Tant de groupes américains sont chroniqués. Il n’y a aucune raison que l’on ne se penche pas sur le sort de leur meilleur ennemi, celui sans qui les États-Unis ne seraient jamais devenus ce qu’ils sont. La course à l’armement et à l’espace a donné lieu à une bataille féroce, remportée dans un premier temps par les Russes avant que les Américains ne reprennent l’avantage. Mais aujourd’hui, l’oligarchie russe n’est plus aussi rayonnante qu’auparavant. Surtout face à l’hégémonie métallique de nos cow-boys. Néanmoins, à ce niveau, il faut reconnaître que l’ex-URSS commence à faire son trou, et elle ne s’en sort pas si mal. En outre, c’est par l’intermédiaire d’un groupe dont le nom n’est pas sans rappeler une certaine tension actuelle, que je vais vous initier au pays de monsieur Vladimir Poutine.
Et pourtant ce n’est même pas en provenance de la capitale russe actuelle que The Korea est issu, mais de la deuxième plus grande ville, ancienne capitale de l’Empire entre 1712 et 1917, à savoir Saint-Pétersbourg (anciennement Leningrad). Bref, trêve de considérations historiques impertinentes. Cela ne vous étonnera donc sûrement pas si la bande du Kremlin s’exprime dans sa langue natale slave, n’est-ce pas ? Car quel meilleur moyen de contrecarrer l’hégémonie de l’oncle Sam qu’en faisant preuve d’une pointe de patriotisme ? Et le must là-dedans, c’est que ce n’est pas si désagréable que ce que l’on pourrait penser. Quand on regarde bien, il est vrai que le chant metal en anglais (le plus courant) n’est déjà pas réputé pour être des plus appréciables et l’optique de l’entendre dans une langue dite « dure » pourrait rebuter encore un peu plus. Alors certes, les chants graves et aigus sont renforcés dans leur violence mais, à contrario, les chants clairs sont nettement radoucis. Bon, le point négatif, aussi bien pour leur exportation à l’international que pour notre propre écoute, c’est que la compréhension en est nettement altérée. Car très peu de gens du côté-ouest de l’ancien rideau de fer ont une maîtrise parfaite de la langue écrite en cyrillique. Et ne comptez-même pas sur internet pour vous orienter dans le thème des paroles, même ce dernier fait de la résistance. Tout au plus, vous trouverez la traduction anglaise de "Kiss Of Judas". Sinon, vous devrez juste vous appuyer sur le titre des chansons pour vous faire un avis sur la question. Bon, avec des titres tels que "Neva", "Valhalla", "Kiss Of Judas" et "Chaos Theory" ou même celui de l’album Chariots Of The Gods, nul doute que l’on se trouve face à une thématique empreinte de religion, et quelque peu de mysticisme. En tout cas, ce n’est pas la pochette très colorée typique djent – à tendance égyptienne – qui va nous donner tort.
Après avoir débroussaillé cette petite toundra, il est temps d’entrer au cœur de cette taïga mélodique. Mais avant d’y pénétrer, "Cobra" nous propose quelques invocations mystiques scandées en russe, histoire de nous immerger dans ce monde aux petites touches orientales, présentes ça et là tout au long du disque, subtiles et parfaites références à la pochette. Les introductions en crescendo, faites de samples ("Waterline", "Neva") ou d’arpèges aériennes ("Manuscript", "Zombie", "Kiss Of Judas") sont le leitmotiv du groupe qui n’hésite pas à les éparpiller un peu partout (hormis "Valhalla" et "I’ve Got What You Waiting For" qui sont assez rentre-dedans). De par cette ambiance particulière, cela donne un petit côté ambidjent à leur musique. L’autre credo du groupe, c’est la voix particulière d’Ilya Sannikov. Certes, il faut un petit temps d’adaptation, et au départ on aura tendance à essayer d’en faire abstraction. Mais on se rend vite compte que c’est impossible. Cette voix transporte tout simplement dans une autre dimension. Et ce n’est pas un hasard si les trois meilleures chansons de l’album sont celles où le chanteur exprime le mieux ses talents vocaux. On ne sait pas pourquoi, mais les refrains restent aisément en tête et on se surprend même à chantonner en un semblant de russe. Laissez-vous emporter par "Waterline" et "Kiss Of Judas" qui sont clairement les tubes de l’album, mais surtout ne passez pas à côté de "I’ve Got What You Waiting For" et ses sublimes envolées lyriques (1’48 et 3’28). Vous verrez qu’elles deviendront de plus en plus grandioses à forces de réécoutes. C’est une véritable force et caractéristique de ce groupe. Bien sûr, on ne va pas faire de l’ombre à l’autre frontman en la personne d’Eugene Potekhin, ce serait indécent. Il remplit parfaitement son taf, avec une excellente voix hybride entre un cadavre d’outre-tombe et un bon chanteur de death metal. Mais honnêtement, ce n’est pas lui qui attire notre attention sur Chariots Of The Gods.
Bon, et sinon que dire d’autre ? Ah oui c’est vrai, on en oublierait presque. . . bah tout le reste ! Car oui, à côté de la voix, y a tout de même quelques instruments. Et ce qui marque clairement à la première écoute, c’est la capacité qu’à le groupe à produire des passages mélodiques aussi bien que des passages lourds avec un son caractéristique des formations (ou productions ?) russes. Le passage à 0’41 sur "Waterline" est un très bon exemple de ce son massif et écrasant. The Korea sait aussi générer des sons beaucoup plus incisifs et tranchants. Le groove domine en bonne partie dans leurs productions comme le confirme la chanson "Zombie". D’ailleurs on peut apprécier le petit passage à 1’25 grandement inspiré par Vildhjarta. Influence que l’on retrouve en masse par l’intermédiaire des distorsions tout au long de la chanson "Chaos Theory" (ce qui n’est pas surprenant vu le nom de la chanson). La recette des chansons est globalement la même, mais certaines se démarquent quelque peu au niveau du style. Bien sûr, le magnifique interlude instrumental "Neva", idéalement placé, dans lequel les arpèges de guitare sont accompagnés par un saxophone majestueux. Tout ça sur un fond sonore pluvieux. Digne d’une BO de Sin City. "Valhalla" propose également un petit décalage avec une rythmique et une tendance plutôt rock atmosphérique, qui n’est pas sans rappeler Cloudkicker dans ses plus belles heures. L’initiative de placer du chant clair pendant le premier couplet est plutôt surprenante, mais non moins agréable. En revanche, "Armada" et ses structures ultra répétitives aurait pu être évitée, tout comme "XII" et l’outro "On The Home Way", piste complétement planante, dont le seul intérêt est de nous ramener de ce lointain voyage mystique à l’aide de ce sample de locomotive à vapeur. Bref, un dernier quart d’album bien en-deçà de la prestation livrée par nos ressortissants du pays du Tsar.
Du coup, que retenir de ce Chariots Of The Gods ? Si sur le gros trois-quart d’heure de son, notre impression reste focalisée sur les trois dernières pistes, la note frôlerait le néant. Autant chercher de la chaleur en Sibérie. Mais comme vous êtes assez observateur, vous aurez pu remarquer que j’ai ajouté plus de quatorze points à ce rien. Et c’est mérité, car il y a un bon tiers de l’album qui est excellent, notamment grâce au magnifique chant d’Ilya Sannikov. On peut dire que Rogue Records a eu le nez creux en signant les Russes, juste après leur changement de nom, lié à leur réorientation stylistique.