Vous êtes d’humeur facétieuse ? Vous avez dans votre entourage un ami fan de Slayer pas très futé (les mauvaises langues diront que ça va forcément de paire) ? Alors voici de quoi rire le temps d’un instant à ses dépends. Conviez-le chez vous, et discrètement, glissez ce Hidden Cruelty dans votre rutilant équipement hi-fi. Pressez d’un air de conspirateur la touche « play » en lançant benoîtement «tiens vieux, j’ai un truc à te faire écouter». Après quelques secondes d’écoute, il y a de fortes chances que le pauvre hère piégé s’exclame : «Nom de…c’est un nouvel album de Slayer ? Roooooh purée, j’en ai même pas entendu parler, truc de ouf’ !». C’est le moment que vous choisirez pour exhiber la pochette du dernier album de Maze Of Torment, vous fendant d’un grand éclat de rire démoniaque en pointant du doigt l’infortunée victime de votre fourberie*.
Mais que peut bien être en train d’essayer de vous faire comprendre le chroniqueur par cette quasi-biblique parabole ? Les plus subtils d’entre vous (donc en excluant les fans de Slayer, renchérissent les mauvaises langues décidément bien bavardes) l’auront compris : ce Hidden Cruelty a de forts relents de la bande à Araya, période Divine Intervention. Ce qui est d’autant plus troublant pour ceux qui ont eu l’occasion de poser une oreille sur leurs galettes précédentes (The Unmarked Graves, sorti en 2003 et Hammers Of Mayhem en 2005), où l’on avait affaire à un thrash/black de facture correcte mais qui n’avait pas marqué les esprits. Première chose à avoir subi un lifting par rapport à cette période, le son. Là où les guitares débordaient de partout, crades, dans l’esprit typiquement black-metalleux, ici elles se veulent franchement incisives, lourdes et sans concession. Remarque similaire pour la batterie, qui du coup ralentit et délaisse complètement le blast beat.
La voix, elle, change également de registre et supprime les composantes black-metal pour ne garder qu’une voix hurlée éraillée dans la veine de…Tom Araya, oui oui. Quelques petites pointes de growl saupoudrées de-ci de-là, mais à part ça on est tout à fait dans le registre de Mille Petrozza (Kreator). Ces changements d’orientation ne sont sans doute pas sans lien avec le départ de deux des membres du groupe depuis leur dernière production Hammers of Mayhem. Bon, tout cela est bien gentil (dit le lecteur en bougonnant), mais ça ne donne aucun renseignement sur la qualité de la galette. Au moins, en tout cas, l’auditeur saura à peu près à quoi s’attendre en achetant cet album : un mix de Slayer et de Kreator. Mais comme chacun sait, il y a le « bon » Slayer et le « mauvais » Slayer (mais ne le répétez pas aux fans, hein, votre capital dentaire est en jeu), et le « bon » Kreator et le « mauvais » Kreator. Alors quelle alchimie est prépondérante ici ?
Eh bien, même pour une personne rompue aux recettes traditionnelles du thrash, il faut avouer que le groupe semble plus à son aise que sur The Unmarked Graves. Leur musique se veut plus lourde, plus posée, et surtout plus construite. C’est simple, direct mais plutôt efficace. "Breach The Wall" donne le ton, rapide et dévastateur, nous ouvrant la tronche avec un solo d’intro absolument formaté par les canons du thrash, mais qui fonctionne. Et puis après, dans une joyeuse frénésie, le groupe nous bombarde de double grosse caisse, de riffs aiguisés et de breaks headbanguant. Les titres sont globalement courts (environ 3:30 de moyenne pour une durée totale de 35 minutes – ça ne vous rappelle rien ?) et vont directement à l’essentiel. Riff d’intro, couplets, refrains, on cale un p’tit solo et deux-trois cassures rythmiques, emballez c’est pesé et on passe à la suivante. Pas le temps de se lasser, à peine le temps en fait d’apprécier l’album qu’il est déjà fini.
Globalement, on oscille entre du mid-tempo énergique ("Few More Bullets", "The Icons Burden", "Day of Passing") et du plus furieux ("The Vision", "Terminate – Obliterate"), mais dans les deux cas, Maze Of Torment reste efficace, concentré sur son œuvre et véritablement sincère. Alors oui, soit, on peut très facilement les accuser de plagiat (c’est même parfois limite éhonté), de manque d’imagination, voire de facilité en officiant dans un genre où les icônes du genre se font rares (et je ne serais pas surpris que cet album se voit plus d’une fois pilonné par des avis de gens pour qui l’inspiration plus que frappante est rédhibitoire), mais qu’importe : on ne peut pas dire sans une pointe de mauvaise foi que cet album est mauvais.
Bon, on ne va pas non plus en faire l’album de l’année, mais il a sa place au parmi les chouettes albums de thrash un peu passe-partout, et trouvera sans doute un public auprès des amateurs de Slayer ou de Kreator lassés des dernières sorties mitigées de ces deux poids lourds. On regrettera ses trop succinctes 35 minutes, mais quoi : n’est-ce pas l'une des marques de fabrique du thrash tel que conçu dans les année 80 ?
*La rédaction suggère, si c’est un vrai fan de Slayer, de mettre une distance de sécurité entre vous et lui, les fans de Slayer n’étant pas tant réputés (toujours d’après ces mêmes mauvaises langues, hein) pour leur sens de l’autodérision et de l’humiliation que pour leur collection de poings Américains. La rédaction décline, ça va de soi, toute responsabilité.