoir cinquante ne serait que le pur fruit du hasard. En attendant, nous allons nous tourner vers le projet solo de cet Américain nommé Matt Zuleger.
Pour ceux qui sont un minimum au fait de l’existence du monde djentique, vous n’êtes pas sans savoir que les projets solitaires sont légion. Évoquons à la va-vite celui de l’Allemand Jonathan Schnitzspan (à vos souhaits) intitulé ForTiori, et ceux des Américains Nick Roberts, nommé Mysarium, ainsi que l’éponyme Sean Hall. S’il n’est pas rare de voir émerger ce genre d’ambitions, c’est qu’il suffit, de nos jours, de posséder une caméra, du matériel et un minimum de talent, et c’est parti pour écumer la toile à coup de « guitar (ou drum) playthrough ». Ces exhibitions visuelles dans lesquelles on peut admirer l’artiste interprétant ses propres compositions. Un moyen comme un autre de se faire connaître, bien appuyé par la création d’un site Bandcamp, sur lequel n’importe quel internaute peut acquérir les œuvres de l’artiste, parfois gratuitement, souvent au prix qu’il veut.
Matt Zuleger et son projet Shades Of Black – car il est aussi membre des groupes Chased By Captives, Receiving Specialist et Sweetwater – font donc partie de cette entreprise nouvelle. S'étant lancé en 2006, le jeune autodidacte a fait ses preuves en une dizaine d’années en sortant ni plus ni moins que quatre albums et deux EPs, tous à partir de 2011. Si l’album Road Trip 2.0 (faisant suite à l’EP Road Trip) avait plutôt marqué les esprits des djent-followers, son retour avec l’EP Ocean : The Prelude laissait entrevoir un concept-album basé sur les systèmes géologiques, du plus ancien au plus récent (de l’Ordovicien au Crétacé pour être exact). Et l’album Ocean de nous faire croire à une suite (géo)logique. Que nenni, puisque les noms des chansons ne suivent plus le même thème, et ce ne sont pas l’absence de lyrics qui vont nous apporter une quelconque aide à ce sujet.
Car Matt Zuleger a beau être multi-instrumentiste, il a quand même délaissé la voix pour se concentrer sur les autres éléments. Enfin, la guitare pour être plus précis, le rôle de la batterie étant assuré par un simple (mais efficace) logiciel de programmation. Et la basse ne lui a pas semblé nécessaire. Reste donc sa guitare Ibanez six cordes – et non pas sept, ce qui est rare dans le monde du djent – pour assurer le boulot. Et c’est d’ailleurs ça qui est fou et qui donne une telle particularité au son de Shades Of Black. Il utilise un tel accordage qu’on arrive difficilement à se faire à l’idée qu’il ne gratte que six cordes. Une sonorité aussi lourde que grave, complètement représentative (voire stéréotypée ?) du style djent. Écoutez la chanson d’ouverture "The Scorpion King" à 1’38 ou la djentonic "Impending Circumstances" à 1’04 pour en juger.
Autre tendance propre au jeu du gamin de Fort Wayne dans l’Indiana, l’utilisation de sonorités orientales, pour ne pas dire presque exclusivement arabes. Omniprésentes, on les retrouve éparpillées dans les ouvertures – assez similaires – de "The Scorpion King" et de l’excellente "Impending Circumstances", tout comme dans l’interlude "Samurai Sunrise", ainsi que dans le solo de "To Colossus". L’utilisation d’une guitare acoustique pour les trois premières citées n’est pas étrangère à cette touche folklorico-exotique. Projet progressif oblige, on a forcément le droit à des chansons d’une certaine longueur comme "The Sacred Union" qui dépasse les huit minutes, et la conclusion éponyme "Ocean" qui frôle les neuf. Progressif certes, mais technique à la fois comme en attestent les whale scrapes sur la sublime et sombre "Face Of The Skies" ou le tapping sur "Impeding Circumstances". Et oui, le djent ne s’éloigne jamais très longtemps, vous le savez.
Approchant les soixante minutes, Ocean nous emmène aux confins d’un monde oriental et progressif à la fois. Doté d’une certaine atmosphère pesante mais à la fois relaxante et aérienne, Shades Of Black possède un son très particulier auquel il a su recourir au fil de ses albums, et malgré l’absence de vocaux qui peut amener à une certaine lassitude chez un auditeur non-habitué à de l'instrumental, l’écoute de cet album reste extrêmement agréable pour tout grand amateur de djent/prog qui se respecte. Rendez-vous dans très peu de temps pour la sortie de son prochain album The Gates.