Noir Désir -
Veuillez rendre L'Ame (A Qui Elle Appartient)
Après un premier EP (Où Veux-Tu Qu’je R’garde?) où tout était déjà là, mais en pas terrible, Noir Désir récemment signé chez Barclay nous balance un concentré juteux de rock poignant, speed et sans compromis, pondu dans l’ultra-urgence et à qui ça va franchement bien. Aucun écart sociopolitique ici, aucune morale à deux balles, juste de la musique. C’est probablement pour ça que cet album peut sans problème revendiquer le titre de « meilleur album du groupe », car d’une part on est loin de l’engagement rasoir de, au hasard, "Un Jour en France", d’autre part on est trop pressé par le rock pour s’autoriser les pitreries faussement psychées de l’Europe.
Ce disque c’est du rock! Du bon, du vrai, du qui multiplie les beats et change la bière en pisse. Dès l’introduction, on sent que Veuillez Rendre l’Âme (à qui elle appartient) est une petite bombe, ce "A L’Arrière Des Taxis" donne la mesure. Si vous connaissez le Gun Club, influence revendiquée du Noir Désir, certains morceaux pourront vous laissez un goût amer dans la bouche, car autant sur "A L’Arrière des Taxis" que sur d’autres opus très rhythm ’n’ blues de blanc ("La Chaleur", "Les Ecorchés"…), l’ombre est plus qu’une inspiration, on crierai presque au plagiat. Ne nous laissons pourtant pas recaler par ce défaut, c’est peut-être plus qu’un détail mais après tout, être inspiré par le Gun Club sera toujours plus prompt à provoquer le respect que de plagier Michel Sardou. Loin de n’être qu’une caricature fade, Noir Désir n’est de toute façon pas le Gun Club. Et heureusement, car la beauté d’un "Joey I" était inenvisageable de la part de ces derniers, on ne va donc pas se plaindre d’y avoir droit.
La production est légèrement brouillonne, mais cela colle tout à fait avec le style, on ne sera donc pas trop dur en disant que la basse est foutue en l’air (comme d’habitude), et que la batterie est très en avant (les cymbales notamment). A ce propos, il faut relever que Denis Barthe est un très bon batteur sur ce skeud, et qu’il ne soit pas étonnant qu’il soit mixé aussi fort. Si le Cantat a toujours été le « porte-parole médiatique », c’est bel et bien Barthe qui assume le leadership et la médiation dans le groupe. Ses prestations s’en ressentent: un jeu puissant, même sur les ballades, et d’excellentes utilisations des roulements et de la grosse caisse. Rien à redire non plus sur les autres instruments, les lignes de basses sont intéressantes quand audibles, et les double-guitares provoquent de belles montées durant les morceaux de bravoure. Signalons également l’intervention d’un violon électrique (une des nombreuses allusions au Velvet Underground), resplendissant sur "What I Need" et "The Wound".
Et les morceaux, alors? A boire et à manger… Le tube "Aux Sombres Héros De L’Amer" a rudement mal vieilli (la mélodie est banale, les paroles sont ridicules), et certains remplissages sont moyennement inspirés… "Le Fleuve" est jolie mais rien ne vient provoquer d’étincelle, ni les paroles ni la compo’; "Apprends A Dormir" n’est pas vraiment une chanson; et "Joey II" est desservi par une prononciation d’un Cantat sous tranxen… Impossible de dire pourquoi, mais qu'est-ce qu’il chante mal sur ce morceau! Ca ne lui arrive pas souvent, heureusement, et quel que soit la langue empruntée, il arrive à se hisser suffisamment haut dans l’émotion, enlevé par des textes mystiques et décadents (ses influences sont dans ses paroles, si ça vous intéresse) qui conviennent parfaitement au style. La succession "Sweet Mary" / "La Chaleur" est un bon exemple du registre Cantatien, le premier doux et résigné; le second enflammé et castrateur, la voix du chanteur s’adapte et sait taper juste, sans baisse de régime même durant les hurlements.
Mais ce disque ne serait rien sans ses morceaux de bravoure révoltés, où toute la furie du band se déploie durant les douze minutes que constituent "What I Need" et son violon dingue, choppant au détour une batterie sans limites; "The Wound" et ses lignes vocales incandescentes; et surtout… "Les Ecorchés". Encore vanté aujourd’hui, ce morceau restera dans les annales de la musique adulescente rageuse, porté par un riff de guitare décisif et une basse qui s’ancre dans la terre pour mieux résonner. Tout est parfait dans ce morceau, de la composition à l’ambiance malsaine et sanglante, chaque musicien à sa place, inébranlable, une symbiose déchirante à peine relevée par quelques breaks guitaristiques, batterie meurtrière, textes surréalistiquement violents. Chez moi, il figure dans la minuscule liste des « morceaux parfaits » que la musique ait pu engendrer. C’est inspiré, tout est en place, et ce n’aurai pas pu être mieux. C’est parfait… L’album ne peut pas s’en vanter, mais si peu de groupes arrivent à sortir un tel morceau que ça mérite le coup d’oreille.