De tous les combos qui ont émergé après le split de Deep Purple, le groupe de Ian Gillan est incontestablement celui qui est resté le plus proche de l'esprit qui animait le Deep Purple du mark 2. Double Trouble devait être à l'origine un double album live enregistré lors du festival de Reading en 1981 (la même année que Saxon). Finalement, à cause du départ de son guitariste Bernie Tormé, Double Trouble ne contiendra qu'un simple live et un album studio en première partie. Bernie Tormé, lassé par les albums de Gillan qu'il jugeait trop répétitifs, sera remplacé par le désormais célèbre guitariste acrobatique Janick Gers, vous savez le mec qui fait plein de galipettes sur scène avec Iron Maiden ;o).
Son jeu n'est d'ailleurs pas très éloigné de celui de Bernie, sachant que tous les deux se considèrent comme des "punk guitar-hero" (sic) c'est-à-dire avec un jeu agressif, un son bien crade proche de celui des punks et une virtuosité digne des guitar-hero en herbe. Bref, des tueurs en série !!! Gillan formait un véritable groupe, soudé et où chaque musicien avait son mot à dire, de la même façon que le groupe d'Ozzy. Et cela s'entend évidemment. On n'écoute pas du Ozzy seulement pour écouter le chant d'Ozzy. Ben là c'est pareil. Donc ce n'est pas seulement pour entendre les hurlements de Ian Gillan que j'écoute ce groupe.
La partie studio de Double Trouble marque un changement vers un style plus mélodique et moins rock, plus propre aussi. Il était nécessaire à Ian Gillan d'évoluer car sur le précédent album pourtant très bon, Future Shock, ça sentait clairement la redite et il ne pouvait pas continuer comme ça à l'infini. Donc Double Trouble est moins direct que les précédents. Les titres bien speeds et bourrins, un peu à la Motorhead, ne sont plus là. Difficile en tout cas de définir le style exact pratiqué ici. Ian Gillan durant sa carrière solo n'a jamais hésité à mélanger heavy metal, progressif, jazz, pop... tous ces styles mélangés rendent ses travaux particulièrement créatifs. Et son inspiration ne semble jamais faiblir, malgré le fait qu'il sortait un album tous les ans.
Il y a aussi une pointe FM sur ce disque, avec quelques parties bien léchées de synthés sur les refrains ("I'll Rip Your Spine Out", "Nightmare"), mais heureusement, y'en a pas sur tout l'album. Ce ne sont pas les meilleurs moments de ce Double Trouble. Et heureusement, Gillan n'a pas viré pop ni FM contrairement à Rainbow avec Joe Lynn Turner. Mais le répertoire de Gillan reste foncièrement heavy, surtout sur Sun Beam, le seul morceau où Janick Gers ait participé à la composition, et c'est du solide, croyez moi. Gros riffs, nappes de claviers phréatiques et une approche mélodique remarquable de la part de Ian Gillan (il n'a jamais été aussi mélodique dans Deep Purple), la grande classe !
Quelques titres se rapprochent plus de Deep Purple sur les très rock "Restless" et "Hadely Bop Bop", et là aussi, la rythmique basse-batterie est impeccable, ça cogne dur et juste (alors que Ian Paice cognera faux sur Perfect Strangers en 1984 ;o( ). Inutile de dire que le jeu du batteur Mick Underwood me file le grand frisson. Il n'est peut-être pas aussi impressionnant qu'un Cozy Powell techniquement, mais niveau bastonnage de futs en règle, il rivalise sans problème.
Ian Gillan hurle comme un possédé, sa voix tire dans les aiguës comme rarement il l'a fait (ce qui peut être assez difficile à supporter quand on n'est pas habitué au chant qu'il avait dans les années 80). Suffit d'écouter "Men Of War" pour s'en convaincre et ses hurlements rendent ce morceau terriblement puissant. Et c'est bien son chant qui m'a rebuté au départ sur ce disque. J'étais resté bloqué sur sa manière de chanter avec Deep Purple dans les années 70, alors forcément, ça fait un choc !! Parce qu'ici, rien à voir, c'est qu'il est beaucoup plus mélodique le Gillan, alors qu'avec Purple il est finalement assez terne. Mais ses capacités vocales sont quand même limitées, il n'est pas un chanteur extraordinaire. Mais les émotions qu'il dégage... je connais peu de chanteurs aussi expressifs que lui.
En tout cas, il était plus à son aise et chantait bien mieux pendant sa carrière solo qu'avec Deep Purple lors de la reformation de 1984, où là ses cordes vocales seront complètement usées. Et Gillan continue aussi d'expérimenter d'autres styles musicaux comme il en avait l'habitude, ici avec "Born To Kill", un long morçeau de pur rock progressif qui s'étend sur dix minutes ! Bon ce n'est pas le plus grand morceau prog de tous les temps, mais quel plaisir d'écouter Gillan dans ce type d'exercice et ce sont surtout les passages où sa voix se mélange à merveille au piano progressif qui font mouche. La rythmique elle, est davantage rock, ce décalage fait un peu bizarre...
Vous pensiez en avoir fini avec ma chronique... ben non il me reste maintenant la partie live à commenter ;o) ! Elle est vraiment exceptionnelle, je pourrais en parler des heures je crois. L'intensité que dégageait les concerts de Gillan n'avait rien à envier à celle de Deep Purple et ce live là vaut bien un Made in Japan par exemple. L'ambiance du festival Reading est terrible, la foule est en délire, même pas la peine ! J'ai rarement entendu un public aussi excité sur un live ! Et le groupe nous balance tous ses hits avec quelques impros par dessus le marché.
Démarrage en douceur avec une p'tite introduction style musique chinoise ou japonaise, comme Gillan en avait l'habitude pendant ses concerts. Et boum, "No Laughing In Heaven", un titre bien heavy où Gillan gueule comme un psychopathe. Il parle plus qu'il ne chante ici. Puissant (surtout la section basse-batterie) mais pas le meilleur morceau quand même. Avec "No Easy Way", on passe au stade supérieur. Alors là tout le style de Gillan peut être résumé à travers ce morceau : très rock à la base et agrémenté de parties de piano à faire frémir Elton John, sans oublier quelques parties plus classieuses comme Queen savait le faire. Cette version live est tout simplement dantesque, très différente de celle en studio et beaucoup plus rapide et puissante.
Un autre sommet de ce live, c'est la poignante ballade "Mutually Assured Destruction", je ne savais pas qu'une balade pouvait être aussi puissante. On est loin de la ballade nunuche là. Les arpèges sont assez simples, superbes et la voix de Gillan la propulse vers un niveau d'intensité rarement égalé dans ce style. Également, deux reprises de standards rock 'n' roll qui mettent tout le monde d'accord, "Trouble" et "New Orleans". Ca swingue comme c'est pas permis. Et que dire du jeu de Janick Gers sur le p'tit blues "If You Believe Me", la grande classe, quel feeling ! Vous ne l'avez jamais entendu jouer comme ça ! Je n'aime pas trop le blues d'habitude, mais là, pfiou, ce titre a été enregistré au Marquee Club de Londres, et quand on l'écoute, on a qu'une seule envie : reprendre le refrain en choeur, accoudé au bar, une chope à la main !!! Janick brille davantage dans le heavy rock de Gillan que dans le heavy metal d'Iron Maiden, cela ne fait aucun doute.
Vraiment dommage que ce concert n'ait pas fait l'objet d'un double live car 40 minutes, c'est trop peu. Au final, on obtient un très bon album studio et un grand live, c'est déjà pas mal.