Oh, revoilà Celtic… euh Tr(o)iptykon. Bien, cette blague douteuse étant faite, on va pouvoir se concentrer sur la musique. Quatre ans séparent Eparistera Daimones de son successeur, ce qui est plutôt long, mais habituel lorsque l’on connaît un peu les usages de Celtic Frost, dont Triptykon est le prolongement avoué.
Il est bien loin le temps où Tommy étonnait les amateurs d’Hellammer à grand coup d’Into The Pandemonium, en les prenant à contre-pied ; ou surprenait avec un retour inattendu, et d’un niveau tellement élevé qu’il semblait impossible de l’atteindre de nouveau, avec Monotheist. Si ledit Monotheist était d’un noir de suie, et en accord total avec sa pochette, et bien que Fischer ait dit vouloir avec Triptykon composer de la musique dans le prolongement de cet opus magnum charbonneux, il y a tout de même une grande différence. Si l’occurrence de 2006 était aussi sombre que dit plus haut, ce que Triptykon a jusqu’ici proposé peut tout au mieux être qualifié de gris, même pas foncé ; explication : Monotheist nous attirait dans le gouffre avec une production puissante mais crue, émaillée tout du long de larsens délicieux qui vrillaient nos oreilles, et participaient grandement au sentiment de malaise permanent qui rendait ce disque si grand ; alors qu’avec les deux albums proposés par ce nouveau groupe, on ne retrouve pas cette sulfure constante, ce besoin de fuir annihilé par la fascination qu’exerce la musique sur l’auditoire.
Malgré ce flagrant délit de « c’était-mieux-avant-isme », il n’est pas pour autant possible de condamner catégoriquement les albums que nous offrent les Suisses. Les moyens techniques à leur dispositions tendent à rendre leurs travaux plus facile d’accès, et c'est bien malheureux. Ainsi, la grosse production permet d’apprécier quelques titres entre thrash et black, presque à la façon de Morbid Tales, le côté rythmique asymétrique en plus; et donc des riffs qui ne demandent qu’à en découdre. Parfois vient aussi un refrain percutant ("Tree Of Suffocating Souls"). Mais ce n’est pas le seul « coloris » à la disposition du groupe, et il sera au final minoritaire, sans quoi l’heure à passer en sa compagnie sur Melana Chiasmata pourrait se révéler bien fade. Ainsi apparaissent à l’occasion quelques sonorités particulières, comme la tentative bruitiste du premier titre, qui suit d’ailleurs un début de solo psychédélique, et toujours ce chant féminin éthéré et vaporeux, même s’il reste minoritaire devant les interventions de monsieur « UUUUH ».
Les passages doom, constituent la majorité de l’album, prenant toujours avec eux un aspect solennel et ritualiste, avec une assez franche réussite sur "Boleskine House", glauque à souhait. Quelques semblants de mélodies pointent parfois le bout de leur nez, que ce soit du côté des guitares, lors des arpèges disséminés dans cette grosse heure, et plus particulièrement les interludes, mais ce n’est pas là où brille le plus Warrior, quel que soit le projet. Cependant, Melana Chiasmata n’échappe pas à quelques écueils, sa durée élevée aidant, et, malgré un ensemble plutôt prenant, certains des morceaux ne proposent pas assez d’idées pour justifier leur durée, le parfait exemple étant "Altar Of Deceit", titre placé juste après "Boleskine House" et qui fait pâle figure lors de la comparaison. De même, "Breathing" participe au ventre mou de milieu d’album. Bien que pourvoyeuse d’un ou deux riffs tenant la route, le pilotage automatique se sent tout de même d’assez loin. Heureusement, la fin d’album, très solide, entre "In The Sleep Of Death" qui renoue avec les ambiances pesantes, avec un Tom qui dégaine une voix black convaincante pour entrecouper des lamentations gothiques, et "Black Snow" qui, pour le coup, justifie sa longueur en proposant enfin quelque chose qui arrive un tant soit peu à se rapprocher des longs manifestes de Monotheist.
Seulement voilà. Presque sûr que l’on est que Monotheist et son coup de génie est derrière et que tenter de l’égaler est vain, ne vaudrait-il mieux pas chercher à évoluer ? Melana Chiasmata ne propose rien de neuf par rapport à Eparistera Daimona ; et malgré une solidité certaine, il fait la bévue d’exposer des longueurs par endroits. Pourtant, ce n’est pas comme si Fischer ne pouvait pas évoluer et expérimenter pour peu qu’il essaye. Ainsi, Triptykon ne devrait pas rester dans l’ombre de Celtic Frost et son au-revoir discographique, mais plutôt chercher à voler de ses propres ailes. Car voilà ce qui tire avant tout Melana vers le bas : l’impression d’écouter une resucée.