« I See You, I missed You »... Percevrions-nous ici un écho du passé ? You, considérée souvent comme l'œuvre la plus achevée de Gong et à très juste titre ? Ma réminiscence en tous les cas. Si lointaine, si marquante et pourtant, si proche soudainement. Ce son, cotonneux, comme arraché du temps, cette folie, ces nappes planantes, ces space whispers, ce free jazz … Ah, mais non attendez, pas sur You, pas encore, plus tard.... Mais alors, quand sommes nous ? Où sommes nous ? 1973 ? Non. 2015, à l'heure où j'écris, immergée dans l'exaltation hallucinée et désopilante d'un I See You.... Lisez et percevez, je rebranche pour vous la télépathique Radio Gnome.
« I See You in Your Dreams »... Gong, serait un rêve à réaliser. Un rêve originellement peuplé de pot head pixies, d'une bonne sorcière du nom de Yoni (dont point de verrue n'entame les traits), de chats un brin sournois, mais bien gentils dans le fond quand même, d'entremetteuses avisées, de théières volantes et de tout un panthéon de personnages extraordinaires, chargés de rassembler tous les freaks de la terre et de leur ouvrir leur troisième œil afin de préparer le monde à un âge d'or de l'harmonie, de la compréhension mutuelle et … de l'absurde. Une promesse avait été faite en ces temps-là, par une nuit de pleine lune, en 1966 je crois, par des êtres pétris d'Amour, les Octave Doctors. Celle d'une nouvelle vérité exaltante à l'horizon de 2032. La musique, celle de Gong,en est devenue le vecteur évident. Toujours encore semblerait-il. Et 2032 existe déjà, mais nous ne sommes encore qu'en 2015. Nous avons bien le temps donc encore ? En sommes-nous si sûrs ? Il est des choses qui rongent ... Peu de temps en fait .... Nous n'avons peut-être finalement pas jusque-là …. C'est même certain. Vite, installez-vous céans. Fred The Fish va vous préparer un thé, roulez-vous un joint et rêvez de camembert, un Salvador Dali vous en saura gré. Nous nageons en plein surréalisme, au beau milieu de ce rêve fou ... À moins que ce ne soit justement ça la réalité ?! Oubliez donc le temps d'une écoute votre regard si terne sur le monde ! Écoutez, rêvez, laissez-vous porter … N'ayez pas peur, votre pseudo-délirium est sous mon contrôle.
Tout débute donc avec cette première piste, "I See You". Sur fond de nappes de claviers inquiétantes, une voix s'amuse et un saxophone délire. Une sorte d'étrange rire musical nous accueille. Enfin, étrange ... Vous serez déconcertés seulement si vous n'avez pas encore bu votre tasse de thé et que vous n'avez jamais appréhendé Gong jusqu'à présent ! Les connaisseurs s'y retrouverons d'emblée, un bienveillant sourire leur barrant le visage. Qu'il est bon d'être en terrain connu tout de même. Pour vous donner le ton, il y a quelque chose comme de l'humour british par ici, comparable à l'esprit des Monty Pythons sur certains aspects. Débridé, mais non moins piquant ! Rien que cette petite phrase « Saturday night blues », lâchée absurdement comme une moquerie dans nos oreilles si complexées par nos habitudes de « je suis si pétri de sérieux », même lorsqu'il s'agit de musique ! Allons, rions de concert et laissons glisser une dernière nappe de clavier, haut, très haut. L'écho d' "I See You" se répercutera d'autant mieux, et bien plus loin. Il cognera la septième piste, "You See me". Une dégringolade space ponctuée de pointes de … « hé Bert, du camembert ? », laissant place ensuite à un saxophone au comble de la nonchalance. Un titre purement expérimental, très bref, qui flirte sur la galette (de fromage) comme une ombre folle, détachée de son « moi ». Le « sérieux » de la musique se mêle toujours à la dérision chez Gong, vous l'avez bien compris déjà, et encore sur "Brew of Special Tea". Tâchez donc de vite vous décomplexer ! Vous allez apprécier, croyez-moi sur parole !
