Voila encore un projet de Gary Arce, prolifique guitariste qui crée plus ou moins un groupe à chaque nouvel album. On pourrait presque dire que c’est le troisième album de Ten East, ou encore, le cinquième album de Yawning Man, en un mot comme en cent, on reconnaît la patte du monsieur accompagné de ses fidèles compères. Mais Dark Tooth Encounter parvient-il a explorer de nouveau terrains sonores, ou bien, est-ce juste un nouveau nom pour cacher quelques redites ? On va bien voir…
Les terrains sur lesquels s’aventure Soft Monster sont assez particuliers, il faut se le dire. Bien sûr, vu le staff derrière tout ça, on retrouve le son propre à ces musiciens cultivant toujours cet aspect surf-Black-Flag-instrumental-stoner-spacieux que l’on retrouve des premiers Yawning Man, il y a bientôt vingt ans, à maintenant. Même si sur ce coup, il compose à peu près tout, Gary Arce ne peut décemment jouer d’une guitare sans que son alter-ego Mario Lalli ne lui réponde. Et sur “Weeping Pines”, morceau psychédélique plaintif et léthargique, Scott Reeder passera nous faire un petit coucou en posant sa basse massive et vrombissante, contrebalançant une mélodie noyée de reverb jouée en boucle jusqu’à ce que mort s’en suive. Mais mis à part sur cette piste (ressemblant à ce qu’aurait dû être Pink Floyd une fois Syd Barrett viré, soit dit en passant, hein, l’air de rien) précise, la basse sera assuré tout au long de l’album par Arce lui-même, ou parfois Lalli.
Notons un travail sur le jeu et la production de la batterie qui apporte une couleur différente à l’ensemble, mais aussi à chaque morceaux, puisque certains autant en terme d’ambiance que de genre n’ont strictement rien à voir. Tantôt boucle électro-ambient sur “Honey Hive”, tantôt batterie rock aux relents jazzy (“Deep Sleep Flower”), ou bien encore un hybride des deux styles (comme sur “Alloy Pop”, en ouverture de l’album) elle joue un rôle clé dans la teinte que prendra le morceau. Le jeu carré, millimétré, mais aussi très vivant de Bill Stinson est un élément clé de la cuisine de Gary Arce et cette troisième collaboration consacre une sorte de complémentarité naissante entre les deux qui maintenant va au-delà du feeling télépathique de leurs sessions improvisées d’avant. Voila, tout ça, c’était ce qu’on connaissait déjà un peu, le son, les musiciens, ça n’a que peu évolué depuis le premier Ten East. Ce qui a changé, c’est l’intention et l’impulsion créatrice de base et l’orientation musicale qui en découle.
L’aspect improvisé et jam du projet précédent est abandonné, et on se trouve face à une musique beaucoup plus pensée, construite, et pourtant, d’autant plus dépouillée. Les expérimentations sonores sont prépondérantes mais discrètes, les lignes de guitares sont plus épurées que jamais, et si sur cet album chaque morceau à sa personnalité propre, il sera plus aisé d’y associer une ambiance, une humeur qu’une mélodie précise. Tout axer sur une composition cérébrale aurait pu ouvrir la porte à une forme de masturbation collective exaltée où chaque intervenant aurait joué vivement de son poignet pour participer à la mise en place d’un monstre sans chair, ni âme, vide de toute musicalité et gavé de semence égotique. Et pourtant, il n’en est rien. L’album entier semble avoir été construit dans une optique plus ambient que jamais, cherchant à évoquer, faire sentir, plutôt que raconter.
Exception faite de la batterie parfois un peu technique, les autres instruments interviennent avec abnégation et humilité pour taper juste quand il faut, où il faut. Sans réelles prétention, les influences des membres respectifs se fondent ici dans un objet musical inclassable qui échappe a toute tentative de catégorisation. Le format de base reste rock, évidemment, avec basse, guitare et batterie, mais le résultat obtenu va largement plus loin, sans arriver réellement quelque part. Il en résulte un espèce de voyage introspectif, contemplatif, et en d’autres termes chiants si vous n’êtes pas d’humeur, ou insensible à ces espèces des boucles mélodiques et de riffs lancinants. Les rythmes souvent alambiqués et à tiroir parviennent à cultiver avec une discrétion toute à leur honneur une ivresse hypnotique qui parcoure tout l’album, mais l’ensemble peut revêtir un aspect légèrement hermétique. Dénué de l’énergie brute des prises quasi-live de Ten East, Dark Tooth Encounter peut souffrir de ce côté à la fois cérébral et tellement posé qu’il en devient apathique.
Enième facette de Gary Arce, ce nouveau projet reste une réussite dans son genre, mais il faut se sentir d'attaque pour s'y plonger, un peu comme Ten East, mais pour des raisons différentes. De toutes façons, distribué de façon confidentielle, ce groupe ne prêchera que pour des convaincus, se permettant ainsi des escapades expérimentales, psychédélique et progressives là où une pression commerciale quelconque l'aurait peut-être déjà dissuadé d'aller droit dans le mur avec le sourire.