Une sortie de dungeon synth ne se juge assurément pas à son allure, car les visuels, dans le genre, sont tous identiques les uns aux autres. De quoi avez-vous besoin pour un visuel de dungeon synth réussi ? D’un château, assurément. D’un à-pic rocheux, d’une montagne, d’une falaise, pour l’élément minéral, c’est au choix. Vous veillerez à bien articuler les perspectives : le château doit être perdu dans le paysage ou s’imposer à lui, nettement. La présence d’un dragon est également admise. Concernant la saison, vous privilégierez l’automne, l’hiver. Concernant le ton de l’ensemble, une vieille patine fera l’affaire.
Une fois votre œuvre préparée, c’est là que tout commence véritablement à se jouer. Car, à la différence d’autres genres plus surprenants, plus sinueux et denses, le dungeon synth est un genre dans lequel la réalisation entière peut bien souvent être jugée à l’aune de ses premières secondes. Tout est déjà présent dans l’ébauche : le ton sera-t-il mélancolique ? Quelles seront les sonorités utilisées ? Jouerons-nous des boucles répétitives ? Des plages étales ? Quel sera le talent mélodique de l’individu derrière l’œuvre, si tant est qu’il se trouve effectivement un responsable derrière chacune des foisonnantes sorties du genre, qui, peut-être l’apprendrons-nous un jour, pourraient tout aussi bien être générées par une intelligence artificielle, une entité magique quelconque… L’affaire est vite jugée concernant Waking the Paths of Olds : le ton est mélancolique, poussiéreux, lent, joue de ses quelques boucles d’or des mélodiques simples, à peine rehaussées de rares variations. Nous restons dans les canons canoniques du genre, sans fautes, certes, mais sans éclat.
Car, eh bien, qu’il s’agisse de "Journey to the Darkened Empires", de "Forest’s Nightly Creatures" ou de "Beyond Astral Glares", les trois pistes composant cet enregistrement, toutes sont taillées du même acabit. C’est une musique de l’attente que propose Forlorn Kingdom. Tout ici est l a t e n t. S'il ne se passe, à proprement dire, pas grand-chose, si aucun espoir ne nait véritablement en début de piste pour être résolu en fin d’icelle, si tous les éléments bouclent sans fin dans une mélancolie confinant à l’autisme, ce n’est pas non plus que le Néant domine ces terres, mais bien seulement que tout demeure p o t e n t i e l, en suspension, à naître – en attente. L’aventurier que vous êtes est au repos. La marche sera - pour cette fois - solitaire, humble et réflexive. Le regard se tourne vers le minéral comme vers le spatial, sans égard, finalement, pour ce qui est vu. L’important sera l’instant : paisible, doux, enveloppé qu’il est de son potentiel… Po-ten-tiel, mot de passe pour accéder à ce « quelque part » situé entre le Ciel des uns et la Potence des autres.
Ainsi, à peine commencé, le trajet est déjà terminé. Un quart d’heure qui aurait très bien pu être un quart de minute comme un quart de siècle, nous sépare de qui nous étions à l’aube de notre aventure. Tout a été dit et le message était le suivant, qui résonne encore dans l’écho de nos pas attentifs : tout reste à dire.