Mais laissons cela de côté maintenant et revenons sur "Occupy", la seconde piste. Une rythmique dynamique, un saxophone virevoltant tout à fait délicieux et un mantra répété sans lassitude. Curieux morceau en fait … Il nous donne cette sensation tout à fait paradoxale d'entremêler intimement le free jazz au space rock. Je dis paradoxale, car d'un côté nous avons la liberté du noble cuivre et de l'autre la répétition des motifs posant carcan : nous observons le cerclage d'un fou ! Amusant, non ? On dirait la vie, la vraie ! Cette envie de tout bousculer ! Fumez, fumez … Et tenez, une autre tasse de thé ! Oh, voilà une autre amuserie : "When God and the Devil ShakesHand". On ne voit pas tous les jours guitare et flûte se compromettre avec une telle malice tout de même ! Notre chanteur-conteur à la voix un brin insidieuse et moqueuse nous dépeint d'ailleurs fort bien le tableau de la rencontre des deux pôles. Mais ne négligeons pas la batterie qui pose bien ses jalons à tout propos. Car attention, on se serre la main entre sage et fielleux, mais pas question de débordements, faisons les choses dans les règles de l'art et dans un « cadre » adéquat ! Gong est vraiment malice. Il plante un décor et ne s'offre que des libertés, là encore. Instruisez vous !
La fumée monte généreusement et vous enveloppe ? Buvez, j'ai ajouté un brin de fleur d'oranger à votre tasse pour vous apprêter à notre périple suivant. Car nous allons voyager maintenant, en Orient pour être exacts. Gageons que les rêves passent toujours un peu par là, qu'on le veuille ou non. Un brin de cette suavité inégalée sommeille toujours quelque part en nous et ne demande qu'à être révélé. Les intonations de "Zion My T-Shirt", titre le plus poignant de l'album, tombent sur nous dans le dessein de satisfaire à cette envie de charme exotique. Tout y est à la fois lourd et aérien. Comme cette chaleur de plomb révélant une myriade de parfums que l'on s'imagine soudain agrémentent l'air qui nous environne, alors que nous écoutons la musique. La voix, mélancolique et langoureuse, prolonge ses mots et le plaisir de l'écoute à l'envie. « Remember » ... ce mantra qui résonne, comme un appel vers une douce nostalgie …Le titre conduit à un alanguissement, pour s'achever sur une presque-évaporation. La quête orientale semble alors se poursuivre encore avec l'introduction de "Pixielation" …. Mais vous attendiez-vous à voir soudain ces petits pixies venir vous rire dans les oreilles ? Phrasé hip-hop, cassure des rythmes, touches space … Et non, on reprend la petite comédie ! La flûte se fait espiègle ! Elle vient vous réveiller ! Ah, ces farceurs de petits lutins ! Il nous font tourner bourrique..... ou Alice.
Voulez-vous une tranche de space cake avec votre thé ? Vous vous en sentirez grandits, je vous assure ! Laissez-les donc, ces petits, prendre votre main et vous embarquer avec eux, pour continuer le voyage. Lâchez-vous ! Au fait, avez-vous jouit de l'effet des Beattles sous acide ? "The Eternal Wheel Spins" fait ça. Spaces whispers introductifs (ahh précieuse et incomparable Gilly !), glissandos ... Une guitare libérée, un saxophone toujours là, ponctuant l'ensemble de petites touches folles, des nappes ouvertes, une ascension, et puis ces voix qui font mirage ! Nous voilà projetés en arrière et en même temps sur orbite. Thank You les Beatles, "Thank You" nous dit d'ailleurs Gong. Ne se sent-on pas bien là, ici et maintenant ? A l'écoute de cet album ? Une petite révolution intérieure pourrait bien se mettre en marche dans votre petit esprit tout chamboulé soudainement, mais vous en sentez-vous le courage ? "This Revolution", touchante allocution, vous semble-elle si décalée ? Oui ? Non ? A vous de voir maintenant. Vous avez les bases de compréhension. Le tableau surréaliste va maintenant s'achever sur "Shakti Yoni & Dingo Virigin". Et le titre, je ne m'étais pas trompée, fait bel et bien écho à You. L'esprit d'un "Magic Mother Invocation" y plane, tout en étant très différent, et les sens de celui qui connaît la piste exaltante extraite du fameux album ne s'y tromperons pas. Tendus, ils appellerons les retrouvailles fébriles avec un "Master Builder" … Mais le temps se suspend …. Restera-il figé ainsi ?
La musique de Gong est un voyage rare. Humour se mêlant, de façon véritablement exceptionnelle, à la richesse d'une musique fouillée, propre à décomplexer les sens et à ouvrir l'esprit à autre chose. D'une amuserie barrée (vu de loin) nait un regard bien fou et libre, une envie de folie, de rêve, d'explosion psychédélique, mais toujours bienveillante. Née il y a 40 ans déjà, cette musique si particulière traverse cependant le temps sans tache, ceux qui y sont sensibles y trouveront bel et bien toujours le même émoi, la même profondeur. Un sentiment délicieux qui me fait dire une simple chose : « il n'y a d'absurde que ce que l'on veut admettre comme tel ». Ainsi, ne bornons pas le brin de folie qui règne dans nos esprits. Jouissez de cette idée et de cette musique.