Prong -
Carved Into Stone
« Prong est de retour ! Prong est de retour ! » Dans la presse, sur le net, les cris de joie commencent à fleurir de toutes parts. Vous avez ouvert la chronique, vous avez lu la note, et vous l’avez déjà compris : ici aussi, nous nous joignons à l’euphorie. Prong – le vrai Prong, le bon Prong – est de retour. Un come-back, peut-être même une revanche, qui ne pourra que réjouir la foule hurlante des métalleux. Les réjouir… à condition que le groupe ne soit pas tombé dans les oubliettes de l’Histoire. Petite séance de rattrapage.
Obus 100 % hardcore tiré dès 1986, la trajectoire de Prong s’est amortie avec élégance au cours des années 90. Ayant traversé les champs magnétiques divergents du thrash, du groove metal, voire même de l’indus, la fusée a laissé dans le ciel son arc incandescent, une marque sèche de pure électricité. Modeste, en regard des géantes Pantera ou Ministry ; mais néanmoins personnelle, et même indélébile. Culte, en un mot. Et puis… Et puis l’ogive s’est ensablée. Après 1996, fin du signal. On plie les gaules, Prong appartient au millénaire passé. Pourquoi s’acharner ? Exhumé sept ans plus tard, les années 2000 n’ont pas été faciles pour le trident : résurrection boiteuse, line-up pâlichon, production malingre, artwork à chier… Si le ramage se rapporte au plumage, difficile, en 2012, de faire preuve d’enthousiasme en découvrant la nouvelle cuvée… Et pourtant, c’est la surprise.
« Prong est de retour ! Prong est de retour ! », entend-on crier. Un peu injustement, peut-être. Qui pourrait dire, en effet, que Tommy Victor a jamais « trahi la cause », qu’il s’est éloigné du style de son âge d’or ? Remisant au placard les habillages indus depuis belle lurette, il faut croire au contraire qu’il a toujours essayé de ressaisir la magie, de recapturer l’instant. Alors ? Pourquoi ça marche ? Et pourquoi ça ne marche que maintenant ? Difficile à dire. Jouer en trio, pratiquer une musique aussi ferme et tendue que celle de Prong – sans gras, sans fioriture, avec un sens du riff découpé au rasoir – c’est un peu comme participer à un tournoi de dragsters : la moindre variation dans l’axe, la moindre poussière dans les paramètres, bousille la machine ou l’envoie s’encastrer contre un mur. S’est-il agi d’un hasard, d’une volonté claire ? Tommy Victor a su mettre une bonne claque à tous les compteurs, histoire de recaler les aiguilles. Vérifions avec lui :
- Compteur « voix » : fini les beuglements rauques, un peu forcés, de Scorpio Rising ou Power Of The Damager. Victor a retrouvé son timbre naturel, moins grave, moins brutal, mais d’autant plus sale et fumé – c’est comme ça qu’on l’aime – donc capable de moduler et d’expédier des vrais refrains qui scotchent au cerveau. On est contents. - Compteurs « compos » : si les refrains sont grands, les riffs ne sont pas en reste et décapent comme au bon vieux temps. Secs et sans bavure, comme un coup de couteau-papillon dans une impasse du Bronx. On est heureux. - Compteur « production » : et là, c’est peut-être le plus anodin, mais probablement le plus important : la musique de Prong respire de nouveau. Grosse batterie, gratte saignante, bel espace entre les instruments. En 2012, il est enfin possible d’enchaîner un album de Prong avec une galette de Lamb Of God sans passer en mode « indulgence ». On est aux anges.
On va donc se prendre une bonne baffe de métal moderne dans la tronche, sans plus chercher d’excuses ni monter discrètement le volume. Le nouveau batteur, d’entrée de jeu, pulvérise les enceintes, entre l’enclume de sa double-pédale et quelques blasts bien sentis, redonnant à Prong une patate qu’il avait perdue depuis au moins une décennie. C’est la guerre ! Et non seulement c’est la guerre, mais c’est une guerre dont vous chanterez les hymnes poings levés ! Impossible, en effet, de ne pas retenir les refrains de "Keep On Living in Pain", "Put Myself To Sleep" ou "Reinvestigate" ; l’apothéose du genre étant atteinte sur le déjà culte "Revenge Served Cold", dont les riffs, la mélodie et le pilonnage façon Rude Awakening, rappellent les grandes heures de "Snap Your Finger, Snap Your Neck" (le tube de Prong en 94) ! L’index et l’auriculaire vont darder sur tous les poings ! Ce côté immédiat n'occultera cependant pas le travail minutieux derrière les riffs (il y a des trouvailles d’orfèvre au coin de chaque morceau, et peut-être même des clins d’œil, cf. le solo d’"Ammunition"), ni la complexité de certaines plages, comme l’excellente et tripartite chanson-titre. Bref : il y aura à bouffer pour tout le monde et tout le monde sera content, de l’ancien fan au parfait débutant.
Quoi qu’il en soit, en trois écoutes, l’affaire sera bouclée : Carved Into Stone est un bon, voire un très bon album, qui sollicite autant les cervicales que les cordes vocales. Comme avec tous les Prong, la sécheresse de son trait lui assure, paradoxalement, une assimilation rapide et une grande longévité. S’agit-il en somme d’un futur classique du groupe ? Voilà qui reste à débattre. Une chose est sûre : dégraissée, revitalisée, la musique de Prong redresse enfin la tête après quelques années, et la nouvelle, aussi modeste soit-elle, mérite d’être klaxonnée sur tous les toits. « Prong est de retour ! Prong est de retour ! » Reprenez en chœur avec nous !