Behemoth revient, cinq ans après un Evangelion qui avait laissé votre serviteur sur sa faim, notamment pour un manque flagrant de soufre, et des compositions en roue libre, qui, même si elles n’étaient pas désagréables, semblaient syndicales. Alors, lorsqu’après avoir frôlé la mort, et vaincu une leucémie qui l’a empêché de jouer certaines dates, Nergal revient avec sous le bras un nouveau manifeste titré The Satanist, on tend à être plutôt optimiste.
Le premier morceau à avoir été dévoilé, "Blow Your Trumpets Gabriel", et son clip à l’esthétique typique des Polonais, pouvait laisser présager le retour de plus de black dans la formule. Plus mid-tempo, il cherchait davantage à perturber par des dissonances qu’à nous écraser sous le poids des blasts, ce qui n’est pas une mauvaise chose, tant la nuance est heureusement gérée par la formation. Après cela, les hostilités repartent néanmoins, avec une "Furor Divinus" qui porte bien son titre. Mais, malgré quelques fulgurances comme celle-ci ou "Ora Pro Nobis Lucifer", The Satanist est plus posé, et l’oracle que nous permettait la mise en bouche est avéré : le black a bien repris sa place dans Behemoth, pour le meilleur. Ainsi, The Satanist étonne : l’entité semble plus posée qu’auparavant, elle cherche moins à en mettre plein les yeux par une production énorme, comme a pu essayer de le faire Hour of Penance sur son dernier album, avec un son malgré tout excellent. Quoique, de ce côté-là, "Amen" et son abus du blast-beat bas du front pendant plus d’une minute se pose en contradiction.
En revanche, mieux vaut ne pas trop s’attarder sur les paroles, qui ont été écrites selon la méthode discutable du « je prends ma Bible et je l’ouvre à une page au hasard, je prends le premier nom qui me tombe sous les yeux puis je cale l’insanité la plus grosse possible pour que ça passe mieux ».. A nous donc les joies du « volcan d’excréments »; j’en passe et des meilleures. La violence est ici plus insidieuse, plus vicieuse, malgré la présence encore forte de death metal : si les paroles n’étaient pas aussi grotesques, nul doute que The Satanist marquerait par une noirceur conceptuelle ; presque autant que le dernier Svart Crown, qui était une pointure en la matière. Cela étant, le groupe n’a pas oublié qu’en rajoutant de la lumière, on pouvait mieux l’étouffer dans une opacité encore plus marquée : quelques cuivres se manifestent sur "The Satanist" ou "Ora Pro Nobis Lucifer" et survolent l’ensemble ; ils sont la majesté et le port de tête altier que conserve le Prince de ce Monde après sa chute depuis l’autre.
Les chœurs prennent également part à la superbe, sur "Ben Sahar" et "O Father O Satan O Sun", dans laquelle ils annoncent la venue de la trinité incarnée dans une seule entité, dans l’auréole noire d’une apocatastase où le soleil serait éteint, et les étoiles tombées. Vaste panorama de l’acheminement progressif de l’humanité vers son achèvement après un aussi long que lent déclin, The Satanist compte moins pour ses riffs, pourtant redoutables et en nombre conséquent, que pour la froideur avec laquelle il pointe inlassablement la direction où il nous emmène : sa fin, et la nôtre. Ainsi, les plus affectés se trouveront extatiques lors de la prière finale. Tout ce vocabulaire pompeux vous semble abusif pour parler d’une simple œuvre musicale ? Et pourtant, au-delà de sa simple musicalité, The Satanist est très profondément marqué par le mysticisme, qui, s’il pourra en dégoûter certain, fera tout l’intérêt de l’œuvre pour les autres, au-delà de sa simple brutalité.
Avec The Satanist, la formule « Christians To The Lions » est plus que jamais d’actualité. Œuvre forte qui rappelle que Nergal a un jour enfanté Thelema 6 et Zos Kia Cultus, ce dernier album remet les Polonais sur la bonne voie : exit la poudre aux yeux, exit le simple death brutal et clinique, et re-bienvenue au climat apocalyptique. Le panzer de Gdańsk reprend donc le chemin de la victoire.