1 – Introduction:
Mesdames, Messieurs, installez-vous. Je suis ravi de voir que tant d’entre vous sont venus assister à notre dissection de « Peur De La Musique », un ouvrage de messieurs Byrne et Eno (sorti toutefois sous le curieux crédit de Têtes Parlantes) datant de ’79. Pour commencer, je vous rappellerais que le titre de cet ouvrage peut être saisi de deux manières différentes: la peur de la musique (celle qu’elle invoque en nous); et la peur musicale (celle qu’elle provoque).
2.a – « Find myself a city to live in. »:
Avant de nous lancer dans un étripage plus en profondeur (je sais que vous n’attendez que ça), laissez-moi vous rappeler le contexte dans lequel il est né. Fin des années ’70, la vague punk commence à s’essouffler mais le chaos politisant est encore de rigueur. Au cœur de cet état de fait, le groupe s’étant déjà fait remarquer avec ‘Talking Heads: 77’ et son fameux Psycho Killer (je sais que vous la connaissez, arrêtez de chanter pendant que je parle, je vous prie) tente de redresser la barre, son second ouvrage ayant été un échec.
2.b – « No time for dancing! »:
S’inspirant de diverses élucubrations, Têtes Parlantes choisit de poursuivre sa voie dans un sens que tout le monde semble alors condamner: la musique à danser. Outrageusement syncopée et plaçant la basse loin devant, Têtes Parlantes invente avec quelques autres ce qu’on va nommer la nouvelle-vague. Sans vouloir redéfinir un concept que vous connaissez déjà tous, il est important de préciser que la nouvelle-vague est ici à prendre dans sa définition post-pünque rythmé (Le Gang Des Quatre, Les Slits…) et non synthétique et/ou froide (Le Soin, Dépêche Mode…).
3.a – « They pick the sound… and let it drop. »:
Pour s’inventer un art étrange mais populaire (d’ailleurs étrangement anti-populaire), monsieur Eno s’installe derrière les manettes. Nul doute qu’il n’a pas eu besoin d’apprendre leurs métiers aux participants, et certainement pas à mademoiselle Weymouth, sublime de présence et de justesse dans toutes ses interventions ("Cities", "Life During Wartime"). De même, elle se voit épaulée par son brave mari monsieur Frantz, qui remplit lui aussi son rôle avec brillance ("Memories Can’t Wait"). Les claviers dispensés ici par pas moins de trois personnes ont une importance capitale, ils permettent à Têtes Parlantes de peaufiner une démarche originale et électronique qui présagera grandement la décennie à venir.
3.b – « Never listen to electric guitar. »:
Si les guitares jouent un rôle essentiellement rythmique, l’auditeur attentif remarquera quelques interventions solistes très correctes. L’apport des deux guitares peut ne pas sembler concluant de prime abord mais ce serait oublié que pour créer une atmosphère de malaise, rien n’est meilleur que deux instruments robotiques se répondant en décalage. La seule partie s’échappant du climat mécanico-psychotique de l’ouvrage est le premier chapitre, nommé "I Zimbra", une louange mystique écrite dans la langue de Dada par le poète Hugo Ball. Signalons d’ailleurs que dans cette dernière, le collaborateur le plus prestigieux de monsieur Eno, monsieur Fripp, vient tenir la guitare.
4.a – « Heaven is a place where nothing ever happens. »:
La Tête Pensante des Têtes Parlantes, David Byrne, est une réelle Tête Affolante. Son interprétation se passe de commentaire, et vous ne pourrez comprendre si vous n’avez pas écouté. Loin de n’être qu’un excellent interprète de la tragédie humaine, il est également un écrivain éclairé, et cet ouvrage le prouve en laissant libre court à sa plume de tergiverser sur les pathologies engendrées par nos sociétés modernes. Cet ouvrage est une bible sur la dégénérescence de la pensée civilisationnaire devenue concentrationnaire. L’esprit humain est faible et malléable ("Mind"), il est constamment agressé et sous pression ("Cities"), il se crée lui-même des problèmes ("Life During Wartime") et lorsqu’il déjante il est capable du pire ("Memories Can’t Wait"), tant qu’il trouve un réconfort quelque part ("Drugs").
4.b – « I’m mad! … And that’s a fact! »:
Mi-chantant, mi-hurlant, mi-déclamant (oui ça fait trois mi, mais le rock est de toute manière une musique principalement interprétée en mi), le grand créateur ne cesse d’en imposer, notamment dans la pièce maîtresse qu’est "Animals". Byrne déclare que les animaux lui parlent mais qu’ils sont retors, qu’il ne faut pas s’y fier, mais de toute façon il est fou. A moins que ce ne soit les animaux qui le soient… Bref, toute cette fascinante progression buccale nous amène au climax suprême, immense déclaration de guerre intra-raciale où le prophète déclame les commandements sur une formidable montée syncopée jusqu’à l’orgiaque apogée terminale qui… Pardonnez-moi, Mesdames, Messieurs, j’ai mouillé mon pantalon.
5 – Conclusion:
Nous pouvons donc terminer cette exhibition en affirmant que, sans aucun doute possible, ces gens étaient fous. Tellement fous qu’ils n’arriveront plus dans leur carrière à recréer de choses aussi parfaites, à part peut-être en représentation. Qu’à cela ne tienne, cet ouvrage est le grain de folie qui émane du génie. A moins que cela ne soit le contraire? Je vous prie de m’excuser deux minutes, Mesdames, Messieurs, je vais demander à ma maman et je reviens.