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CHRONIQUE PAR ...

98
Tabris
Cette chronique a été mise en ligne le 09 juin 2024
Sa note : 17/20

LINE UP

-Colin H Van Eeckhout
(chant+vielle à roue+percussions)

TRACKLIST

1) Eternit

DISCOGRAPHIE

Rasa (2015)
10910 (live) (2016)
Kalvarie (2024)

CHVE - Kalvarie
(2024) - ambient drone - Label : Relapse Records



« C'est venu tout seul, sur la balançoire de Rubelles. À l'époque, il y en avait qui m'écoutaient au grillage du château, maintenant ils fuient. Je chante au-dessus de la citerne, il faut que ça soit lisse. Si c'est dehors, ça fera pas si beau. Il faut de la résonance, de l'écho. On peut chanter dans un château d'eau, ça résonne comme dans une cathédrale. Ça fait des merveilles… »

Des rêves par paquets, comme des prémonitions. Plus de dix mille, disait-il. Qu'il capturait dès le réveil pour ne pas les laisser filer. Mais sans jamais les interpréter. Préserver la vision sincère et immédiate. Aussi, des pensées, des histoires tenues serrées dans une infinité de cassettes qu'il liait par paquets de trois ou quatre, illustrées de dessins ou de collages et dont il remplissait sa chambre, sans doute jusqu'au plafond. Des complaintes encore, comme celle de La Mort du Pape Pie XII, sans paroles, ou comme la plus connue de toutes, celle de Marie Ange, cette image compagne à qui il disait tu par delà un lointain souvenir d'enfant, défiant les pulsions du monde adulte par trop souillé. Et puis, bien sûr, des pierres. Cette trace du passage de l'être. Le coffret minéral de cette parole non filtrée érigée en art brut. On lui prête cette idée que parfaites, les pierres ne nécessitent pas d'être gravées, seulement placées au bon endroit. Que ce n'est que lorsqu'elles sont communes qu'elles nécessitent d'êtres ainsi sculptées, gravées, déterminées. Le non érudit psychotique s'enfonçait dans les cavités d'un univers fantasmagorique, composant au fil du temps une œuvre singulière. Il rêvait de Sodorome, chantait au dessus de sa citerne et enregistrait sur des vieux magnétophones – dédaignant la modernité - des boucles sonores avant d'y ajouter sa propre voix, tout en creusant la forêt de châtaignier où il vivait loin de ce monde dont il ressentait viscéralement le déclin. Il gravait à l'abri des destructions à venir son message, non point par lucre, mais parce qu'il ressentait le besoin de le faire. Certains disent de lui qu'il était comme un mythe de Sisyphe inversé. Jean-Marie Massou ne se reconnut lui-même artiste qu'au seuil de sa vie. Mais au Paradis, disait-il aussi, il n'est que des artistes. C'est cet esprit qui a en partie inspiré Colin H. Van Eeckhout. Ce que cet artiste ermite faisait pour lui-même. « I love the idea that this man was living in his own world, and that he had music as a language with that world. He chose to sing and record this music just for the sake of doing it. He wasn’t planning on having albums or playing shows. I thought this was beautiful: that the music was there just for the sake of enriching his life ». Et c'est cette même matière qu'il a choisie pour la placer à l'aube de sa nouvelle composition, Kalvarie, une offrande tout à la fois organique et minérale, expérimentale et sensible.

