Voila, voila, on arrive : ne vous impatientez pas ! C’est vrai que cet album d’Augury aura donné du fil à retordre à la rédaction des Éternels. Après qu’un de mes confrères ait renoncé à le chroniquer, Fragmentary Evidence a échoué dans ma besace, avec un petit mot du type «bon, je te le file, Luci, tu verras c’est du bon, un peu à la Obscura, mais je n’arrive pas à le chroniquer». Prêt à relever n’importe quel challenge, j’acceptais avec un «bof…» désinvolte et un haussement d’épaule, et pressais la touche « play ». C’était il y a plus de deux mois, et j’ai eu aussi du mal à la pondre, cette chronique…
Augury est un groupe québécois qui a vu le jour dans les environs de Montréal il y a peu de temps. A peine le temps de sortir un premier enregistrement Concealed en 2004, et les voila qui nous présente leur second album et une signature avec Nuclear Blast en bonus. En tout état de cause, après les premières écoutes de défrichage, mon couard de collègue, fuyant avec un courage notable l’adversité, n’avait pas tort : il plane sur les neuf titres de Fragmentary Evidence comme un parfum de death technique progressif à la Obscura. La basse subit un peu le même traitement (le bassiste se réclame de Steve diGorgio), toute en virtuosité, et les guitares ne sont pas en reste, brodant des riffs se retrouvant à la croisée des chemins, entre rythmique et lead. Le tempo est oscillant, les structures éclatées et les mesures rarement linéaires : pas de doute, l’influence progressive à la Death/Cynic est bien présente. Le tout étant servi, on s’en doute, par un niveau technique plus que pertinent, et la soupe n’avait plus qu’à prendre.
Malheureusement, c’est là que le bas blesse un tantinet. Obscura n’était déjà pas facile d’approche, pour les mêmes raisons, mais finissait par se laisser apprivoiser. Ici, malgré les écoutes répétées, Fragmentary Evidence a toujours du mal à prendre forme dans l’esprit de l’auditeur. Trop tordue, trop variée, l’œuvre des musiciens québécois manque gravement de points de repères et de riffs mémorables pour rester en tête et pour ne pas finir en bouillie auditive dans le souvenir de l’auditeur quelques heures après l’écoute. Pourtant, le groupe jalonne ces cinquante minutes de musique avec des petits passages qui marquent, comme ce chant à la Machine Head sur "Simian Cattle", l’intervention de Sven De Calluwe (chanteur de Aborted, qui a aussi réalisé la pochette de Fragmentary Evidence) sur "Aetheral", ou encore cet étonnant passage évoquant Orphaned Land avec ce chant un peu oriental sur "Brimstone Landscape". Reste le jeu du batteur, tout en subtilité quand il le faut (sur "Oversee the Rebirth", par exemple) et en énergie le reste du temps (sur le brutal "Faith The Puppeteers", entre autre) et un chant aux multiples facettes, passant du growl au hurlement au susurrement en moins de temps qu’il n’en faut pour le hurler.
Pourtant, cette sensation de trop-plein musical ne quitte pas vraiment l’auditeur, qui hésite entre l’admiration de la technique, de l’audace et de la réalisation de cet album, et le dépit devant ces compositions trop ampoulées, trop complexes que l’on pourrait croire composées dans un exercice de style presque purement démonstratif tant tout cela fait parfois patchwork sans queue ni tête. Si Obscura a su relier ces deux aspects et produire une œuvre certes difficile à appréhender mais avec une indéniable touche et de belles compositions, Augury reste malheureusement trop souvent le nez sur sa copie et manque de prise de recul sur ses compositions. Fragmentary Evidence reste donc un exercice de haute voltige parfaitement exécuté, très bien produit (l’équilibre guitare/basse/batterie est parfait, tout ce petit monde étant mis en valeur sans écraser le reste) mais qui ne plaira qu’aux amateurs de death metal progressif jusqu’au-boutistes, mélangeant des influences jazz, progressives à la Opeth et death technique à la Atheist…
Le sentiment dominant reste donc la déception. Il y avait là une matière suffisamment étoffée pour faire de Fragmentary Evidence un des albums majeurs de 2009, au lieu de quoi, s’il gagnera sans aucun doute la faveur de la critique et de l’élite des musiciens du genre, il risque de ne rester qu’une référence dans la section « album qui tue mais qui ne provoque pas souvent une envie d’écoute ». Ceci expliquant clairement la difficulté rencontrée par mon prédécesseur et moi-même…