Cette semaine et comme souvent chez les Eternels, la France est à l'honneur. On a notamment causé des prometteurs Mur (chro ici), on causera prochainement des excellents Drawers, et on s'intéresse aujourd'hui à un troisième groupe frenchy de chez Dooweet Records, décidément un label qui bouge son petit boule musclé ces temps-ci. Malheureusement et comme on ne peut pas toujours taper dans le mille, la présente chronique se révélera nettement plus mesurée que les autres.
Non pas que The Milton Incident soit mauvais, non, loin s'en faut. Mais, disons le tout de go : leur musique sonne incroyablement datée. D'une bonne vingtaine d'année, pour être un peu plus précis. La faute n'en incombe pas à une quelconque loose professionnelle ou artistique des petits gars de Milton Incident, qui ont l'air de parfaitement maitriser leur propos et de faire exactement ce qu'ils veulent, mais bien à cause du choix de direction musicale qui a été opéré par le groupe, choix assez tranché et qu'on appréciera ou pas : début des 90's à fond les gars ! On se trouve donc face à une sorte de métal alternatif pas trop burné, flirtant avec le néo-métal (pour le nombre incalculable de riffs sautillants/saccadés qu'on retrouve sur cet opus, exemple flagrant sur "Dead Set" ou "Torn Down") et le gros rock US de stade qui tâche, quelque part entre Linkin Park, Pearl Jam, Stone Sour (grosse influence a priori, du moins sur le chant) et... bah ouais, hélas, des trucs un peu plus sujets à caution comme Creed ou encore Puddle Of Mud. Après, l'assertion précédente qui faisait de cet album une compile de musiques « vénères mais pas trop » des 90's n'est pas tout à fait véridique pour la totalité des morceaux. En effet, certains véhiculent un son plus récent et varié, comme la très réussie "Deus Ex Machina", qui fait passer l'auditeur par toutes les émotions et où le chanteur démontre une autre facette plus agressive de sa personnalité, permettant d'équilibrer le morceau face au refrain plutôt bien troussé mais encore une fois un brin putassier/hard FM sur les bords. Mais de manière générale, on est face à un groupe qu'on sent parti à la recherche de la parfaite recette du gros rock-métal absolument pas renouvelé, avec des riffs d'une qualité oscillant entre le très bon et le navrant et des couplets résolument mainstream 95% du temps ("Dearest Enemy").
La voix, sublimement maitrisée, n'est pas sans rappeler l'immense Layne Staley voire l'indépassable Eddie Veder, ce qui n'est pas un mince compliment. Mais celle-ci, aussi bonne soit-elle, ne rattrape pas le caractère profondément passe-partout des compos du combo, et les accentue même davantage en proposant des lignes de chant elles-mêmes assez peu novatrices. Un beau catéchisme en somme. Il y aurait notamment un certain boulot voire un boulot certain à apporter aux riffs, qui collent parfaitement au style pratiqué et montrent un potentiel technique intéressant mais n'apportent vraiment rien par rapport à ce qui se faisait dans les 90's. Et quand on ne fait pas dans la nouveauté, on a intérêt d'avoir autre chose à proposer : de la virtuosité, de la folie, une capacité à mélanger de nombreuses influences et à en ressortir une mixture éminemment personnelle, bref quelque chose. Au lieu de cela, les petits gars de Milton Incident se contentent de rebalayer les classiques de l'époque, chourant ici un plan de gratte et une rythmique bien saccadés faisant vaguement appel au son des Deftones ("Split Second", chanson assez pénible dans l'ensemble avec un chant vraiment too much pour le coup), là un refrain de stade à la Pearl Jam, bref on entend absolument rien de neuf sur cette galette, et même si elle reste agréable car bien exécutée et portée par un chant de gala (mais qui encore une fois n'amène véritablement rien de bien personnel ou de surprenant), on finit par vite s'emmerder. Trop de riffs semblent neutres, sans parti-pris. On pense à "Dopamine", ou encore à "Irukandji" et son groove un peu forcé qui, non content de quasiment copier-coller le premier riff de l'album, vient saccager l'espoir né de premières mesures porteuses de promesses de mélodie en cascade.
Même sanction pour la plupart des couplets, qui s'enchainent invariablement en commençant par des notes claires jouées tout en retenue dans leurs premières mesures avant de monter progressivement en intensité, portées par un chant techniquement parfait mais jouant définitivement trop la carte « mec à fond et exalté » en permanence (un "Innocence Lost" assez efficace mais sacrément émotionnel, allant presque jusqu'à rappeler 30 Seconds To Mars, ce qui n'est pas forcément un compliment...). Même constat pour la traditionnelle « balade burnée » qui vient en fin d'album ("10/56"), dont on a du mal à ne pas la trouver un poil agaçante avec ce sentiment persistant d'entendre une sorte de mashup de Corey Taylor vs Chester Bennington s'égosiller sous la tempête. Fort heureusement, la dernière minute du morceau, plus forte en testostérone, vient bien relever le niveau et permet d'achever ces écoutes sur une note positive. Mais dans l'ensemble, c'est malheureusement la déception qui domine et force est de constater qu'on s'attendait à plus : plus varié, plus fou, plus énervé, moins académique en somme. C'est con, j'aime bien les 90's, vraiment, que ce soit le grunge, le heavy rock de Soundgarden (ça me fera toujours marrer qu'on les qualifie de grunge, qu'est ce qu'un morceau comme "Rusty Cage" a de grunge sans déconner!) et plus encore de Pearl Jam, le néo, les trucs alternatifs à la Primus et surtout à la Faith No More (énorme cœur). Mais là, ça ne passe pas trop.
Je crois que les 90's en 2014 me branchent un peu moins. Peut-être parce que cela me ramène à une époque heureuse mais mêlée de quelques traumatisants souvenirs d'ado boutonneux? Peut-être encore parce que j'ai le sentiment d'avoir déjà entendu et ré-entendu tout ce que propose Milton Incident, en bien mieux ? Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain d'avoir su entrer dans cet album comme il le fallait et de lui avoir donné toute l'attention qu'il méritait, aussi vous en recommanderais-je une écoute attentive si vous avez soif de sons du passé sans aller jusqu'à retomber dans le vieux thrash et la NWOBHM. Sinon, vous pouvez clairement passer votre chemin, car cet album, nonobstant d'indéniables qualités, vous saoulera en moins de temps qu'il n'en faut à Nasum pour jouer un morceau. On leur souhaite néanmoins une bonne route et de beaux succès à l'avenir.