L'Oulipo, ça vous dit quelque chose ? Mais si, vous savez, l'Ouvroir de Littérature Potentielle. Cette discipline à la frontière des maths et de la littérature, qui prône l'écriture sous contraintes, et qui au cours du XXe siècle a enfanté quelques exploits littéraires : La Disparition de Georges Perrec, roman écrit sans utiliser une seule fois la lettre "e", ou encore Exercices de Style de Ramyond Queneau, quatre-vingt dix-neuf variantes d'une petite histoire. Eh bien, j'ai envie de m'imposer un petit défi dans cette présente chronique du nouvel album de Sabaton : interdiction d'utiliser les mots "épique", "héroïque" et leurs dérivés. Go !
Défi qui sera d'autant plus ardu que sur The Last Stand, Sabaton joue la sécurité (terme poli pour ne pas dire "la fainéantise" ou encore ("le minimum syndical"). Sur ce neuvième album, le groupe suédois n'a aucunement décidé de changer de cap. Pour ceux qui n'auraient jamais entendu parler du groupe, ou pour qui The Last Stand serait le premier contact avec la bande Joakim Brodén : Sabaton joue un heavy metal symphonique musclé, hyper-accrocheur, et particulièrement ép... hum, particulièrement emphatique. Niveau musical, Les riffs font primer l'efficacité absolue sur la complexité. Le chant de Joakim Brodén est viril (ces "r" roulés avec conviction...), autoritaire. On notera aussi l'abondance de mélodies de clavier, qui flirtent souvent avec le kitsch absolu. Toutes les chansons ou presque abordent des thèmes historiques, en particulier les deux premiers conflits mondiaux. À ce titre, The Last Stand représente au moins une petite évolution, puisque les épisodes historiques dépeints par chaque chanson s'étirent cette fois-ci beaucoup plus dans le temps, de la bataille des Thermopyles (480 avant J.C) jusqu'à la bataille pour la colline 3234 pendant l'occupation soviétique en Afghanistan, en 1988.
Exception faite de cette agréable évolution thématique, cela fait quinze ans et neuf albums que Sabaton applique, peu ou prou, la même formule d'un point de vue musical. Lassant ? Oui ! Impossible de ne pas percevoir une certaine monotonie à l'écoute de The Last Stand. L'album n'est pas surprenant pour un sou, pour qui est un tant soi peu familier des précédentes productions du groupe, le tout s'avère même tristement routinier. Prenez "The Lost Battalion" : cette intro tout en chœurs triomphants, les intonations de Joakim, tout cela sonne comme comme un conglomérat sans imagination des précédents albums. Sans parler des nombreux flagrants délits d'auto-plagiats. Et pourtant... par on ne sait quel miracle, The Last Stand parvient à convaincre. Mais comment donc ? Eh bien, ça tient en un mot : la CONVICTION. Joakim Brodén met tout son cœur dans les morceaux. Le tempo haletant des morceaux, jamais trop longs, nous fait ressentir toute l'intensité et la tension de ces batailles défensives.
Avec ses 37 petites minutes au compteur, et ses dix morceaux (plus un interlude, "Diary of an Unknown Soldier"), l'album défile et procure un plaisir immédiat. Les refrains sont toujours aussi bien foutus, très chantants et tous plus héro... heu, grandiloquents les uns que les autres. Difficile de pas se sentir plongé au cœur des batailles évoquées quand tous les musiciens s'unissent avec autant de puissance et d'homogénéité. Et quand je parlais plus haut de conviction, ça n'était pas pour faire joli : le pont de "Shiroyama" par exemple, vibre tout entier de bravoure et de volonté indéfectible. Un bon point aussi pour le morceau-titre, à l'atmosphère particulièrement joyeuse, chose assez rare chez Sabaton. "Sparta", à l'inverse, adopte une tonalité plus sombre et hostile, renforcée par des chœurs sauvages et un refrain très cru, très martial.
Neuf albums et toujours aucune prise de risque. Mais qu'importe ? Sabaton est l'un de ces groupes à qui l'absence de prise de risque va bien au teint. The Last Stand accroche l'auditeur vite et bien, en une écoute à peine. Et même si l'on peut craindre qu'il s'oublie presque aussi vite, il aura le mérite d'avoir fait passer un très bon moment. La patte du groupe est toujours là, les morceaux sont solides et puissants. Oh, et au fait...? Pari réussi ! Les deux mots interdits ne furent pas écrits. Un exploit !