CHRONIQUE PAR ...
Lucificum
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
9/20
LINE UP
-Tiago Nunes
(chant)
-Fabio Sperandio
(guitare)
-Antonio Costa
(basse)
-George Duarte
(batterie)
TRACKLIST
1)Parricide
2)Transmutation
3)Abyss of Alienation
4)Divine Stigma
5)Nominating the Oxen
6)Cauterization
7)Urutu
8)The Ghost
9)Neuropsychoperverse
10)Variacoes 1
11)Art of War
12)G.O.D.?
13)Eradicating the Paradigm
14)Diabolism
15)Sub-Race
16)Preludio No. 4
DISCOGRAPHIE
Vous connaissez certainement cette vue de l’esprit destinée à donner une idée de la notion de hasard ? Prenez 7 milliards de singes qui tapent au hasard sur 7 milliards de machines à écrire, au bout de 7 milliards d’années l’un deux aura écrit du Shakespeare (ou la Bible, le Coran ou un mode d’emploi en Finnois d’un épluche-légumes électrique, mais ça rend mieux avec du Shakespeare si vous voulez épater vos collègues). Eh bien partant de là, affirmons que si on remplace les machines à écrire par des instruments de musique et qu’on se contente de disons…10 singes, eh bien en moins d’une heure, l’un d’eux jouera du Ophiolatry.
Qu’on ne se méprenne pas : cela ne signifie pas que les membres d’Ophiolatry ne savent pas jouer. Au contraire, on insistera sur la technique des musiciens, bien présente. Par contre, et c’est là que cette subtile introduction était censée vous amener, la musique de ce Transmutation est totalement imprévisible, déconstruite, incohérente ; une musique qu’une fonction de randomisation (des singes, quoi) un peu évoluée pourrait produire. Ophiolatry, pour creuser un peu plus, s’inscrit dans la lignée philosophique (hum) du grind : des titres courts, sans structure, purement viscéraux et sans jamais de baisse de tension. Et comme chacun sait, le grind est une musique qui va à l’encontre de la nature humaine, elle-même faite de variations, de nuances, de hauts et de bas.
En voici la démonstration scientifique : si vous devez établir un menu pour recevoir des amis, vous pouvez très bien choisir un plat épicé. Précédé d’une saveur un peu vinaigrée et suivie d’une douceur sucrée, le piment passera tout en douceur. Qui aurait l’idée de proposer un menu avec entrée/plat/dessert, tous les trois copieusement relevés ? Eh bien Ophiolatry (pause culturelle : l’ophiolâtrie représente le culte ou l’adoration des serpents), c’est comme du grind, on ajoute une bonne louche de Tabasco à chaque étape du repas (oui oui, y compris dans le café). Et nous voici donc avec 16 titres tous très courts, très violents et intenses. Synthétisons nos deux allégories, celle du singe et celle du piment : on aura alors une bonne idée de l’orientation de ce Transmutation ultra-violent, déstabilisant et aussi intense que bref. Et à moins de faire partie de cette frange de la population qui se repaît de cette approche, il va être difficile d’apprécier cet album.
Pourtant, sous cette couche de n’importe quoi un poil bruitiste se cache une sacrée technique. Les changements de rythme ne sont pas légions (le tempo est de toutes façons constamment à bloc), par contre les breaks sont excessivement nombreux et imprévisibles. Très difficiles à suivre, les 16 titres de cet album regorgent de plans ultra techniques car très rapides, et parfois de soli étonnamment propres et clairs mais fort peu nombreux. Les dissonances sont la règle d’or de la construction des …hem…harmonies, et le groupe ne recule pas devant une approche résolument contemporaine dans l’expérimentation qui pointe la tête de temps à autre (l’instrumental "Urutu", par exemple). On trouvera même un "Preludio N°4", pièce de guitare classique qui n’a, soyons franc, aucun intérêt et une petite pièce totalement contemporaine de piano/violon ("Variacoes 1") qui achèvera de déstabiliser l’auditeur en quête de repères.
Alors au final, à qui s’adresse vraiment ce Transmutation ? Si le fan de death lambda sera très certainement séduit par le côté extrême et sans concession des brésiliens, il risque d’être un peu déstabilisé s’il n’a pas un minimum l’esprit ouvert, tant cet album d’Ophiolatry se veut par moment conceptuel, comme le titre "Sub-Race" et son riff bizarre répété à l’envie. Il est très difficile de retenir un passage en particulier ou de distinguer une chanson d’une autre tant l’intensité des compositions les rend formatées. Heureusement, on l’a dit, les titres sont courts (moins de deux minutes en moyenne, et moins de une pour certains), Ophiolatry peut donc s’écouter par petites touches, comme une boite de chocolat qu’on hésiterait à s’envoyer en entier sous peine d’indigestion. Alors à moins que trente-deux minutes de blast et de double grosse caisse à fond les ballons ne vous rebutent pas, on consommera Transmutation avec modération.
Les brésiliens d’Ophiolatry signent là leur troisième album (et le premier avec Regain Records), avec toujours la même haine et le même attrait pour le satanisme et l’ésotérisme. Difficile de décrire ce condensé de haine et de violence et de faire passer par écrit la sensation dérangeante qu’on ne manque pas de ressentir à l’écoute de ce Transmutation, qui provoquera chez le plus grand nombre un rejet pur et simple (ce qu’à mon avis cherche à provoquer Ophiolatry) mais permettra sans doute aux plus pervers et tordus d’entre vous d’y trouver leur compte.