CHRONIQUE PAR ...
Sebrouxx
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
17/20
LINE UP
-Nguyên Lê
(guitare)
-Illya Amar
(vibraphone+marimba+machines)
-Linley Marthe
(basse+chant)
-Stéphane Galland
(batterie)
+ Guests: Youn Sun Nah, Dhafer Youssef, David Linx, Ousman Danedjo, Julia Sarr, Himiko Paganotti, David Binney, Chris Speed, Prabhu Edouard, Stéphane Edouard, Karim Ziad…
TRACKLIST
1)Eleanor Rigby
2)I Wish
3)Ben Zeppelin
4)Black Dog
5)Pastime Paradise
6)Uncle Ho’s Benz
7)Mercedes Benz
8)Over the Rainforest
9)Move Over
10)Whole Lotta Love
11)Redemption Song
12)Sunshine of Your Love
13)In A Gadda da Vida
14)Topkapi
15)Come Together
DISCOGRAPHIE
(2011) -
fusion
Jazz Rock Exotique - Label :
ACT
Oye, oye, jeune (et moins jeune) métalleux. Jusqu’alors, tu as exploré les confins de pays nordiques, places glacées, peuplées de vikings enclins à faire parler leur hache pour gagner de nouveaux territoires. Tu as mené bataille en des terres magiques, traversé de sombres vallées et débroussaillé bien des forêts ténébreuses pour trouver ton Précieux. Te voilà aujourd’hui confronté à un tout autre challenge : celui de mener à bien un tout autre périple. Celui du monde réel et présent qui t’entoure. Celui de faire face à Songs Of Freedom, album qui va te trimballer d’un bout à l’aube du globe, non pas en 80 jours, mais en 70 minutes. Taxes d’aéroport comprises.
Vendre Songs Of Freedom comme une simple invite au voyage est certes réducteur et, pire, méchamment scolaire. Mais les multiples écoutes parlent incontestablement d’elles-mêmes : le dernier bijou de Nguyên Lê vous balade d’un coin à l’autre de la planète plus vite que le défunt Concorde aurait été en mesure de le faire. Toujours en douceur, mais avec un sens de la trajectoire aussi serein que son auteur peut témoigner d’audace et d’esthétique. Et c’est bien connu quand on aime le Metal, on aime les bonnes choses, on aime les belles choses. Nulle question de la sacro-sainte ouverture d’esprit ou quoique ce soit de ce genre. Songs Of Freedom n’est pas un disque qui sera rangé au rayon Metal ou Shred de votre disquaire préféré (pas plus que Led Zep ou Cream d’ailleurs, passé du Hard au Classic Rock.) Vous risquez de le trouver au mieux dans les travées marquées Jazz ou Jazz Fusion. Et au pire dans les étagères Word Music et Folklore. Tant que le magasin le propose, remarquez. Qu’importe le rayon pourvu qu’on ait l’ivresse de la haute voltige distillée par Monsieur Lê, ses multiples instruments à cordes et son personnel de bord ultra-compétent.
Il y a définitivement un pilote dans l’avion. Soit Nguyên, un musicien complet, un guitariste brillant (la preuve ici, il propose autre chose et bien plus qu'un « simple album-de-guitare »), mais avant tout un Être doué pour revisiter le répertoire des autres. L’homme avait déjà fait ses gammes en la matière, via une relecture hautement personnelle de l’œuvre de Jimi Hendrix. Allusion faite à l’album Purple de 2002, à posséder absolument… que vous soyez ou non fan du Voodoo Child d’ailleurs ! La grande force de ce dernier était déjà d’aboutir à tout autre chose qu’une simple et énième copie carbone hendrixienne, mais par dessus tout à réaliser bien plus qu’un simple disque de guitare. En 2011, il nous refait le même coup mais en levant la barre encore plus haut et en s’attaquant à quelques morceaux/tubes internationaux des années 60 et 70. Vont passer à la moulinette quelques hits - pour certains réputés intouchables… mais déjà (trop ?) retouchés - de Stevie Wonder, de Janis Joplin, de Bob Marley, des Beatles, de Cream et de Led Zeppelin. Inutile de commencer, jeune métalleux, par rechercher les pistes de Led Zep et de Cream avant d’éventuellement te dire que tu verras le reste ensuite. Sois aussi cohérent que l’artiste en question et commence par la piste 1 pour terminer par la 15. Tu verras ensuite et feras (éventuellement) ton tri. Mais sois rassuré : ta soif de soli de guitare sera assouvie (cf. les fulgurances de “Black Dog”, “Sunshine of Your Love”, “Mercedes Benz” et “Whole Lotta Love.”)”
