Pour bien commencer l’année, j’ai eu envie de mettre en exergue une bande de jeunes déglingos qui gagnerait à être plus connue dans nos contrées. Ululant depuis les recoins les plus sombres de la belle Norvège, les louveteaux de Sibiir possèdent déjà, de par leur nationalité, un bien bel arbre généalogique comme carte de visite. Nul n’ignore en effet que la Norvège est la terre « bénie » du black-metal. Cela tombe bien, ils en font. Sauf qu’ils font aussi du hardcore. Et là tout de suite, la filiation locale est nettement moins évidente, la rare scène hardcore scandinave étant quasi-exclusivement basée à Umeå (Suède). Néanmoins, la généalogie étant quand même un peu une science de vieux, reconnaissons qu’on en a quand même relativement rien à foutre, d’où ils viennent et de qui ils se réclament. De fait, la seule question qui vaille la peine d’être posée est la suivante : est-ce que c’est bien, Sibiir? Et la réponse est : oui putain, ça l’est. Voici pourquoi.
La réussite de la recette Sibiir tient à quelques éléments assez simples, bien dosés, et largement maîtrises. Le principal est que le groupe parvient à ne pas privilégier le black-metal par rapport au hardcore, et l’inverse pas davantage. Ça n’a l’air de rien, dit comme cela, mais c’est un sacré numéro de funambule auquel se livre Sibiir sur ce premier LP éponyme. De manière sans doute inconsciente, voilà un groupe qui refuse de choisir. Ce sera donc « option hardcore » pour la voix, la rythmique et la dynamique globale de l’album, enlevée et versatile et, à gros traits, « option black-metal » pour les riffs et pour l’ambiance générale, incisive, et surtout empreinte d’une beauté froide et mélancolique, saisissante par instants. Un morceau comme ''Apathetic'' est en ce sens représentatif de la musique proposée par Sibiir : des riffs clairement BM, d’inspiration plutôt mélodique (et sacrément inventifs), posés sur une rythmique largement plus inspirée du hardcore en termes de groove et de variété de jeu. ''I.C.Y.C.S.D'' ne fonctionne pas autrement, bien que quelques blasts s’invitent à la fête, de-ci de-là. L’ensemble fonctionne à merveille car il conserve un réel équilibre entre les genres, les liens entre les deux styles s’opérant naturellement ou par l’entremise de petites séquences plus typées post-metal, amenant liant et fluidité à la musique du combo.
On retrouve cette fluidité et cet équilibre quasi-parfait sur presque tous les morceaux, notamment le monstrueux ''These Rats We Deny'', véritable tube au refrain implacable qui a directement propulsé ce LP dans mon petit best-of violence de la fin d'année passée (mais on en parle qu'en 2017 car il est sorti mi-décembre). Et c’est véritablement cet équilibre, tellement évident qu’il en deviendrait presque singulier, qui met ce groupe à part. Car en termes d’influence, difficile en effet de relier directement Sibiir aux nombreux combos blackened hardcore l'ayant précédé : moins abrasif et fou que Cowards, moins « post » et progressif que les immenses Celeste, nettement plus blackisant qu’Everything Went Black ou Trap Them (aka des combos clairement hardcore qui aiment bien regarder vers le BM à l’occasion) mais, dans le même temps, nettement moins blackisant que Young And In The Way (aka un combo de BM qui regarde occasionnellement vers le hardcore), moins bourrin qu'Hexis ou Cult Leader (ex-Gaza)… Bref, il ne va pas de soi de rapprocher Sibiir de ses semblables. Finalement, le combo qui semble avoir le plus inspiré les jeunes Norvégiens semble être l’inévitable Oathbreaker. Du moins, l’Oathbreaker de Maelstrom et d’Eros/Anteros. On l’entend nettement sur cet album, notamment sur ''The Spiral'', ''White Noise'' ou encore ''Apathetic''.
Néanmoins, Sibiir ne commet pas l’erreur de ne produire qu’une resucée d’Eros/Anteros. Moins inspirée par Converge que ne pouvait l’être la musique des belges à l’époque, plus simple, directe et accessible aussi, ce LP liminaire de Sibiir réussit finalement une parfaite petite synthèse de la majorité des propositions blackened hardcore de qualité qu’on a pu entendre ces dernières années, et il y en a eu beaucoup. De fait, le jeune combo scandinave possède visiblement une capacité assez unique à capter le meilleur de ces deux genres assez extrêmes (voire de quelques autres, le début de ''Erase & Adapt'' rappelant carrément… Mastodon !), à les faire totalement siens, pour en rendre une version vulgarisée et particulièrement accrocheuse (''Silence The Seagulls'', ''Guillotines'', et évidemment ''These Rats We Deny''). Le groupe réussit ce petit tour de force en mettant le paquet sur la mélodie, en proposant des morceaux courts et percutants, peuplés de riffs variés, et de tas de petits gimmicks sacrément bien trouvés : la violente ''Beat Them To Death'' par exemple, ne dure que 2’30, mais elle compte plus d’idées que certains albums entiers d’autres combos du style. Bref, pour reprendre cette phrase bien connue des critiques de tous bords et un rien éculée, mais qui me semble trouver ici un écho relativement justifié : « pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ».
J’avais déjà entendu parler de ce groupe en fin d’année dernière, sans y prêter l’oreille outre mesure. Quelle erreur cela aurait été d’en rester là. Tout honneur et toute gloire donc, à mon comparse Silverbard, qui m’a proposé d’en faire la chronique. Cela m’a permis de me plonger véritablement dans cet opus, et d’y découvrir de vrais trésors. Pour moi, cet album reprend clairement les choses là où Oathbreaker les avait laissées avec Eros/Anteros, Rheia préférant s’en aller voguer sur des océans autrement plus post-metal / post-black. Concentrant encore davantage le propos du talentueux combo belge pour prélever la substantifique moelle de ce que peut être le blackened-hardcore, Sibiir réussit avec ce premier opus éponyme une superbe synthèse du genre et de ses principales influences. Il s’agit là d’album qui me semble assez indispensable pour les amateurs des deux styles.