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CHRONIQUE PAR ...

107
Archaic Prayer
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2022
Sa note : 11/20

LINE UP

-Malcolm Mooney
(chant)

-Michael Karoli
(guitare)

-Irmin Schmidt
(claviers)

-Holger Czukay Schüring
(basse)

-Hans "Jaki" Liebezeit
(batterie)

TRACKLIST

1) Father Cannot Yell
2) Mary, Mary, So Contrary
3) Outside My Door
4) You Doo Right

DISCOGRAPHIE

Monster Movie (1969)
Tago Mago (1971)
Ege Bamyasi (1972)

Can - Monster Movie
(1969) - rock Métronorock - Label : Music Factory



La musique, tant qu'une certaine attitude n'entre pas en jeu, s'apprend comme à l'école. Rythme, solfège, lecture, improvisation, solisme, etc. Qu'on veuille être interprète ou compositeur. Le rock, lui, a posé le problème suivant : sa spontanéité, son attitude, sa position de marginal espiègle dans la société ne risquent-elles pas d'être gâchées par l'étude, l'analyse, la catégorisation ou la hiérarchisation ? Non. D'abord parce que les musiciens, même sans technique ni théorie musicale, apprennent à faire, et ensuite parce que certains musiciens ont été assez méritants pour que leur contribution permette d'enrichir l'apprentissage musical général. Et pourtant, Dieu sait combien c'était mal barré de voir certains musiciens apprendre le rock.

Irmin Schmidt et Holger Czukay viennent de la musique savante et en particulier des pratiques les plus atonales, en témoigne le profil de leur maître, Karlheinz Stockhausen, audiophile pas toujours clair sur sa conception de la musique, entre épure jusqu'au son et bruitages inutiles et dégoutants. Ne parlons même pas de Jaki Liebezeit, qui a énormément tourné dans le milieu du free-jazz. En fait, seul Michael Karoli semble correspondre au rock avec ses écoutes de Hendrix. Qu'à cela ne tienne, le groupe va désapprendre une partie de ce qui lui a été inculqué. Première grosse mesure, il va engager un chanteur, Malcolm Mooney, sculpteur ayant déserté le Vietnam, s'incruster dans un vieux château près de Cologne. Le résultat de ces expériences collectives infernales est un recueil de quatre titres dont un de vingt minutes, habitude réservée d'ordinaire au rock psychédélique américain. C'est bien sûr les morceaux courts qui se taillent la part du lion, malgré un démarrage laborieux. En effet, ça commence mal : Karoli ne donne pas seulement l'impression d'apprendre à jouer du rock, mais à jouer tout court, enregistrer et peaufiner le son de sa Fender au son râpeux, se rapprochant de la saturation punk naissante À sa manière, Can expérimente, dans une seule direction contrairement à d'autres comme Pink Floyd ou Captain Beefheart. Au fur et à mesure, la direction indique un chemin hasardeux et pénible, mais bifurque et mène enfin à du concret avec "Outside my Door", premier vrai morceau de bravoure de Can après un "Mary, Mary, So Contrary" un peu pataud. C'est presque si l'ambiance globale, la basse obsédante et la voix de plus en plus agressive de Mooney annoncent la déflagration des Stooges sur Funhouse.
Reste le grand morceau de l'album. Permettons nous une nouvelle comparaison avec Pink Floyd : les Anglais estiment avoir négligé les faces de morceaux courts sur Atom Heart Mother et Meddle. Cela dépend, mais ce qui est sûr, c'est que Can pourrait faire penser le contraire. "You Doo Right" est tiré d'une séance d'improvisation estimée entre six et douze heures, et fera vite pâle figure par rapport à de futures pérégrinations sonores Elle démarre bien, pourtant : le groupe se démarque radicalement du reste de la scène allemande. Si Tangerine Dream et Kluster choisissent le tout électronique, si Amon Düül II choisit de prolonger le psychédélisme avec Guru Guru, les encanaillés de Cologne choisissent un style plus souterrain. Holger Czukay et Jaki Liebezeit constituent le cœur de la machine, avec un pattern de batterie axé sur les toms et avancent pesamment, la basse accaparant le spectre sonore, ne laissant de la place à la guitare que plus tard. Schmidt, lui, n'en finit pas de se laisser désirer, totalement paumé dans ce nouvel univers si éloigné des orchestres et des laboratoires sonores. Certes, les vingt minutes ont un peu de mal à passer, malgré certains passages en suspens, mais c'est le jeu de l'expérimentation à son apogée en 1969 : on tâtonne, mais de grâce, on finit par trouver. C'est après tout ce que les Stooges avaient en tête en enregistrant "We Will Fall" sur le premier album. Hélas, les trouvailles se feront sans Mooney, devant quitter la bannière Communism.Anarchy.Nihilism plus tard, sur conseil de son psychiatre.


Irmin Schmidt, par la suite, déclara en interview que le but de Can et des autres groupes allemands était de se démarquer des influences anglo-saxonnes tout en renonçant au folklore national, détruit par la guerre et le nazisme. Les débuts sont difficiles, les influences extérieures encore présentes, aussi bien chez eux que chez Amon Düül II (on le verra avec Yeti), mais au fur et à mesure, le groupe va se démarquer, y compris d'un collectif à Wümme, composé aussi d'un étranger lâché au milieu de Teutons, et qui s'appellera Faust. À vous de voir si ce disque vaut vraiment le coup, au delà du « il faut bien commencer quelque part ».



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