Mories ne vous aime pas. Cela fait des années qu’il a décidé, du fin fond de son fief hollandais, de vous faire la peau ; pour tromper l’ennui mortifère qui le ronge dans son pays cafardeux… et parce que ça l’amuse, aussi. En tout cas il ne chôme pas : albums, EP, splits, le bonhomme publie ses méfaits à une vitesse frénétique sur bon nombre de labels – quand il ne se produit pas lui-même – si bien que Candlelight, pas la plus timide des structures extrêmes, a pris le risque de distribuer cette nouvelle gerbe à la face du monde. Parce que vous l’aurez compris, Gnaw Their Tongues, c’est pas gentil-gentil.
Et quand vient le moment de décrire cette Arrivée De La Terne Mort Triomphante, on se sent un peu pris de court. « Bande originale de cauchemar » est la première idée qui surgit, mais s’y limiter serait trop facile. Trop vague, et trop généreux : car Gnaw Their Tongues ne cultive pas l’étrange, l’imperceptible, la sensation de perte de contrôle qui donne des rêves plus marquants et dérangeants que des visions d’horreur. Sur ces dernières, en revanche, le Hollandais s’en donne à cœur joie : son plaisir, c’est de nous plonger en Enfer, et sans sommation. Tambours assassins, chœurs d’anges déchus, distorsion en pagaille, la plongée dans la tambouille est immédiate, et ces ingrédients omniprésents durant les quarante minutes donnent l’impression d’assister à un requiem pour détraque enregistré dans une grange en feu, avec le matos liquéfié et les protagonistes à l’agonie. En somme : c’est crade, et ça évoque le super 8 plutôt que le Cinemascope.
Cet aspect fangeux, poisseux est à la fois la force et la limite du projet. D’un côté, rien de mieux pour développer une ambiance malsaine et vicieuse, ce qui est précisément ce que recherche le bonhomme ; et si ce ne sont quelques micro-accalmies pianistiques, Mories ne relâche jamais la tension. Il l’amène même à son apex quand il se décide à prendre le micro pour vomir sa haine ; en intro du "Chant de la mort", même enterré dans le mix, l’effet est impressionnant, surtout en contrepoint à ces chorales infernales. Mais le problème, avec un son sale et distordu en continu, c’est qu’il est difficile de maintenir une dynamique, une science du contraste, quand tout est ainsi fait pour vous rugir au visage. Et ces cinq variations sur le même thème, impressionnantes au départ, perdent de leur dégueulasse saveur une fois réchauffées. La baffe est instantanée… mais pas prolongée.
Mais ça, il y a tout à parier que notre homme s’en fout ; il vous a bien mis la misère sur le coup, et quoi qu’il arrive, il ne lui faudra que quelques mois de plus pour jeter en pâture un autre de ses immondices, à la santé des masochistes qui réclament déjà leur dose. Parmi les braves curieux qui jetteront une oreille à L’Arrivée De La Terne Mort Triomphante , certains rejoindront le rang. Pour le plus grand bonheur de Monsieur Gnaw Their Tongues.