Ghost In The Shell 2: Innocence fut l'un des grands moments cinématographiques de l'année 2004. Injustement boudé par le Festival de Cannes, ne rencontrant pas le succès mérité en salles, ce pourtant génialissime long-métrage de Mamoru Oshii était attendu par des milliers de fans depuis la sortie de Ghost In The Shell en 1995. Innocence, sa suite, explose tous les standards graphiques et d'animation, mélangeant d'une façon hallucinante animation 2D et décors 3D, pour un résultat ébouriffant de qualité. Une qualité suintant également par tous les pores d'un scénario très obscur, mais jamais abscons, sur les rapports homme/machine et la quête métaphysique des robots sur leur origine. Partant du postulat que les robots peuvent aussi avoir une âme, Oshii couche sur pellicule toutes ses obsessions filmiques et accouche une nouvelle fois d'une oeuvre essentielle, mais difficile à appréhender, de par son intrigue très complexe et les incessantes renvois à la philosphie, citant Descartes, Platon sur le fil d'une construction scénaristique que seul Oshii, qui détient les clés, peut réellement comprendre. A chacun d'en faire sa propre interprétation ensuite...
Une nouvelle fois, Oshii a fait appel à son compositeur attitré, Kenji Kawai. Et autant dire que la qualité de la partition du premier film, qui participait grandement à l'iconographie métaphysique et à ces fameuses envolées lyriques, est au moins autant égale à celle d'Innocence. Reprenant en trame de fond le sublime thème du film, Kawai réussit ici encore un tour de force, certes moins surprenant, mais tout aussi fédérateur. Tissant note par note la trame musicale d'Innocence, il parvient à nous émouvoir à l'aide d'une musique caractéristique, unique, minimaliste mais terriblement enjôleuse. Rien que le thème principal repris crescendo sur trois pistes différentes (n° 2, 7 et 10 pour vous épargner la transcription japonaise) prend aux tripes grâce à ces choeurs japonais terrifiants et ses percussions tribales du plus bel effet.
Je disais donc minimaliste... En effet, des pistes telles que "Type 2052 'HADALY'", "Etorofu" ou encore "The Doll House I & II" (double variation fantômatique du thème classique de l'enfance), parviennent à insuffler un mystère incroyable avec seulement un léger son de cloche sur une volute musicale essentiellement atmosphérique et parfois basée sur la distortion de sons. Couplées aux scènes du film (dont l'incroyable - et je pèse mes mots!- passage du labyrinthe mental, prolongement schizo de l'esprit torturé du scénariste, sur "The Doll House"), celles-ci prennent tout leur sens grâce à cette musique phénoménale. Mais les moments de bravoure sont aussi exceptionnellement présents. "Attack The Wakabayashi" est un morceau enlevé, composé essentiellement de percussions et de beats électro. Mais l'on est encore une fois loin de l'exubérance typique des BO hollywoodiennes et c'est cela qui est à la fois surprenant et addictif au possible. Le style de Kenji Kawai se reconnaît ainsi au moindre coup d'oreille...et trouve son zénith lors d'une piste proprement intemporelle: "Kugutsuuta Kagihori..." (la n° 10), où le thème principal, repris pour la troisième fois sur cette BO, monte crescendo vers un final qui en laissera plus d'un sur les genoux: une ascension de neuf minutes quarante-sept fulgurante, éprouvante, progressive dans le sens musical du terme et gagnant en intensité émotionnelle à chaque retour inattendu des choeurs. Un des meilleurs morceaux jamais composés pour un film toutes catégories confondues selon moi...
On tient là une des plus belles BO composées pour un film d'animation. Typique, unique, parfois difficile d'accès, l'univers musical de Kenji Kawai peut se targuer d'être un des plus originaux dans son genre, à des années-lumière des musiques de film pré-formatées et applicables à la lettre. Un fois que l'on s'est donné la peine (et il le faut!) de rentrer dedans, il est ensuite désagréable d'en sortir, puisque tout vous paraît fade en comparaison. Si cette humble chronique peut permettre de faire connaître un peu ce compositeur incroyable qu'est Kenji Kawai (retenez bien ce nom), j'en serais ravi, car il le mérite au plus haut point. Cette bande originale est à ranger dans les musiques intemporelles et inclassables. Un pur joyau.