Kalvarie ou le Lieu du Crâne, ce relief rocheux choisi précisément parce qu'il signifiait la mise à l'écart. Les pierres dont nous entendons les chocs et les roulements sont-elles alors les témoins non muets de la crucifixion ? En familier de l'univers de Colin, nul ne saurait se surprendre de voir ainsi convoquer la puissance évocatrice de symboles tels le Mont Golgotha. Mais la mise à l'écart peut aussi bien être symbole de contrition que de réflexion et de contemplation. Les échos métaphorés du hasardeux chemin qu'est notre quotidien vital, ou ceux de notre condition humaine sont ici une évidence. Cependant, il est d'autres rémanences, bien plus proches de nous. Certains auront peut-être la fugitive vision des pierres qui s'entrechoquaient lors des performances scéniques passées de Colin, pourquoi pas ? Mais plus modestement, ces pierres sont aussi bien celles qui roulaient sous les pas d'un enfant cheminant rue du Calvaire, gravissant chaque matin la petite colline où se trouvait son école. Une image, parmi tant d'autres, que chacun peut aussi bien entendre dans sa propre mémoire, capturer intuitivement pour sienne. Nous avons tous fait rouler des pierres, nous les avons tous entrechoquées. Et nous avons tous une certaine vision de l’ascension autant qu'une appréhension de la chute. Les souvenirs autant que les prières font partie de cette foulée solitaire. Blocs de roche commune ramassés en différents lieux familiers que Colin a effectivement emportés dans le coffre de sa voiture pour en enregistrer ensuite les sonorités, gravant de sens la matière, dès lors convertie en medium du message onirique, ils sont le point de départ d'Eternit, l'unique morceau de cette nouvelle offrande, s'inscrivant avec naturel dans la filée de Rasa et 10910.
Ce qui charme d'emblée dans la musique de CHVE c'est sa délicatesse, sa presque fragilité. Une composition solitaire, si elle offre l’exaltation d'une liberté de créativité totale, est aussi un regard tourné vers l'en soi autant qu'un saut sans filet. Quelque chose de très personnel et d'humble, offert au jugement de l'auditeur. « If you’re alone, you can do whatever you want. But in a way, the solo work takes more out of me. Suddenly when I’m on my own, everything falls on me. That’s very confrontational. I had a fear of failure as a kid, and that stays installed in you. But when it succeeds and you’re able to build something, it feeds your self-worth. » Certes, l'univers de CHVE n'est pas à contre courant de celui qui cimente la Church Of Ra, ne serait-ce que par son imagerie immuablement monochrome, sa réinterprétation de la spiritualité, sa mélancolie prégnante et la lourdeur de son maillage. Mais s'il est un esprit commun, il est cependant aussi une distinction à opérer dans son impact. Car si l'éloquente puissance d'un collectif tel que celui d'Amenra nous procure un sentiment de catharsis digne de la purification viscérale, ici la musique s'offre pleinement méditative. Mais si au lieu d'un flot d'émotions exaltées – presque violemment - le propos se découvre infiniment plus posé – non point plus léger – il n'en possède pas moins la même force libératoire : un sentiment de paradoxale quiétude qui se pose sur nous tel un ample voile nocturne, bien que non exempt de tristesse et d'une certaine nostalgie.
Alors, ne cherchez pas d'inspirations phoniques à l'origine de cette composition – bien qu'à titre personnel je ne puisse retenir une pensée fugace à l'endroit de Treha Sektori lorsque une fois bien engagée sur cette sente minérale, les frappes telluriques viennent ouvrir la piste plus avant, projetant comme l'image d'une pupille qui se dilate pour embrasser d'un seul tenant cette découverte, - Kalvarie est une réalisation intuitive et spontanée qui ne se revendique d'aucune autre. Sans doute, le cœur de l'affaire tient dans le rapport particulier que Colin entretient avec cet instrument au caractère bien singulier qu'est le hurdy gurdy – et qu'il met soigneusement en valeur ici. Bien que l'histoire ait longtemps disgracié le vénérable instrument pour en faire l'apanage des musiciens de rue, nombreux sont ceux qui désormais se reprennent de passion pour lui, cherchant à en maîtriser la fine précision pour un propos toujours plus vibrant et pertinent pour l'auditeur contemporain. Reconnaissons aussi que, profondément inscrit dans notre folklore occidental, quelque auditeur de quelque contrée que ce soit de notre vieux continent pourra d'intuition associer rêveries éthérées, légendes apatrides et souvenirs intemporels à ses accords et s'approprier avec aisance le message délivré par ses mélodies graves et énigmatiques. Sans doute, le peintre flamand Jérôme Bosh avait-il de l'intuition lorsqu'il a représenté la vielle à roue dans le panneau de droite de son Jardin des Délices, que l'on nomme souvent l'Enfer des musiciens. Car il est décidément une étrange magie à l’œuvre lorsque ses chanterelles et bourdons donnent de la voix. Et qui de l'instrument ou du musicien impose véritablement ses vues à l'autre ? Ici, nous sommes davantage les témoins de l'intrinsèque beauté de ce dialogue acoustique tenu dans un langage qui tient surtout de l'intuition subconsciente.
« I think you connect to this kind of music in an instinctive way. I compare it with a fire: when you see a fire, you look at it, you get lost in it. The same thing can happen with repetitive sound: it triggers something inside. It’s stripping back, trying to use music for how it was intended ». "Eternit", figurant tout aussi bien cette condition infinie qui ne comporte plus de limite – que cette occurrence où l'artiste ne se met aucun frein de composition, est d'essence drone et atmosphérique et nous emporte avec un naturel confondant dans un système de boucles hypnotiques sans que pourtant nous ne soyons jamais inquiété le moins du monde par un quelconque sentiment de monotonie. Mieux encore. Tout comme cette flamme hypnotique qui finit par nous capturer, Eternit se laisse contempler, encore et encore. S'enrichissant d'autant d'impressions fugitives, paysages éthérés, contemplations intérieures, etc... tout ce que l'esprit pourrait être tenté de projeter sur son ample tissu. Mais bien entendu, Colin ne nous abandonne pas seuls face à la toile sonore. Non sans une arrière-pensée pour Massou qui se plaisait à inventer son temple de résonances, le chant s'élève, ici en français, clair et hanté, d'une limpidité et d'une consonance toute monastique. Et tout comme Massou, il est question ici de la fin des temps. Mais pour grave qu'il soit, le propos n'accable cependant pas l'auditeur au point de lui faire perdre l'équilibre. Plus que son verbe, c'est l'harmonie et l'humilité de cet ensemble épuré d'artefacts qui captive les sens et conduit l'auditeur à se laisser gagner par ce sentiment de calme et de mature contemplation.


Ne vous laissez pas abuser par l'apparente simplicité de ces quelques quinze minutes de musique atmosphérique. Pour rares que soient les parutions de CHVE, elles se révèlent toujours d'une grande pertinence. Cohérente jusqu'au plus petit détail, Kalvarie s'appréhende comme un voyage sacralisé au cœur d'une matière essentielle. Un rituel qui laisse cependant toute sa place à l'intuition propre de l'auditeur, preuve s'il s'en fallait encore, de l'élégance de composition de son auteur.





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