J’écoute cet album, Marula. Je sais qu’il est bon et même très bon, je n’en doute pas une seconde. J’aimerais le faire passer, ce sentiment. Mais alors que je suis à mon écriture, quelque chose coince, les mots ne viennent pas. L’écoute simplement de tel ou tel morceau est déjà pervertie par mes propres sensations du moment. La musique a déjà une couleur personnelle. Selon l’heure où j’écoute cet album, ma perception n’est déjà plus la même. Tour à tour totalement sous le charme ou indifférente au possible, je n’arrive pas à trouver mes mots. Comment juger un album ainsi ? Comment rendre justice simplement à ce courant sonore qui s’élève, en révéler les qualités intrinsèques et non pas l’émotion qui file, justement ou non, dans mon esprit ? Qu’il est étrange parfois d’être chroniqueuse et de ressentir cette culpabilité de ne pas être réellement objective ? Mais est-ce vraiment un tort ?
Je vais pourtant parvenir à l’exorciser un brin cette musique. Pourquoi ? Parce que j’observe les artistes qui ont fondé ce groupe, Eden Circus, qui ne se sont pas jetés tête baissée, ni sur scène, ni dans un studio d’enregistrement de façon brûlante, uniquement poussés par leur propres émotions de l’instant. Le processus créatif avant tout. Passionnés oui, mais non pas impulsifs. Une fois leurs idées bien posées, réfléchies, enrichies, ensuite seulement l’épreuve de la scène, pour maturer leur projet, lui donner une essence, le sortir du seul univers imaginatif de ses auteurs, le rendre le plus achevé possible. Et enfin, enfin, après un long chemin, un enregistrement, un mixage et une production, menés par leurs seuls bons soins. Lifeforce n’ayant alors plus qu’à apposer sa garantie sur le produit fini. Ça agite l’esprit la musique, mais ça ne se traduit pas de n’importe quelle façon. Alors, je vais bien arriver à coucher ça sur ce simple bout de papier, non ? Qu’est ce donc maintenant que Marula ? De prime abord, la sensation est celle d’un album accessible, d’une sonorité propre, d’une écoute homogène avec son rythme mid-tempo constant, quelque chose donc de presque lisse. C'est une voix prenante, séduisante. Ce sont des guitares sensibles, dont les vibrations bouleversent, juste ce qu'il faut. C'est une section rythmique impeccablement menée... D'emblée, l’impression d’un album soigné, rigoureux et qui trouvera aisément sa place et séduira sens et esprits sans difficulté aucune. Puis, à la seconde écoute, ce sont les influences qui cognent d'avantage l’esprit. J’y entends moi les riffs d’Opeth dans le titre "Comfort", l’atmosphère énigmatique de Tool pour "101", certaines ambiances m’évoquent même un Rishloo (d’aucuns préfèreraient sans doute que je cite un Isis ou un Cult of Luna, mais je n’ai pas cette connaissance-là).
Est-ce alors tout ? Emballé c’est pesé ? Qualité : check ! Et on passe au suivant ? Est-ce donc là un de ces albums qui s’inscrivent dans le sillage d’autres noms si bien connus, de groupes tant appréhendés, écoutés, commentés, critiqués, tant et tant que le genre en semblerait déjà épuisé et les reste une pâle redite sans saveur, malgré ses qualités indéniables ? De simples miettes de brioche ?Vingtième écoute. Paradoxe. Rien ne persistait lors de mes premières écoutes hormis ce sentiment bien réel de redite et le plaisir malgré tout de me plonger dans une musique qui m’en évoquait d’autres. Et je me laissais bercer par cette sensation avec une joie mêlée d'amertume. Rien de plus, si ce n’était ce sublime "Desert in Between", dont les riffs m’obsédaient, dont le chant me pesait l’esprit, différemment. Ce seul morceau me forçait à insister. A ne pas voir la pâle copie d’autres, ni à simplement me raccrocher à cette sensation monotone : « oui, cette musique je la connais, elle m’évoque ceci ou cela, mais je n’attache aucun crédit supplémentaire à son déluge de notes » .... Est-ce cette touche de shoegaze ponctuant l’ensemble qui a commencé à me marquer, contrastant avec certaines atmosphères pesantes ? Ce chant death inattendu sur des pistes comme "Comfort" qui casse la sensation de déjà-vu qui s’insinue dans le crâne ? Cet ensemble, mélange intime de lumière et de noirceur ? Oui et non. Ce n'est en soi rien d’inédit non plus. Et pourtant. Cet album n’est en vérité pas lisse. En rien, si ce n’est ce rythme régulier, ce tempo. Chaque titre révèle une atmosphère singulière qui lui est propre, bel et bien. D’un ensemble qui paraît si accessible, de nombreuses écoutes révèlent qu’il en faudra bien plus encore pour bien appréhender cette œuvre-là. Et c’est le point paradoxalement critiquable et merveilleux. Il faut être entêté pour savourer cet album. Je le suis. Et je ne le regrette aucunement. Je n'en dirai pas un mot de plus !
Voici une chronique qui se veut quelque peu atypique. L’écoute de cet album l’ayant été pour moi. Elle m’a rappelé à quel point la musique joue un rôle étrange. Elle crée un flot d’émotions, nous la raccrochons à ce que nous connaissons, parfois à ce que nous éprouvons par ailleurs, elle colore l’ensemble et pourtant, nous ne sommes pas toujours capables d’en apprécier la saveur inédite lorsqu’elle se présente à nous. Ce n’est que par un effort réel d’écoute que nous pouvons enfin ouvrir yeux et oreilles et réellement prendre conscience des qualités qui s'offrent généreusement à nous, capables alors de les accueillir. Par cette chronique, je vous invite donc simplement à prendre le temps, vraiment le temps, de vous laisser porter. C'est aussi le propre de la musique progressive.