Thelema Code. Inconsciemment, ça sonne quand même pas mal black metal, non ? Une référence à un opus de Behemoth peut-être ? Mais que nenni, car sous leurs sombreros, les aztèques de Guadalajara pratiquent plutôt un death metal/deathcore progressif teinté, il faut le reconnaître, d’influences venues du monde sombre et occulte propre au black metal. En dehors des sociétés pré-hispaniques, des cartels de drogue corrompant l’État en masse, et de la cuisine qui donne une envie irrépressible de relâcher le sphincter (oui, on ne peut pas tomber plus bas dans les clichés, excusez-moi), c’est aussi un pays qui a vu naître, à l’ombre des cactus, des groupes tels que les pseudo-terroristes de Brujeria, les gore-grindeux de Disgorge ou encore le groupe de deathcore Here Comes The Kraken. Mais qu’en est-il de nos mariachis ici présents ? Adelante amigos !
Enfin un groupe qui sort des sentiers battus – ou qui y reste, tout dépend du point de vue. La plupart des groupes d’aujourd’hui ont en effet pris l’habitude de nous pondre une intro et une outro sordides et sans le moindre intérêt musical, le plus minime soit-il. Thelema Code remet les choses en place avec deux bornes d’un autre acabit. Plus proches des deux minutes chacune que de la minute habituelle et conventionnelle, elles ont le bon goût d’être instrumentales, sans sample nauséabond, et plutôt enjouées, notamment l’introduction qui propose un petit rythme à la After The Burial période Redeeming The Wretched. "θέλημα" et "The Code" se distinguent en outre par leur titre qui ne sont pas le fruit de la simplicité. Le nom de l’ouverture est tout simplement la traduction du grec ancien « Thelema », qui veut dire « volonté ». Je ne vous ferai pas l’injure de traduire le nom de la chanson finale, ni de vous faire remarquer que ces deux chansons forment le nom du groupe chroniqué ici-même. Entre les deux qu’avons-nous ? Eh bien c’est un peu une sorte de concept-album que ce Liber Legis. Explication. C’est avec l’Abbaye de Thélème, lieu imaginé par Rabelais dans son œuvre Gargantua, que tout commence. La communauté qui y vivait suivait le précepte du « Fais ce que tu voudras ». Plus tard, l’écrivain britannique Aleister Crowley prendra « Thelema » comme nom de son système philosophique aux relents religieux, occultes, et dérivé du mysticisme. La pochette de Liber Legis est la meilleure représentation possible des adjectifs précédemment cités. Du coup, on retrouve des références à tout cela dans les titres comme ''Ritual'', "Astral Manipulation" ou "Pantagruelistic Dominion" et ses paroles sans équivoque « A free man does not need a god » ou encore « Terror is created by those who exercise », mais aussi quelques passages bibliques ou pré-apocalyptiques comme dans "Bacteria", ou "Vital Decay" dans laquelle sont mentionnés les sept péchés capitaux.
Venons en tout de même au sujet principal : la musique. Car c’est quand même ce qui nous intéresse a priori, et c’est pour ça que vous êtes venus lire cette chronique il me semble. Presque quarante-six minutes au compteur. On l’a déjà dit, et sans ressortir un poncif, on ne peut pas prédire que l’album est de qualité, mais pour du death technique, c’est plutôt bon signe et assez honorable. Surtout que, paradoxalement, la meilleure chanson de l’album, "Astral Manipulation", est la plus courte, avec 2’55 au compteur. Clairement étiquetable comme étant du deathcore progressif, c’est également la plus rapide rythmiquement, mais néanmoins la plus efficace. A bien y regarder, on trouve un peu de tout ce qui réfère au monde du death metal dans cet album. "Apology Of Supremacy" et "Bacteria" font la part belle au death technique, notamment la deuxième qui nous place quelques passages et ambiances à la Cannibal Corpse. "Ritual" et "Reject The Light" sont plus tournées deathcore, même si la seconde se permet quelques riffs hardcore (le passage à 0’34 rappelle sans conteste Hatebreed) et breakdowns beatdowns (2’31 et 3’25), tout comme sa comparse "The Shameless Suicide" et son riff on ne peut plus 2-Step à 3’57. C’est aussi dans cette dernière que l’on peut entendre un des trois solos de l’album (avec "Pantagruelistic Dominion" et "Vital Decay"), tous plus ressemblants les uns que les autres et mêlant death au thrash. En parlant de thrash, nos amis Canadiens d’Annihilator pourraient réclamer quelques droits d’auteur pour le passage à 0’23 sur "Vital Decay". Chanson un peu à part, "Creation For The Rot" nous emmène dans un monde plus teinté de black que le reste de l’album, comme pouvait le laisser présager le titre, poussant même le vice jusqu’au break mélodique à 1’50, façon Watain.
