Code Orange (ex-Code Orange Kids) est une bande de jeunes bagarreurs issus des quartiers populaires de Pittsburgh, et leur musique est, depuis leurs débuts en 2008, à l’image de leur ville d’origine : peu amène, anguleuse, froide, dure, et profondément urbaine. Mais pas cet urbanisme vert et sympa, rapprochant les hommes, dont on nous parle depuis des années sans que l'on ne le voie réellement arriver. Car à Pittsburgh, ville typique de la rust-belt engluée dans une crise sans fin, urbain ne rime pas avec humain. Ainsi, comme beaucoup de rats des villes amateurs de musiques extrêmes, c’est aux pieds du hardcore que Code Orange a placé son allégeance. Un hardcore à l’image de son environnement donc : rude, sans pitié, et finalement assez désespérant. Mais surement pas dénué de qualités ou d’instants de grâce. Analyse de la troisième livraison LP de ce combo qui constitue aujourd’hui une des grosses cotes de la scène hardcore US, à raison.
On peut parler de grosse cote dans la mesure où Code Orange, déjà hébergé par le prestigieux label Deathwish Records pour ses deux premières livraisons (excellentes au demeurant), a cette fois ci été cornaqué par rien de moins que Roadrunner United, soit une des plus vénérables maisons qui soit en matière de musiques extrêmes (et ceux qui osent prétendre le contraire devraient consulter leur catalogue période 90’s), pour produire son troisième LP, Forever. Grosse pression donc, sur les épaules du quator. Pression visiblement bien digérée, puisque si ce troisième LP ne dépasse pas tout à fait le niveau d’excellence et d’intransigeance de ses deux prédécesseurs, il demeure un album de grande qualité, sans concession, et pas exempt de quelques surprises tout à fait agréables dans un genre aussi codifié que peut l’être le hardcore. On y reviendra. Mais pour l’heure, parlons de ce qui ne surprend absolument pas sur cet album. On retrouve d’abord une espèce de lourdeur, de poisse, de froideur anguleuse, sur presque tous les morceaux bourrins de l’album. De fait, Code Orange n’a jamais été une bande de fins riffeurs ou de grands techniciens, leur force résidant dans la construction d’ambiances aliénantes, portées par plusieurs éléments : une chorale de voix agressives (trois chanteurs tout de même) tout d’abord ; des tonnes de samples et de sons raccordant directement le groupe à la scène indus (''Real'', ''The Mud'', et plus encore ''Hurt Goes On'', qui est carrément un morceau de metal indus pur et dur) ensuite ; et pour finir, des gros breaks de brutes totalement vendus à la cause d’un beatdown abrutissant, comme sur ''Real'', ''No One Is Untouchable'', ou encore, et c’est sans doute la meilleure séquence beatdown de l’album, sur le final ultra massif et jouissif de ''Forever''. Pour le reste, le groupe balance sans coup férir des tas de riffs hardcore plutôt bien troussés (''Forever'', ''The New Reality'', ''No One Is Untouchable''), tirant parfois vers un nümetal absolument pas jumpy et sympa, comme sur ''Spy''. Tous ces éléments ne sont certes pas bien originaux, mais ils sont catapultés à la face de l’auditeur avec une production proprement monstrueuse (cet album aura un des meilleurs sons de 2017 en matière de hardcore, c’est couru d’avance), et ils sont soutenus et amplifiés par cette fameuse couche d’indus supplémentaire, présente sur la totalité des morceaux ou presque, ce qui les aide à se séparer assez nettement du reste de la horde grouillante des formations hardcore / beatdown / tough guy. Voilà, donc, pour la partie cousue de fil blanc.
Pour la partie « surprises » maintenant, on a le plaisir (ou le dégoût ou l’indifférence, ça dépendra des orientations et attentes de l’auditeur ma bonne dame) de découvrir un combo qui s’apaise par instants, voire qui séduit. Trois morceaux sont complètement représentatifs de cette évolution, somme toute relativement inattendue de la part du combo. On a tout d’abord ''Ugly'', qui surprend sans réellement convaincre, avec son chant clair gueulard pas très réussi et sa progression trop basiquement rock de stade pour retenir l’attention. Mais sur ''Bleeding In The Blur'' par contre, c’est tout autre chose. L’aspect vocal est ici confié à Reba Meyers, la pile à énergie nucléaire de ce groupe déjà survolté (voir leurs prestations live, qui frisent le dangereux), et on retrouve un niveau de chant clair proprement excellent, qui rapproche d’ailleurs ce morceau de ce que propose le groupe sur son sympathique side project indie-rock/emo Adventures. Un putain de premier couplet, un refrain accrocheur au possible, une progression simple et dynamique, c’est tout à fait efficace et pour le coup on adhère totalement. Mais on aime presque encore plus l’inquiétante « balade » indus/ambiante qui clôt l’album, ''Dream2''. Loin de n’être qu’une simple outro, ce morceau permet à Reba de livrer une nouvelle performance vocale de grande envergure, hantant véritablement le morceau. La jeune fille a largement progressé depuis ''Liars // Trudge'', et on ne peut qu’applaudir son travail, lequel amène à Forever une dimension quasi-absente de Love Is Love // Return To Dust et de I Am King. Mais ''Dream2'' n’est pas qu’une voix. Musicalement, c’est tout aussi bon : des arpèges inquiétants chargés de delay maladif, rappelant assez peu étonnamment le Korn d’Issues ou d’Untouchables (cf supra sur la filiation nümetal subtile mais bel et bien présente), aux fausses montées en puissance du refrain, tout est mis en place avec beaucoup de talent et de métier. Bref, ''Dream2'' est un putain de morceau, dont les trois minutes passent en un clin d’oeil.
Au final, on pourrait résumer Forever comme un album maîtrisé, aux évolutions mesurées, mais bien réelles. Sans en faire le chef d’œuvre qu’il n’est pas (trop de beatdown tue un peu le beatdown, même si une fois de plus, Code Orange n’a jamais été ni un groupe à riffs, ni un groupe subtil), il s’agit d’un troisième LP solide, et qui constitue une bonne porte d’entrée dans la discographie du groupe. Plus directe que ses deux prédécesseurs sans perdre totalement le côté tortueux et torturé qui faisait tout leur sel, la musique du combo américain pue toujours autant la gouttière débordant de souffre. L'ensemble a juste été passé au dégivrant de classe industrielle pour masquer un peu l'odeur et lui donner un semblant de propreté clinique. Mais la douleur, elle, est toujours là.