« Il pouvait reconstituer tous les rêves, tous les demi-rêves. Deux ou trois fois il avait reconstitué un jour entier ; il n'avait jamais hésité, mais chaque reconstitution avait demandé un jour entier. » Cette phrase de Borges pourrait s’appliquer sans mal à Mutatiis, le créateur et unique membre de Elysian Blaze, puisque son troisième album dure la bagatelle de deux heures et dix minutes. Certes, l’artiste australien ne propose pas du deathcore, mais du black metal fortement teinté de dark ambient (à moins qu’il ne s’agisse de dark ambient teinté de black metal…). Mais tout de même deux heures dix… Cette longueur peut commune peut logiquement amener à penser que Mutatiis a cherché un coup de pub et que Blood Geometry est une espèce de provocation, où le même phrasé est répété, non pas dix minutes comme sur Hvis Lyset Tar Öss de qui-vous-savez, mais trente minutes. Heureusement, ce n’est pas le cas.
Ceci dit, mieux vaut être rompu à l’exercice que consiste l’écoute d’un album d’ambient avant de commencer l’exploration de Blood Geometry, car la musique minimaliste atmosphérique évoquant un mélange entre Raison d’Être et le Mortiis pré-electro abonde ici. La longue intro "A Choir For Venus" et sa belle mélopée mélancolique en est un exemple, les morceaux de transitions "Blood Geometry" et le court mais excellent "A Blade For Twilight" où Mutatiis lance des imprécations sur un fond sonore rappelant Summoning en plus sombre, le sont également. Quant à l’outro, "Void Alchemy", on se croirait carrément en train d’écouter un album signé par Cold Meat Industry. Néanmoins, les quatre plats de résistance de l’album, morceaux oscillant entre dix-huit et trente six minutes selon le cas, ne sont pas qu’atmosphère et, si ils font encore la part belle aux passages ambient, ils montrent également le visage plus brutal du one man band.
Dans ce registre, Elysian Blaze donne soit dans le black au son brut, cryptique, accompagné par des claviers inspirés des permières œuvres d’Emperor et une rythmique très basique faisant fortement penser à celle de "Woman of Dark Desires" de Bathory, soit dans le black-doom mid-tempo. Le son des guitares est, en tout cas, typiquement black metal. S’agit-il donc d’un énième album, certes long, mais proposant le classique black metal à ambiance ? Non. D’une part, le son est assez original : tous les instruments et la voix sont enrobés d’un faible écho qui donne un aspect réellement caverneux à l’ensemble qui se marie parfaitement avec le côté « mélodie brute » du black metal proposé ici. D’autre part, outre le fait que l’ambient fasse partie intégrante de l’album et ne soit pas un simple complément, la manière qu’a le sieur Mutatiis de composer ces passages atmosphériques est souvent très intéressante.
Un exemple parmi d’autres : sur le déjà cité "The Temple is Falling", mais surtout sur le chef-d’œuvre de l’album "Blood Of Ancients, Blood of Hatred", Mutatiis crée des passages dépouillés en utilisant un seul instrument (claviers ou percussion) qu’il accompagne de ses cris. Il ose même intercaler quelques « quasi-silences », où seul un faible murmure cryptique se fait entendre. Enveloppée par « l’écho des ténèbres », la combinaison permet de créer une ambiance véritablement frappante. Le contraste entre ces moments d’un calme inquiétant et le metal parfois très intense, tel que l'on peut l’entendre sur la seconde partie de "Blood Of Ancients, Blood of Hatred" constitue l’un des grands atouts de l’album. En revanche, des titres moins axés sur l’armosphère, comme "Sigils That Beckon Death" et "Pyramid of the Cold Son" montrent le one mand band sous un jour plus conventionnel, le second titre cité (et son remarquable passage d’harmonica) étant d’un intérêt nettement supérieur au premier.
Elysian Blaze a tenté un pari risqué : tenter de captiver son auditoire pendant plus de deux heures avec un album aussi dark ambient que black metal. Le pari est-il gagné ? Les inconditionnels d’un black énergique, ennuyés par autant de moments calmes, tout comme les puriste de la musique à ambiance, effrayés par le côté brut de l’album, répondront certainement que non. Les black métalleux que l’écoute intégrale d’un album de Raison d’Être ne rebute pas, devraient, en revanche, trouver leur compte avec cet opus qui propose une ambiance vraiment spéciale. Cette musique des cryptes est comme un diamant noir dont les reflets varieraient au cours du temps. Tantôt brutale, tantôt intrigante ou inquiétante, mais toujours souterraine, la Géométrie du Sang est une œuvre assez peu conventionnelle, à écouter le soir une fois que le monde extérieur s’est tu.