Les deux chanteurs, Wallace et Rafa, ont une complémentarité intéressante et efficace. Bon, on reste sur une dualité basique chant grave/chant clair, ça ne change pas. L’un se charge de tout ce qui est growl, grunt ou encore pig squeal interminable (1’52 sur "Apology Of Supremacy" et surtout à 2’17 dans "Bacteria"), tandis que l’autre s’occupe de tout ce qui est chant screamé, allant parfois jusqu’à une voix rauque style black metal (un peu à la Varg Vikernes par moments). De plus, et cela est suffisamment rare dans notre style chéri pour être signalé, les paroles ne sont pas totalement inaudibles et incompréhensibles, même pour une première écoute et sans forcément tendre l’oreille au point de se faire une crampe auditive ou un torticolis. Les grogneurs font un effort d’articulation louable. Au passage, et vous l’aurez sans doute remarqué dans le premier paragraphe, les paroles du groupe sont plutôt subversives et révolutionnaires – sûrement un hommage à un héritage national désormais centenaire – quand elles n’annoncent pas un mauvais présage pour l’humanité. Et comme base de lancement de leur révolte et de leur Armageddon, ils ont choisi Studio Concreto Records, un label de metal extrême (black, death, doom, grindcore) basé à Mexico, qui produit des groupes mexicains pour une grande majorité, mais qui s’exporte aussi un peu partout en Amérique latine avec des groupes du Salvador, du Chili et d’Argentine. Cela nous donne un son respectable, pas sublime non plus, mais suffisant et surtout correspondant bien à l’état d’esprit de Thelema Code. Faisant penser par endroits à du Behemoth de par leur ambiance particulière, celle-ci est tout de même moins oppressante et moins rythmée à coup de blasts que nos Polonais préférés. En ce qui concerne la splendide – quoique étrange – pochette, elle est l’œuvre du studio VRSA MATER qui possède un style particulier et très facilement identifiable. Je vous recommande d’ailleurs fortement d’aller jeter un coup d’œil sur leur travail par l’intermédiaire de leur site Behance si vous êtes curieux (et je ne doute pas que vous le serez).
Finalement, la seule chose qui différencie réellement et nettement Thelema Code d’un groupe comme Behemoth (la comparaison est de poids), ce sont ses riffs syncopés et aérés, qui appartiennent typiquement au genre progressif et qui en font un groupe plus proche du death. Mais pour ce qui est de l’atmosphère ou des paroles, on peut clairement assimiler le groupe à du black ou tout du moins du death/black. En ce qui concerne l’idée d’un concept-album, celle-ci est toujours intéressante, mais elle reste ici assez primaire, et pourrait être un peu plus creusée à l’avenir, car l’univers exploitable et exploité par les mexicains de Thelema Code est vaste. Dans ce premier album qu'est Liber Legis, l’alliance entre brutalité, technicité, progressivité, et mélodies de temps à autre, est assez bien trouvée, et accompagnée par une basse bien mise en valeur, ainsi que des chants s’adaptant parfaitement à toutes les sonorités et les ambiances créées.