Un beau matin, il y a plusieurs centaines d'années. Cinq cent un hommes embarquent dans trente navires, pour quitter leur Scandinavie natale. Ces hommes, ce sont les varègues. Ils sont fiers, ils sont valeureux. Et ils ne s'arrêteront pas tant qu'ils n'auront pas atteint Constantinople. Vous l'aurez compris, après nous avoir conté les batailles les plus sanglantes qui soient avec son viking metal belliqueux, Turisas s'oriente vers une musique plus orchestrale pour nous convier à cette splendide odyssée jusqu'au bout du monde.
Départ éclatant dans la gloire de l'aube avec LE tube de Turisas, "To Holmgard And Beyond". Orchestrations lumineuses, chant volontaire et déterminé, refrain d'anthologie pour exhorter l'équipage, tout est là pour démarrer l'aventure sous les meilleures auspices. Mais il y a surtout ce passage central, rehaussé d'accordéon, d'une batterie martiale de guitares rythmiques de tout premier ordre, quand surgissent les chœurs, profonds et virils, de tout l'équipage, que l'on imagine ramer comme un seul homme, rêvant déjà de conquêtes et de gloire. Un pur instant homérique. Le titre se termine en apothéose, répétant sans fin sa mélodie héroïque. Le voyage peut commencer. Ce qu'il y a de formidable avec The Varangian Way, c'est sa capacité à surprendre et à dépayser. Après une pareille entrée en matière, on pourrait légitimement penser que le reste de l'album va se contenter de rester dans cette veine. Eh bien non. Et même si l'album est bel et bien épique, il sait se montrer nuancé, nous contant toutes les étapes et les dangers d'un long périple semé d'embûches. Et ce, dès la piste 2, la majestueuse "A Portage to the Unknown". Une fois dissipée la bravoure des chœurs introductifs, le capitaine Mathias laisse voir ses doutes. Son chant clair est fébrile, en proie à l'hésitation, il incarne un capitaine désemparé, désormais loin de sa terre natale.
Mais au milieu du morceau, la tempête se déchaîne dans une pluie d'orchestrations tragiques, et Mathias retrouve tout son courage... et son chant viking. Les chœurs de l'équipage viennent lui répondre, pendant que la rythmique cogne sans discontinuer. On notera un passage central à l'accordéon particulièrement évocateur du climat mélancolique de ce voyage. "In the Court of Jarislief" constitue un court interlude où l'aspect folk de Turisas reprend le dessus. Nos fiers varègues se délassent chez un généreux hôte, qui n'est autre que Iaroslav le Sage, Grand-prince du Rus' de Kiev. Un moment de repos bien mérité après tant d'aventures en mer. Les festivités sont rythmées au son du violon et de l'accordéon, dont le rythme frénétique s'accélère perpétuellement jusqu'à ce que l'équipage - et l'auditeur - s'enivre et perde la tête. La nuit tombe. Pendant que les varègues se reposent enfin, "Five Hundred And One" nous fait part des réflexions nocturnes d'un Mathias qui ne parvient pas à trouver le sommeil. Puis le matin ressurgit, et le final du morceau intervient à point nommé pour relancer le voyage. Chœurs dantesques, orchestrations intrépides, rythmique évoquant le tangage des navires en partance pour le lointain... à coup sûr un des passages les plus extraordinaires de l'épopée.
Les guerriers peuvent repartir le cœur plein d'un élan nouveau. Pas le temps de se réjouir trop longtemps, voici "The Dnieper Rapids" , de loin le morceau le plus cinématographique de l'album. Ultime péril avant d'atteindre le but tant convoité. Rythmique urgente, débauche symphonique affolante, chœurs féminins au diapason et refrain dévastateur soulignent le danger omniprésent des torrents furieux qui menacent d'emporter la flotte varègue. Mais l'équipage tient bon. Et nous y voilà enfin ! Constantinople est en vue. C'est dans un déluge d'orchestrations que la cité apparaît à nos varègues épuisés, à l'occasion d'un "Miklagard Overture" d'anthologie. Long de huit minutes, le morceau nous sort le grand jeu : introduction mélancolique à l'évocation de tout ce chemin parcouru, refrain assoiffé de conquête (« Constantinopolis ! »), chœurs féminins imposants. Et bien entendu, final symphonique orgiaque célébrant toute la majesté de la grandiose cité byzantine : « Greatest, greatest of all, Miklagard ». Puis, c'est le silence. Est-ce fini ? Eh bien peut-être pas. Si vous possédez l'édition limitée de l'album, alors vous disposez d'un bonus fort sympathique, un titre culte de Turisas : « Rasputin » ! Oui, oui, le titre disco de Boney M à la sauce viking metal. C'est fun, c'est rythmé, et c'est un incontournable en live. Turisas s'est magnifiquement approprié ce morceau.
Nous voici cette fois arrivé au bout de l'aventure. Turisas a renoncé à la furie des batailles pour des tentations symphoniques, et c'est un pari entièrement réussi. En fin de compte, il est juste dommage que "Cursed Be Iron" se laisse aller à un bourrinage sans rapports avec la finesse du reste de l'album. Pas un mauvais morceau en soi, mais il aurait davantage eu sa place sur Battle Metal. Vraiment pas de quoi ruiner l'aura d'un album chiadé, fort de son atmosphère d’odyssée maritime, de ses arrangements titanesques et d'un leader décidément inébranlable.