Ecouter du drone, de la noise et ce genre de figure abstraite n'est déjà pas chose aisée, alors en chroniquer... Impossible. Ces genres étranges sont un peu à la musique ce que l'art contemporain est à l'art tout court. On se retrouve bête devant Ironworks comme on se retrouve bête a devoir écrire quinze pages sur le « Carré blanc sur fond blanc » de Malevitch. De toute façon, celui qui s’intéresse au sujet le fera sans votre papier, et celui qui s'en fiche continuera à railler le genre après vous avoir lu... partant de là, autant faire bref et boucler le dossier en un paragraphe objectif, un paragraphe subjectif et une conclusion.
Le paragraphe objectif pour commencer, donc. Ironworks est un opus de noise avant toute autre chose, drone compris. Là ou ce dernier genre vrombit franchement, la noise occupe l'espace à coups de bruissements hétéroclites, étranges et a priori non mélodiques. Or, pas de doute, Gog aime ça, le fourre-tout auditif harmonique comme un paquet de casseroles accroché à l'arrière d'une voiture. Sur Ironworks le bien nommé, c'est l'usine qui domine. Les bruits de fond sont industriels et on semble discerner, au dessus du crissement qui persiste et se module tout au long de l'album, des vérins, des frappes, des cuves qui se vident et se remplissent. Vraiment hein. Cette musique est une musique de métallurgiste, pas autre chose. Ici ou là, au milieu du vacarme - qui n'est pourtant pas vraiment agressif, et c'est ce qui est beau dans notre histoire - des nappes plus ambiantes se font entendre ("God Says To Love You In Chains" au hasard). Parfois même, ce seront quelques notes de piano qui parviendront à vos oreilles (mais alors discrètement hein, comme sur "A Promised Eternity Fulfilled With Cancer"). En bref, Ironworks mélange des bruits agressifs qui sont pourtant apaisants et des ambiances musicales qui n'en sont pas vraiment.
Sachant cela, on peut désormais parler subjectivement, en allant pour une fois à l'encontre du principe de la chronique sans « je ». J'en ai donc déjà parlé un peu juste au-dessus mais le fait étonnant avec cet Ironworks est que malgré son aspect a priori abrasif et dur (imaginez-vous la vieille usine, qui suinte de partout et qui crache sa noire fumée à la face d'hommes sans visage), ce qu'il propose est étrangement apaisant. Comme si, dans cette usine de malheur qui ne s'arrête jamais de noircir les esprits et de détruire les corps, l'ouvrier que vous êtes décidait d'un coup de quitter son poste de travail pour s'arrêter un moment, afin de regarder autour de lui. Et autour de lui, c'est Ironworks. Ce sont les machines partout et la mélancolie aussi. Tellement de bruits qu'ils se fondent tous dans un... dans une pulsation continue et belle. Triste mais belle (parfois oppressante aussi, comme sur "Into Her...", piste pas franchement apaisante). Personnellement, à la première écoute d'une oeuvre comme celle-là, j'opère souvent un classement brutal, au risque de me tromper : soit ce que j'écoute est une fumisterie sans nom et on me prend pour un zozo, soit ce que j'écoute peut-être réellement bouleversant si l'ambiance s'y prête. Ironworks se classe dans la seconde catégorie.
Bref, Ironworks est un bon album de bruit musical. Du genre de ceux qui peuvent transporter celui qui se laisse guider. Il n'y a rien à faire, rien à comprendre et rien à dire ; le tout est de franchir serein la porte de l'usine, de passer au-delà du brouhaha apparent, et de se rendre compte que, de temps en temps, ce peut être agréable d'être passif et de laisser aller. On ressort alors de l'écoute comme groggy : apaisé, triste, serein, pensif... Une bonne note pas forcément bien justifiée par cette chronique, mais bien méritée. Gog a de la chance sur ce coup, le lendemain, ç'aurait pu être une toute autre histoire.