On dit souvent qu’un bon schéma vaut mieux qu’un long discours. Sauf que pour appliquer cet adage à cette chronique, il faudrait que vous lisiez un texte de 75 pages Word en police d’écriture 8 (et une police gothique illisible), tout cela en violet sur fond bleu. Ce serait une atrocité, personne ne pourrait la lire en entier, ça vous filerait mal à la tête et l’envie de crucifier son auteur, mais le but serait atteint : vous auriez un aperçu tout à fait crédible de ce que l’on ressent en écoutant ce Regent Sie absolument abominable.
Déjà, ça commence mal avec la couverture. Peut-être l’avez-vous remarqué, mais quand un groupe a la merveilleuse idée de mettre une œuvre de Luis Royo (somptueuse, au demeurant) en couverture, c’est dans la grande majorité des cas un cache-misère facile pour attirer l’œil du consommateur blasé. C’est donc avec un a priori négatif qu’on découvre le titre complet de l’œuvre Regent Sie – She Devils of Demonlore – Of Blood, Crosses & Biblewars. Bon, quand on connaît et qu’on aime Bal-Sagoth et ses titres à rallonge, on ne prend pas forcément peur, mais après coup on se dit que c’est un signe qu’on aurait dû interpréter correctement, à savoir : ça va être long, pénible et pompeux. On ne se serait trompé que sur un point : ça n’est pas long, c’est bien pire que ça. Einstein l’avait prédit, le temps est relatif, et l’écoute entière (si !) de cet album m’aura fait vieillir de deux ans et demi en « seulement » soixante-quinze minutes.
C’est bien simple, le CD est tellement rempli ras la gueule de…hem... musique que j’ai eu peur en le sortant que ça déborde de la galette et que ça tâche ma belle moquette. Vingt-trois titres et une heure et quart de désespoir. Elvira Madigan, nom du projet d’un certain Marcus H Madigan qui s’occupe à 100% de ce projet, est donc un one-man band de black metal symphonique. Ne cherchez pas midi à quatorze heures, nous sommes ici en présence d’un hommage plus que douteux à Cradle Of Filth. Ce qui frappe le plus, c’est la voix : même couinements criards que Dani, même doublage à la voix caverneuse, avec un effet supplémentaire : l’envie de terminer d’égorger ce cochon qui n’en finit plus d’agoniser. C’est assez impressionnant à quel point Madigan se calque sur les intonations et le « flow » de Dani Filth. Le reste de la musique est globalement dans la même veine sauf que là où Cradle Of Filth nous a par moment sorti des très bonnes œuvres (voire des chefs-d’œuvre), nous sommes ici en présence d’une chose mal dégrossie, envahissante et pompeuse.
En plus, c’est un concept album. Inutile de préciser que ce que raconte ce bon Madigan ne m’a pas plus interpellé que ça, mais je suis prêt à prendre le pari qu’on y trouvera du romantisme, du gothique et du mysticisme, des moments de bravoure épiques le tout dans une ambiance sulfureuse, décadente et très très sombre. Avec des tas de rois, de démons et de vierges. Voire, si on a de la chance, une histoire d’amour (mais qui finira très mal et ça sera très triste). Mais revenons à la musique, et abordons tout d’abord LE point qui donne envie d’en finir avec la vie : la production. Pardon, mais merde quoi : je veux bien tout endurer d’un groupe qui sort sa démo en autoproduction, mais là Madigan a trois ou quatre albums au compteur, on serait donc en droit d’en attendre un peu plus, parce que là c’est atroce. Les guitares sont mal mixées, quasiment sans aucun effet stéréo, la batterie est synthétique (ce qui n’est pas grave) et affreusement mixée elle aussi (ce qui est grave), le tout noyé dans des nappes de synthé pompeuses sorties de nulle part, le tout donnant un salmigondis improbable, une bouillie sonore comme on en n'avait pas entendu depuis 20 ans, tout du moins pour un groupe produit par un label.
Bref, c’est affreux. Et n’essayez même pas de vous l’infliger en entier, c’est absolument inécoutable durant 75 minutes. Les blast beats sont autant de coup de marteau dans les tempes, les guitares font le même effet que des ongles sur un tableau noir, et l’envie de vomir ou de se crever les tympans augmente à chaque seconde. Quand on voit que Mirrorthrone, autre one-man band de black sympho autoproduit, est capable de parvenir à une production professionnelle dans des conditions sans doute similaires, on n’a même plus envie d’en savoir plus. Alors quand on lit sur le site officiel que « No computers are involved in recording Elvira Madigan albums! No correcting or editing is applied digitally so what You hear on the albums is what is directly played/sung into microphones! »* (vous noterez les points d'exclamations enjoués et la majuscule à "you"), on ne sait pas trop si on doit rire, pleurer ou juste s’en foutre et passer à autre chose.
Vous remarquerez que je n’ai quasiment pas parlé de la musique en elle-même. En fait, c’est tellement difficile de supporter une écoute de ce Regent Sie qu’on se retrouve bien bête pour en parler après. Et même après plusieurs écoutes (l’abnégation des chroniqueurs ne connaît plus de limite), rien ne reste en tête. Soyons honnête : on trouve certainement des passages corrects dans cette interminable œuvre, un peu comme on trouve parfois un truc comestible dans une décharge municipale. Avec une production efficace, Elvira Madigan aurait pu prétendre au statut d’album médiocre, long et vaguement prétentieux, mais affublé de ce son infâme, il n’est plus bon qu’à être offert à une vieille tante un peu sourde qui n’aime pas le silence. Ou mieux : proposons-le à ces maires qui pour faire fuir les jeunes indésirables diffusent des ultrasons désagréables. Qu’ils diffusent ce Regent Sie, et le calme reviendra vite dans les halls d’immeuble. Prévoir tout de même des suicides collectifs voire des mutations.
À qui conseiller cet album ? Certainement pas aux fans de Cradle Of Filth. Pas non plus aux fans de black metal symphonique et encore moins aux fans de musique orchestrales ou violentes. Si, conseillez-le à des gens que vous n’aimez pas. Ou qui sont sourds, ou qui souhaitent le devenir. Encore mieux : ne le conseillez pas, ne l’achetez pas, n’en parlez pas. Faisons comme les chevaux qui ne craignent pas ce qu’ils ne voient pas, même si le loup est à deux mètres d’eux, et tâchons de nous convaincre que ce Regent Sie n’existe pas. Regent quoi ?
*Aucun ordinateur n’a été utilisé dans l’enregistrement des albums de Madigan ! Pas de correction ni d’édition n’ont été digitalement appliquées, donc ce que Vous entendez sur les albums est ce qui a été directement joué/chanté dans le microphone ! (sic)