D’une part parce que même si un album de reprises n’est pas un concept album, il n’en demeure pas moins que ce Songs Of Freedom propose une cohérence et une progression qu’il serait regrettable de ne pas admirer, la faute à cet esprit zappeur si emblématique de notre quotidien speedé, faste en modes éphémères et furieux en règle générale. Témoigne en premier lieu de cette cohérence, le fait d’ouvrir et de fermer l’album par les Beatles. “Eleanor Rigby” nous tend la main d’entrée de jeu, quand “Come Together” nous demande de gentiment nous retirer, en toute délicatesse. Le segment de A à B, droit comme un I, s’avère tout tracé. Mais combien de segments perpendiculaires vont le croiser, la casser ? Un nombre qui flirte probablement avec l’infini. Mais à la première écoute, l’équation semble simple : passer au shaker tous ces standards afin de leur offrir un lifting « exotique » pour reprendre le terme de son auteur. Vu sous cet angle, le pari est gagné. Tellement gagné d’ailleurs que, sans jeter le moindre coup d’œil à la tracklist, la seule écoute des intro permet difficilement de retrouver le titre du morceau originel. Il faut soit avoir une oreille ultra-experte et compétitive en matière de blind-test, soit plus simplement attendre le premier riff ou les premiers mots du couplet pour se sentir en terrain connu. Et oublier les éventuelles mauvaises reprises des morceaux ici sélectionnés que tout un chacun a malheureusement enduré par le passé.
La science de l’arrangement n’a rien d’une discipline exacte mais exercée avec autant de respect pour la matière première et sublimée par autant d’interprètes et de musiciens (pour la plupart à mille lieues de leur répertoire habituel), cela force le respect. Dhafer Youssef illumine le chant le “Black Dog“ (quel break, au passage), quand David Linx transcende ceux de Wonder et Joplin. Les tablas sur “Whole Lotta Love” transfigurent littéralement le morceau, pourtant aisément reconnaissable grâce à son riff de guitare, certes quelque peu modifié… mais comme Jimmy Page aurait probablement aimé le voir figuré sur le Unledded – No Quarter qu’il avait pondu avec son comparse Robert Plant en 94. L’œuvre de Led Zep a souvent incité au voyage. Cette fois, elle décolle plus que jamais vers les terres indiennes, arabes et africaines. Même sanction pour “Sunshine of Your Love” qui, restant rock au demeurant (quel solo de guitare), se voit agrémenté de quelques gimmicks maliens aussi amusants que bien sentis. Et si “Mercedes Benz” conserve son côté blues du Bayou, le titre revu et corrigé file dare-dare vers les rives du Mekong. Sacrée virée ! Restent quelques flâneries comme un long “Pastime Paradise”, mais surtout “Redemption Song”, devenu une berceuse super-élaborée, magnifiée par le chant de Julia Sarr et sur lequel Sade aurait volontiers posé sa voix. Chaque nouvelle écoute est propice à de nouvelles découvertes. Soit la marque d’un Grand disque.
Sûr, jeune métalleux, que nous sommes loin de “Raining Blood” version lounge, ou de “Master of Puppets” en électro-jazz. Tant mieux d’ailleurs si tu veux te frotter à l’exercice, mais sache que pour aboutir aux résultats ici obtenus, il va te falloir bien plus qu’une extrême adoration au matériau de base. Retrousse tes manches, cherche et trouve l’alchimie parfaite entre ta dose de génie et ton petit grain de folie. Nguyên Lê et sa garde rapprochée ont déjà pris une sacrée avance.