Attention, disque hautement volatil et surprenant. En effet, la réédition, il y a peu, par le célèbre label The End Records de Metridium Fields, du premier album du quartette de Sacramento, répondant au doux nom de Giant Squid (« calmar géant »), a de quoi décontenancer bon nombre de personnes.
Pour ma part, j’ai trouvé en ce disque, réenregistré spécialement pour l’occasion, le second meilleur album de l’année 2006, ni plus, ni moins : confortablement calé quelque part entre le post-rock gras et l’extrême doomisant (en écartant bien les tentacules), touchant de la ventouse les hautes sphères progressives par ses structures alambiquées et par l’adjonction d’instruments tels que la trompette (!) ou encore l’orgue Hammond, on pourrait aisément qualifier ce petit chef d’œuvre d’inventivité, véritable arche de Noé musicale, de freak metal, car l’on y retrouve une ambiance proprement unique, voire indéfinissable, tant ce disque est osé.
En effet, le bougre se permet de jouer avec toutes sortes d’influences, piochant ça et là, faisant le marionnettiste avec les gammes, les accords et les effets de voix étranges et hypnotiques (la dualité voix masculine – voix féminine ayant été utilisée ici de manière parcimonieuse, mais tellement juste et originale par rapport à ce que l’on peut écouter de semblable aujourd’hui). Le premier morceau ("Neonate"), excellente entrée en matière progressive pour découvrir les nombreux talents du groupe, promet énormément : un riff de guitare feutré et épais comme l’encre du calmar, entame une série de loops monstrueux et traverse les couplets hallucinants incarnés par la voix étrange d’Aaron Gregory, entre chant clair décérébré et hurlements coléreux, et les litanies suraigües d’Aurielle Gregory. S’enchaînent ainsi sept minutes apocalyptiques, qui posent les bases de ce que sera le disque : hystérique mais maîtrisé, osé mais écoutable, mélodique mais hérissant le poil. Schizophrène, en somme.
"Versus The Siren" enfonce un peu plus le venin, déjà bien profondément pénétré dans votre chair : le calme mellotroné des débuts, parsemé d’accords de trompette des plus classieux, vous enveloppe de son voile chaleureux et jazzy, pour ensuite vous projeter quelques minutes plus tard dans un gouffre sans fond, où les guitares, plus basses que terre sur l’ensemble du disque, gronderont jusqu’à plus soif dans une succession de riffs à la dynamique impressionnante. A ce titre, le mixage graisseux de Billy Anderson (Melvins, High On Fire, Neurosis, pardonnez du peu !), volontairement cru mais efficace (la batterie jouit d’un son inouï, au feeling démesuré, comme sur le très neurosien "Revolution In The Water"), ajoute à l’impression d’écrasement évoqué lors des parties plus extrêmes ("Ampullae Of Lorenzini", doom rock éclairé).
Le résultat est un disque très mélancolique, inspiré par l’organique des seventies, porté par un feeling moyen-oriental parfois assez prononcé ("Neonate") et écrit de main de maître par un groupe qui déborde généreusement des carcans spécifiques à l’indicatif post, à savoir la lourdeur, la répétition et les envolées coreuses chères à Neurosis et Isis (avec qui Giant Squid a d’ailleurs partagé quelques concerts aux Etats-Unis). Que dire du fascinant pavé éponyme, placé en fin de parcours ? Il nous tue littéralement sur place par son assise mélodique, déroulant lentement sur plus de vingt minutes un morceau digne des plus grands volets progressifs, distillant ses accords éthérés tout en subtilité et harmonie.
Metridium Fields est un disque rare, un diamant brut qui ne demande qu’à être taillé de manière encore plus tordue par l’auditeur averti, qui fera ainsi les frais d’une mise en abîme incroyable. Le premier disque du calmar géant, monstre légendaire, est une œuvre sans précédent, parée d’une aura magnétique. Un des meilleurs disques de l’année 2006, fantastiquement barré.