Un fond de wah-wah ; deux éclaboussures de cuivres ; quelques grumeaux de slap ; battez le tout sur du riff en flammes, puis nappez d’une voix claire. Qu’est-ce qui sort des fourneaux ? « C’est du groovy rock sauvage, papa ! » De la fusion, comme on disait dans le temps. Ou de la zic de branleurs, au choix… L’heure, quoi qu’il en soit, n’est pas à la prise de tête, ni aux cures de Prozac. Chez les Cavemen, on s’imagine plutôt taper du pied dans une cafète, un gobelet de bière à la main, en oubliant les cours de la fac. Un autre trip, quoi. Comme si la fin des années 90 et le néo-métal n’avaient jamais existé.
Les premières écoutes se feront donc avec le sourire, mais sans réelle surprise : traumatisée par les Fishbone, Bungle et autres Red Hot, la scène française accouche d’une nouvelle bande de fusionneux-déconneurs (même si ces Lillois-là sont beaucoup plus sages, beaucoup moins « collages », que leurs cousins consanguins de Costa Gravos). Musique cuivrée sur tranche, donc, ambiance feelgood et 100% jeun’s dans l’esprit ; on se régalera d’une production nickel, chaude à souhait, toute entière au service d’hybrides bigarrés… même si (on s’en serait douté) les paroles laisseront les amateurs de Kant un chouïa sur leur faim… Alors, les Cavemen ? Musique de soirée ? Groupe de déconneurs efficaces ? Oui, certes ; mais pas seulement. Au fil des écoutes, les titres en demi-teinte se révèlent en effet sous les burners festifs, et le groupe finit par dévoiler son vrai visage : ni plus ni moins que celui d’un Incubus français. D’un Incubus jeune, certes ; mais un Incubus dont le cinquième membre jouerait pour de vrai ! Le percusionneux-saxophoniste, de fait, n’est pas vraiment là pour la figuration – tout comme le gratteux, impérial en tous registres, et dont le groove, la science du riff, les soli limpides et construits, rappelleront la maestria d’un Frusciante ou d’un Mike Einziger (pas un mince compliment, pour les connaisseurs). Même topo pour le chanteur, dont le timbre agréable et suave sert le groove au quart de poil, et qui louche carrément vers le beau gosse de la jungle – écoutez "Igor" : c’est Brandon « branleur » Boyd tout craché.
Au fil des écoutes, la track-list affiche donc un nuancier complet : si l’imparable disco-funk-metal de "Fusion" saute à la gueule d’entrée de jeu, on découvrira par la suite la finesse des deux premiers titres, plus solides et plus mûrs, ou la balade "Sunday Morning" qui – n’eût été la fausse bonne idée du break – pourrait bien être l’équivalent français de l’excellent "Drive" (Incubus, encore). On restera plus sceptique sur les chansons à sketchs du style "Burlesque Burglary", les collages potaches de "Looking For Fame", ou les gros délires du titre éponyme – compos sympatoches mais juvéniles, et qui (soyons méchant deux minutes) semblent moins taillées pour la scène que pour la MJC. Tout CD de fusion dépassant la demi-heure ayant tendance à crouler sous son propre poids, on pourra par ailleurs tirer la langue sur la deuxième moitié du disque. Non pas que le rythme s’essouffle. Simplement, en 2009, bâtir sa fusion sur du funk, c’est un peu comme monter des meubles Ikéa : ça prend rapidement forme, c’est très vite efficace, mais le résultat manque un poil de personnalité. On ne pourra pas reprocher à des titres comme "Igor", "Surréaliste !" ou "Effet D’Argan" d’être mal gaulés : simplement de skier des pistes que Fishbone, Faith No More ou les Red Hot ont ouvertes au chasse-neige depuis… presque vingt ans, maintenant.
Bizarrement, les groupes de fusion, dans leur jeune âge, ont souvent révélé leur potentiel futur sur les titres les plus sombres, les plus sages – ou pour mieux dire : les moins « bêtement délirants. » À ce titre, on ne pourra que tendre l’oreille sur la véritable force cachée de Cool Cavemen, une carte qu’il tient encore timidement dans sa manche mais qui, bien jouée, pourrait lui faire occuper une case inédite dans le monde de la fusion : sa science de l’harmonie. Les chœurs de "Sunday Morning", par exemple, les couches de saxo sur "Funkysaxplayer II", ou même les harmonies à cinq têtes de "J’Préfères Que C’est Mieux" (malgré des paroles parfois bébêtes, voire démago), révèlent un art du contrepoint qui laisse pensif. Hors des puzzles bunglisant ou du groovy-rock «yeah babe» à la Red Hot/Incubus, c’est lorsque Cool Cavemen se lance dans ces savantes constructions qu’il touche juste, que sa musique devient personnelle, passionnante et… prometteuse. Mais nul besoin d’anticiper. Cool Cavemen a encore besoin de jeter sa gourme, de faire le plein de concerts, et (pour reprendre Marco d’FFF, auquel ils font un savoureux clin d’œil) de «poser ses couilles sur le billot», afin de montrer d’abord ce qu’il sait faire. L’effort de recentrage, d’approfondissement, l’ébarbage des parties superflues – bref, le fameux « temps de la maturité » viendra plus tard… même si les Cavemen ont déjà dans leur besace de quoi faire trépigner.
Nous tenons donc là, après quelques démos et EP, un deuxième album solide, pro, dont la finesse de réalisation et d’exécution remplit amplement sa mission : procurer du fun, du groove, du bon temps et de l’émotion. C’est déjà beaucoup. Si les Cavemen, au surcroît, décidaient par la suite d’appuyer leur spécificité, de mettre l’accent sur les harmonies, les chœurs – tout ce qui fait en somme leur personnalité en gestation – on ne peut qu’espérer pour l’avenir le meilleur. Sur un plan national… voire même au-delà.