Il y a indéniablement un petit quelque chose de réjouissant ici. En fouillant bien parmi les tas de tripes sanguinolentes que Necrophagia vient de nous vomir à la figure, en faisant fi du pus, de la bile et des relents de vomi qui se répandent dans l’atmosphère régnant autour de Deathtrip 69, on se rend bien vite compte que Necrophagia ne se contente pas de régurgiter une énième version d’un album de Carcass mal digéré, mais que le vénérable ancêtre rongé par les vers propose un album de gore/death old school comme on aimerait en voir plus souvent.
Necrophagia a tout de même sorti sa première démo en… 1984. Une époque où Master Of Puppets n’existait pas encore, où Death et Carcass venaient de se former et où le monde ne savait pas encore ce qui l’attendait. 27 ans plus tard, la plupart de ces groupes (voire certains de leurs membres) sont morts et enterrés, ou alors ne provoquent plus que rires et discussions sans fin sur les forums, mais Necrophagia, lui, est toujours vivant. Cinq album en plus de 25 ans d’existence, autant dire que le fan du groupe est un être patient et dévoué. 2011 est donc à marquer d’une pierre blanche (ou d’un gros tas d’entrailles fumantes) car Deathtrip 69 débarque, offert par Frank "Killjoy" Pucci, seul et unique membre d’origine, un homme qui a traversé tous les courants, toutes les modes et toutes les épreuves avec une foi et une intégrité inébranlables. Alors, Deathtrip 69 n’est-il qu’un vague reliquat d’une époque déjà loin, simple pet d’un dinosaure qui refuse l’extinction ? Non : Deathtrip 69, c’est la leçon d’un vieux de la vieille, d’un gars à qui on ne la fait plus depuis belle lurette, aux jeunes groupes d’aujourd’hui qui tentent de révolutionner un death metal qui n’en demande pas tant.
Killjoy a en tous cas une bonne expérience et un recul certain sur ce que doit être un bon album de death. Et le prouve : Deathtrip 69 a une identité bien à lui, une assurance et un aplomb qui lui permettent toutes les libertés, y compris celle de ne pas se prendre au sérieux. La pochette donne le ton : c’est criard, moche, agressif et ça fait mal aux yeux, mais si vous n’êtes pas content, Killjoy se fera un plaisir de vous expliquer à coup de machette pourquoi sa pochette, elle tabasse. La musique, elle aussi, sonne puissamment en mode « je fais ce que je veux », et Killjoy n’hésite donc pas à intégrer des petits morceaux atmosphériques, comme "A Funeral for Solange", avec sa petite guitare folk, les arpèges étranges qui introduisent "Tomb With a View", ou encore bien sur le très surprenant "Death Valley 69", avec son ambiance country suante sortie de l’Amérique reculée, décor parfait pour le traditionnel massacre à coup de tronçonneuse. Le reste, c’est un death metal très Carcassien, tant dans la production et les riffs que – surtout – dans la voix de Killjoy qui ne manque pas rappeler celle de Walker.
Et malgré la simplicité désarmante de certains riffs, le côté extrêmement basique des morceaux et l’ambiance épurée qui en ressort, ça marche. La voix malsaine et haineuse de Killjoy se marie parfaitement avec les riffs simples mais puissants des guitares, et les nombreux petits effets sonores qui émaillent la plupart des morceaux (voix de radio, arpèges, cloches…) donnent une atmosphère intéressante à Deathtrip 69 et le démarque immédiatement des albums de death old-school générique que l’on entend trop souvent aujourd’hui. Necrophagia sent le vécu, l’expérience, et s’en sert abondamment pour, à coups de petits détails et de petits riffs qui tuent, proposer un Deathtrip 69 plaisant. Pour autant, tout n’est pas parfait : certains titres n’en finissent plus ("Bleeding Eyes of the Eternally Damned" en tête, malgré sa sympathique mélodie) d’autres sont plus anecdotiques (le vaguement punkisant "Kyra"), mais le reste du temps, Necrophagia fait mouche avec des titres comme "Deathtrip 69", "Trick R' Treat (The Last Halloween)" ou encore l’efficace "Beast With Feral Claws". On regrettera malgré tout une production faiblarde, avec des guitares sans vraiment d’ampleur, qui rappelle les années 80 – et pour le coup, on s’en serait passé.
Plaisir simple et vaguement honteux, Deathtrip 69 fait parfaitement son office et assume pleinement son statut d’album de death de série B, sale, puant et direct. Il n’y a pas de raison de bouder son plaisir ou de faire son précieux en mettant le doigt sur tel ou tel défaut de cet album : prenez-le comme il se présente, dégoulinant et putréfié, et ne faites pas de chichi. De toutes façons, le prochain, ça risque de ne pas être avant 5 ans, alors profitez-en.