CHRONIQUE PAR ...
Cosmic Camel Clash
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
17/20
LINE UP
-patient inconnu 4
(guitare)
-patient inconnu 6
(guitare)
-patient inconnu 1
(basse)
-patient inconnu 2
(batterie)
TRACKLIST
1) Anima.I
2) Nyourk Reliquus
3) Otium
4) Anima.II
5) Sollicitudo
6) Cheweed Arbor
7) Agonia
8) Intermuralis
9) Letabilis
DISCOGRAPHIE
Souvenirs souvenirs : le premier EP de Mel-P était une des premières galettes que votre serviteur avait chroniquée pour les Eternels, quelques semaines après la mise en ligne du site. Cinq ans plus tard, le métal instrumental ambient des Manceaux a pris un sérieux coup de maturité et Anima Asylum vient confirmer avec classe le potentiel qu'on soupçonnait déjà à l'époque. Qu'il est doux que le temps passe parfois...
Le principal défaut de Nouvelles de la Jungle était son statut intermédiaire : les compos avaient été pensées pour un chanteur et avaient été modifiées ensuite pour devenir des instrumentaux, rendant la démarche incomplète de fait. Point de faux départ créatif pour cet Anima Asylum : ce qu'on entend a été pensé pour se passer de voix et la différence est énorme. Mel-P assume en effet sa démarche à fond et abat toutes ses cartes dans un but précis : faire entrer l'auditeur en contemplation. Chaque plan est pensé pour qu'on soit aspiré, immergé dans l'univers du groupe. Le spectre utilisé à cette fin est à la fois large et optimisé pour être hypnotique : le groupe attaque son album sur un pur plan de dub et les 8 minutes 37 de "Nyourk Reliquus" lui laissent le temps de laisser cette approche longuement monter en puissance jusqu'à un métal bruitiste avant de repartir en reggae sans qu'on ne décroche à aucun instant. Le talent de Mel-P pour les transitions est tel que tous les arrangements passent : avec guitares ou sans, avec machines ou sans, avec des arrangements complexes ou en mode direct, tout sonne naturel et en contexte. Le groupe laisse juste assez respirer ses plans pour que les enchaînements ne soient jamais incongrus... ça défile. On écoute. On se laisse emporter. On part.
Ce don d'emporter l'auditeur au loin quelle que soit l'approche adoptée fait d'Anima Asylum un de ces rares albums qu'on écoute presque toujours en entier et en ordre chronologique. C'est un bloc fait de guitares qui shreddent, de saxophone qui geint, de breaks ambiancés hypnotiques et d'arpèges mystérieux qui rappellent parfois Madder Mortem ("Sollicitudo"). On s'y retrouve sans souci pourtant car les mélodies distillées ça et là sont du genre à coller au cerveau pendant des jours. On est mélancolique aussi : mis à part l'accent systématique mis sur les ambiances, l'autre caractéristique commune dans cette débauche d'influences est que le résultat n'est jamais joyeux. Le groupe évoque sa thématique favorite (la folie) ça et là en partant dans le barré (un bref moment au milieu de "Sollicitudo", la finde "Otium"...) mais c'est toujours l'espace d'un instant seulement : on n'est pas là pour faire du Carnival in Coal mais bien pour poser des atmosphères mélancoliques et introspectives. Le niveau technique des instrumentistes est révélé dans les parties métal qui peuvent partir dans l'extrême, mais même dans ces moments-là il ne s'agit pas de haine mais de souffrance. Et là on réalise qu'insuffler une telle cohérence à une musique aussi variée sans recourir à une voix pour unifier les compos n'est pas donné à n'importe qui.
Anima Asylum passe près du carton plein mais n'est pas exempt de défauts. La prod' a l'énorme avantage d'être claire et de permettre de profiter du talent de chacun des zicos, mais il reste encore un palier à franchir avant que la musique des Manceaux ne sonne comme elle le devrait. L'interlude hurlé"Agonia" est pénible alors qu'il est pensé pour être dérangeant. Mais c'est faire la fine bouche : cet album est truffé de tant de moments de grâce qu'on passe par-dessus ses défauts sans sourciller. On ne sait pas si on préfère le placement rythmique déstructuré de l'une des guitares de "Intermuralis"ou les mélodies post-rock éthérées qu'égrène l'autre. La manière dont le groupe retombe toujours sur ses pieds après plusieurs minutes de digression au sein d'un même morceau est réjouissante. On se fait figer sur place par les transitions de"Cheweed Arbor" à chaque écoute, compo hallucinante enchaînant les mouvements telle une symphonie. Mel-P pose des beats hip-hop lovés dans une guitare énigmatique, envoie derrière ça des plans de thrash mid-tempo, rajoute des nappes de cordes cinématographiques dans la sauce... et c'est magistral. Une fois l'album terminé on peut reprendre une activité normale ; fin du voyage jusqu'à la prochaine fois.
Quand un groupe permet de prendre son pied à écouter bloc de sept minutes après bloc de sept minutes, c'est qu'il a quelque chose. Quand en plus le groupe en question parvient à ce résultat en pratiquant un metal-ambiant-dub instrumental, ça commence à devenir suffisamment inhabituel pour qu'on le fasse remarquer. Mel-P est un groupe à surveiller d'extrêmement près et Anima Asylum une sacrée carte de visite. Espérons qu'ils rencontreront le succès qu'ils méritent !